Le débat sur l’école rejaillit une fois de plus après la dernière attaque qui, sous couvert des rythmes scolaires, engage la fin de la séparation entre le scolaire et le périscolaire, avant celle, ultime, contre un statut des enseignants qui gêne le mouvement réformateur néolibéral. Cette nouvelle attaque contre l’école, engagée par la néolibérale Najat Vallaut-Belkacem sur la « réforme du collège », a ainsi au moins réussi ce que peu de ses prédécesseurs avaient fait, à savoir pousser à l’union des syndicats enseignants contre son texte, même si une analyse plus fine montrerait le jeu ambigu de certains(et non des moindres) au démarrage de la réforme.
La ministre veut maintenant faire passer ce texte au forceps comme tous les autres textes importants de l’équipe Hollande-Valls. Devant la forte opposition à ce projet, la direction néolibérale a chargé le pédagogiste Antoine Prost (digne successeur des Meyrieu, Legrand et consorts) de défendre sa ministre. Rien que du normal jusque-là. Vous pouvez lire son texte de propagande pleurnichard sur http://www.lemonde.fr/idees/article/2015/05/18/marre-de-la-nostalgie-elitiste_4635667_3232.html
Immédiatement, Pierre Albertini, professeur de khâgne, lui répond dans un article percutant intitulé « Critiquer Najat Vallaud-Belkacem au nom de l’égalité » (http://www.lemonde.fr/idees/article/2015/05/20/critiquer-najat-vallaud-belkacemau-nom-de-l-egalite_4637059_3232.html). Cette critique est très juste, mais elle nous laisse sur notre faim : le texte est notoirement insuffisant quant à la caractérisation de l’opération du mouvement réformateur néolibéral dans l’école. Il fait ainsi le jeu du journal Le Monde qui organise un débat inscrit dans le modèle politique néolibéral, comme si le seul problème qui se pose aujourd’hui à l’école était le pédagogisme contre l’instruction, nous n’en sommes plus à ce stade. Hier, avec le début de la crise du capital, le pédagogisme masquait une première attaque néolibérale contre l’école par une justification idéologique reposant sur une vision d’essence petite-bourgeoise de l’intérêt général.
Aujourd’hui, il s’agit d’une attaque globale dans laquelle le masque petit-bourgeois tombe devant les intérêts directs de l’oligarchie capitaliste.
Sur quatre ans de collège, cette réforme supprime une demi-année scolaire d’enseignement. Elle renforce l’autonomie des établissements, favorise la concurrence « libre et non faussée » entre établissements publics, tout cela préparant à terme la destruction de l’Éducation nationale comme administration de l’État. Ce que fait déjà le processus en cours de privatisation rampante de l’école, que ce soit en favorisant l’école privée de toutes confessions, et même patronale, ou en important les méthodes de management du privé dans une concurrence de plus en plus vive au sein même de l’école publique.
Sans oublier le processus de suppression progressive des programmes nationaux (avec 20 % des heures du collège qui seront soumises à des discussions locales, voire communautarisées), ce qui induit des craintes sur le statut même des enseignants (suite notamment au décloisonnement scolaire et périscolaire où à l’abandon des décrets de 1950).
Cette réforme est à mettre en perspective avec le but avoué du quartier général de l’oligarchie, à savoir qu’il faut réduire les dépenses socialisées pour faire face à la crise du profit. Le cœur du discours devient ainsi l’installation du socle de compétences juste nécessaire pour l’employabilité du futur travailleur, en négligeant dans les nouveaux programmes, comme par hasard, la formation de l’esprit critique du futur citoyen.
Plus que jamais, l’ensemble de la sphère de constitution des libertés (école, services publics et protection sociale) est sous le feu des politiques néolibérales qui non seulement leur imposent l’austérité, mais changent leurs rôles politique et social pour les mettre au service direct des intérêts capitalistes.Nous ne pouvons pas ne pas faire état dans le même temps du débat de sophistes néolibéraux entre Najat Vallaud-Belkacem et Bruno Le Maire (http://www.europe1.fr/emissions/europe-1-soir2/najat-vallaud-belkacem-bruno-le-maire-le-debat-969780), qui se sont mutuellement remerciés, chacun présentant l’autre comme repoussoir, la ministre présentant Le Maire comme le tenant d’un collège à deux vitesses, Le Maire présentant la ministre comme fossoyeur de l’élitisme républicain. Deux discours en miroir pour une même politique, chacun faisant croire qu’il n’y a pas d’autre politique possible.
Dans son article, Prost se lamente parce que les différentes « réformes » et les différents « projets » n’ont pas été complètements réalisés. On peut lui répondre classiquement et justement que c’est heureux, parce qu’elles ont suffisamment dégradé l’école, et que si elles se sont heurtées à une résistance populaire effective, c’est qu’il y a de la part de groupes sociaux qui ne sont pas du tout des héritiers, une forte demande d’école, de valorisation de la transmission des connaissances et du travail scolaire. Mais si les oppositions aux « contre-réformes » sont certes partiellement efficaces, elles sont seulement défensives et n’ont pu que réduire les dégradations. C’est ce qui pourrait arriver une fois encore.
Prost met au défi les opposants à cette nouvelle contre-réforme de proposer une autre réforme. C’est un piège, car l’enjeu véritable est une nouvelle logique politique et une nouvelle politique scolaire, ce qui n’est évidemment pas l’objectif de Le Maire et de l’UMP. Nous estimons donc qu’Albertini n’a que partiellement répondu à Prost et que nous, nous pouvons y répondre au sein d’un modèle politique alternatif au modèle capitaliste…
Sans doute, certains lecteurs trouveront-ils que nous en rajoutons. Nous leur disons par avance qu’il ne suffit pas de s’indigner, de commenter, ou d’interpréter, mais de résister d’abord pour ensuite transformer en même temps l’école et la société. Jamais dans l’histoire les mutations de l’école n’ont été indépendantes de la transformation sociale et politique du moment considéré.
Voilà pourquoi il faut nommer l’adversaire et ne pas faire comme s’il suffisait de changer les conseilleurs du prince.
A lire en complément :
- Réforme du collège. Communiqué de l’intersyndicale du second degré (21 mai 2015) – Signez et faites signer la pétition intersyndicale !
Les organisations syndicales SNES-FSU, SNEP-FSU, SNALC-FGAF, SNFOLC, SNETAA-FO, CGT Educ’action, SUD Éducation, SNCL-FAEN et SIES-FAEN dénoncent la publication des textes concernant la réforme du collège au soir même d’une grève majoritaire dans les collèges. Cette provocation et ce mépris des personnels sont contre-productifs : il est illusoire d’espérer mettre en œuvre une réforme contre les professionnels.
Elles dénoncent les manœuvres de récupération politiciennes et les amalgames.
Elles demandent l’abrogation de ces textes, décret et arrêté, et la reprise immédiate des discussions sur l’avenir du collège. En tout état de cause, elles refusent de discuter des modalités d’application de cette réforme.
Elles appellent les personnels à signer et faire signer la pétition intersyndicale, à poursuivre les mobilisations en cours : assemblées générales, délégations, rassemblements etc., et à mettre en débat une journée de grève nationale en juin.
Elles appellent d’ores et déjà à faire du jeudi 4 juin une nouvelle journée nationale de mobilisation dans tous les collèges : heures d’information syndicale, rencontres et débats avec les parents. - « Si l’on apprenait le français ? La réforme du collège et de ses programmes« , par Jean-Michel Muglioni (20 mai 2015), ici dans Mezetulle
- Motion sur le projet de nouveaux programmes de français pour le Collège, par le Bureau de l’APLettres (26 mai 2015)