Ou comment la société du spectacle hiérarchise l’information et le droit à la parole médiatique.
Dans nos sociétés si modernes et si démocratiques, nous n’avons plus de censure, mais tout le monde n’a pas la même voix au chapitre. Il s’agit dans un flot d’informations continu et multicanal (1)télé, radio, internet… de hiérarchiser et de créer les conditions pour que certains puissent être entendus par le plus grand nombre et dans les meilleures conditions, surtout s’ils n’ont rien à dire.
Prenons l’exemple de deux interventions médiatiques qui ont eu lieu ce week-end et qui illustrent parfaitement cette thèse.
La première est celle de Jean-Luc Mélenchon, candidat à la présidentielle pour le Front de Gauche, invité sur le plateau de l’émission « On n’est pas couché » de Ruquier. Si ce talk-show n’est pas ce qui se fait de pire en la matière, notamment parce que Ruquier case en général un invité politique à qui il laisse du temps, il faut quand même se coltiner 45 minutes de mauvaises blagues, puis la promo de tous les invités de la soirée, avant que l’interview démarre. Donc vers minuit, Mélenchon a pu s’exprimer devant un peu moins de 2 millions de téléspectateurs (2)un bon score pour l’émission. Mais même avec un temps de parole important, il n’est pas facile de poursuivre un raisonnement jusqu’à son terme : les deux remplaçantes de Naulleau et Zemmour, Audrey Pulvar et Natacha Polony doivent se mettre en avant et malmener l’invité (3)Ce que Audrey Pulvar s’est doublement efforcée de faire pour éviter, sans doute, toute critique concernant les éventuelles convergences idéologiques entre son compagnon et Mélenchon ; les autres invités ne sont pas en reste pour donner leur avis avec en prime ce soir-là, l’inusable laudateur du capitalisme, François de Closets. Malgré ces tirs croisés, Mélenchon s’en est bien tiré, réussissant même à expliquer de manière très pédagogique le système de financement des États et le rôle parasitaire que jouent les banques privées dans ce circuit. Reste que le ton de cette émission n’est pas à la hauteur des enjeux politiques de la période. Si cela permet tout de même de toucher un public important (4)parmi ceux qui tiennent jusqu’à une heure du matin, on peut difficilement faire avancer ses idées et convaincre les téléspectateurs.
La deuxième émission du week-end est à l’exact opposé : DSK a été invité à s’exprimer pendant 25 minutes au journal de 20h de TF1 (5)combien de personnalités politiques, n’ayant aucun mandat en cours, ont eu le droit à ce type de traitement de faveur ?. C’est donc 13 millions de spectateurs qui n’auront rien appris de nouveau, à part que DSK est encore traité, par les journalistes, comme un Président de la Ve République : questions connues à l’avance, pas de relance de la part de Claire Chazal malgré les réponses évasives, aucune contestation quand DSK, à de nombreuses reprises, a fait valoir la plaidoirie du Procureur comme une preuve qu’il n’y avait rien fait de condamnable (6)Alors que le procureur s’attache dans le document à prendre ses distances avec Nafissatou Diallo jugée peu fiable à cause de mensonges passés et prenant acte qu’il n’a pas de preuves matérielles suffisamment univoques pour étayer, sans risque pour sa propre carrière, la thèse d’un viol, pas de demande de précisions quand il évoque un possible piège. Pour couronner le tout et démontrer que tout cela est derrière lui, Claire Chazal passe du coq à l’âne en l’interrogeant sur la crise financière ! Bref, une complaisance caractéristique des puissants.
Ces deux émissions sont le symptôme d’un système médiatique qui continue, malgré une apparence de pluralité, de tenter de modeler l’opinion. C’est à l’aune du traitement médiatique que l’on voit comment le système crée et sélectionne les candidats « crédibles et ayant une stature d’homme d’État », et comment il relègue en arrière-plan ceux qui contestent l’ordre établi.
Mais ce système médiatique est lui aussi en difficulté : DSK n’aura convaincu pratiquement personne et les grands médias télévisuels sont concurrencés par des sites internet d’informations de qualité qui redonnent toute leur place aux enquêtes journalistiques…
Faisons un rêve : un jour, nous aurons peut-être un week-end médiatique qui verra DSK subir les blagues de Ruquier sur ses affaires de moeurs, pendant que Mélenchon fera un 20h pour évoquer la crise financière et les solutions de gauche qu’on peut lui apporter.
Ce jour-là, les médias seront au service du débat citoyen.
Notes de bas de page
↑1 | télé, radio, internet… |
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↑2 | un bon score pour l’émission |
↑3 | Ce que Audrey Pulvar s’est doublement efforcée de faire pour éviter, sans doute, toute critique concernant les éventuelles convergences idéologiques entre son compagnon et Mélenchon |
↑4 | parmi ceux qui tiennent jusqu’à une heure du matin |
↑5 | combien de personnalités politiques, n’ayant aucun mandat en cours, ont eu le droit à ce type de traitement de faveur ? |
↑6 | Alors que le procureur s’attache dans le document à prendre ses distances avec Nafissatou Diallo jugée peu fiable à cause de mensonges passés et prenant acte qu’il n’a pas de preuves matérielles suffisamment univoques pour étayer, sans risque pour sa propre carrière, la thèse d’un viol |