Une Bérézina pour le Parti socialiste et une autre pour le Parti communiste (voir dans ce numéro) et donc pour le Front de gauche, en ricochet, car c’est bien le PC qui est l’organisation la plus importante du Front de gauche. Gains électoraux exceptionnels pour la droite et l’extrême droite, l’abstention premier choix de la classe populaire ouvrière et employée (voir la dernière chronique d’Evariste)… Et voilà le terme « éducation populaire » repris en cœur par toute la gauche, tant solférinienne et qu’anti-libérale. L’utilisation de ce vocable va de pair avec des phrases toutes faites du genre : « il faut mieux expliquer », « il faut faire plus de pédagogie », etc. Errare humanum est, perseverare diabolicum. Les électeurs de la classe populaire ouvrière et employée qui, ayant voté à gauche hier, n’ont pas voté les 23 et 30 mars dernier l’ont fait en toute connaissance de cause, refusant ainsi aujourd’hui l’entièreté de l’offre politique, FN compris.
Dans une étude récente, nous lisons des conclusions qui n’ont pas lieu d’émouvoir nombre de cadres des organisations associatives, syndicales ou politiques :
« Le lien de confiance entre les Français et un grand nombre d’institutions politiques s’est durablement brisé. 72 % des Français n’ont pas confiance dans l’Assemblée nationale, 73 % dans le Sénat. Pour 88 % des personnes interrogées, les hommes et les femmes politiques ne s’occupent pas de ce que pensent les gens. Les médias sont très vivement critiqués : 77 % des personnes interrogées ne leur font pas confiance. Pour 74 % des Français, les journalistes ne parlent pas des vrais problèmes des Français.
La progression la plus spectaculaire concerne l’idée selon laquelle « le système démocratique fonctionne mal, mes idées ne sont pas bien représentées » (+6 points, à 78 %). La hausse est particulièrement nette chez les moins de 35 ans (+12, à 84 %) et auprès des sympathisants socialistes (+11, à 50 %).
La coupure avec le politique est encore plus nette dans les classes populaires. 87 % des ouvriers pensent que le système démocratique fonctionne mal et que leurs idées ne sont pas bien représentées (+8, alors que cette idée est stable chez les cadres à 65 %, +1). »
Bien sûr, dans ces conditions, l’éducation populaire serait nécessaire pour toutes les organisations associatives, syndicales et surtout politiques. Mais les directions de ces organisations ont une habitude culturelle dont elles semble ne pas pouvoir sortir aussi facilement, à savoir que la seule communication qu’elles pratiquent est uniquement une communication « du haut vers le bas » (top-down), avec un discours qui a le statut de vérité révélée. Donc les moyens de ce type de communication sont connus : distribution de tracts sur les marchés, utilisation des médias dominants, radio et télévision, réunions internes et publiques, puis enfin, meetings ne regroupant que les militants coupés de la classe populaire ouvrière et employée avec comme seul type d’orateur, les dirigeants de ces organisations réexpliquant une fois de plus, avec une nouvelle pédagogie, le même discours figé, qui est de plus en plus refusé par la classe populaire ouvrière et employée. A cette ossature militante, souhaitons, par charité : bon courage pour l’avenir!
Disons-le tout net ! Tout cela n’est pas de l’éducation populaire ! Pas plus que ce que font les grandes organisations naguère d’éducation populaire, mais qui le sont aujourd’hui tout autant que la Ve République est républicaine, que le néolibéralisme est social, que la République islamique d’Iran est républicaine, que les démocraties populaires de naguère furent démocratiques, ou que le Traité de Lisbonne fut décidé démocratiquement ! En fait, ces grandes organisations ne font plus que de l’animation socio-culturelle de consommation et des politiques d’accompagnement des désastres sociaux du néolibéralisme. Animer des jeunes en déshérence simplement pour qu’ils ne brûlent pas les voitures des bourgeois gagnants de la mondialisation du centre-ville, c’est peut-être de la police sociale mais ce n’est pas de l’éducation populaire.
Qu’est-ce que l’éducation populaire ?
Pour un républicain de gauche, l’école est un lieu d’enseignement, qui doit instruire et éduquer, mais la priorité de l’école est la transmission des savoirs par l’instruction. L’éducation populaire doit aussi instruire et éduquer mais là, la priorité est à l’éducation… populaire ! C’est toute la différence !
L’éducation populaire est un processus culturel qui mène à une transformation sociale et politique aux fins que tout citoyen, tout salarié, devienne auteur et acteur de sa propre vie. Et dans ce cas, il faut aussi organiser la communication « de bas en haut » (bottom-up) pour que la délibération populaire dégage la demande sociale et politique qui doit guider le processus d’éducation populaire. Bien sûr, la demande sociale et politique peut s’adresser à des conférences publiques pour comprendre des phénomènes complexes ou pour connaître la cohérence d’une pensée complexe d’un grand auteur, tout simplement parce quand le peuple veut comprendre, il n’a pas besoin de présentations simplistes et fausses, car il peut vouloir comprendre la complexité réelle. Mais la demande sociale et politique du peuple peut aussi vouloir s’exprimer pour orienter le travail politique, syndical ou associatif. Et dans ce cas, c’est bien par des processus de libération de la parole « de bas en haut » qu’il faut procéder. Voilà pourquoi le ciné-débat, le théâtre-image, le théâtre-forum, la conférence populaire sans conférenciers, les ateliers de lecture, sont aussi des outils indispensables. C’est bien par des allers-retours fréquents dans les transmissions de discours « de haut en bas » mais surtout « de bas en haut » que nous pouvons à terme collectivement accepter ou refuser un discours ou une proposition.
Répéter , c’est enseigner : l’éducation populaire n’est pas l’éducation du peuple par une élite culturelle « surplombante » extérieure à lui. L’éducation populaire doit restituer au peuple ce qui est issu de lui même, de son histoire, de son vécu, de son expérience, de son savoir accumulé, y compris dans sa dimension « savoir théorique ». Pour cela, mais seulement à sa demande expresse exclusive, il peut demander l’intervention d’un « instituteur de l’éducation populaire », véritable hussard noir de la refondation culturelle de l’éducation populaire.
Par ailleurs, le fonctionnement des acteurs de l’éducation populaire, c’est comme dans le syndicalisme : les militants syndicaux forment les syndiqués après avoir été eux mêmes formés par leurs aînés, syndiqués formés qui deviendront eux mêmes des intervenants et ainsi de suite…. En un mot, l’éducation populaire permet la formation de pairs qui sont et doivent rester dans le peuple « comme le poisson doit rester dans l’eau ».
Promouvoir la diversification des formes de l’éducation populaire
Se mettre au service de la demande sociale et politique sans qu’elle soit instrumentalisée par des médiateurs et dirigeants bénévoles ou professionnels, voilà par quoi il faut commencer. Et quand cette demande sociale et politique s’exprime, la diversification des formes de l’éducation populaire que nous venons d’évoquer est une nécessité pour se mettre au service de cette demande sociale et politique. Voilà qui peut régénérer le travail politique, le travail syndical, le travail associatif. Bien sûr, cela tranche avec la directive du comité central clandestin restreint de l’organisation lambda (chacun reconnaîtra la sienne !) qui répond à une question que le peuple n’a pas posée.
Bien évidemment, le travail d’éducation populaire doit conduire à travailler la cohérence des discours, des pensées, des actions. Voilà pourquoi l’éducation populaire a partie liée avec les principes de la République sociale, tous dévoyés par une Ve République anti-républicaine : liberté, égalité, fraternité, démocratie, laïcité, etc. Voilà pourquoi l’éducation populaire est une œuvre de longue haleine.
Notre conviction pour le XXIe siècle est que la victoire syndicale et politique n’est plus possible sans incorporer, en plus du reste, une éducation populaire libérée du galvaudage de ceux qui devraient la promouvoir. Aujourd’hui, nous appelons les militants à pratiquer d’abord le « de bas en haut » avant de répondre par le « de haut en bas » !