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Égypte : décembre 2012

NDLR – Témoignage et libres réflexions : dans cette nouvelle rubrique « Carnets de voyage », nous vous proposons en plusieurs livraisons les lettres de Ghislain, rédigées entre décembre 2012 et février 2013, en Égypte puis en Tunisie (il quitte ce pays au lendemain des obsèques de Choukri Belaïd).

Lettre 1

Dans l’avion mes voisins sont des bourgeois libanais vivant au Caire. Lorsqu’ils me quittent : « Bon séjour et surtout n’allez pas place Tahrir ! »
Nous arrivons de nuit à 2h 20, pas génial mais quatre banques sont ouvertes et je peux acheter le visa à la banque (15 euros), le policier mettant un tampon dessus sans même regarder !
Le taxi de l’hôtel est là. Nous traversons le Caire à toute allure, ce qui ne peut se faire qu’à cette heure. Le chauffeur me fait une visite commentée, ne met pas sa ceinture, coupe les lignes et grille tous les feux… Il faudra m’y faire : c’est la règle ici ! Je sens et vois la pollution. Le Caire est une des villes les plus polluées du monde .
A 6h du matin il fait encore nuit et – première reconnaissance dans le quartier – je trouve des jeunes qui installent des tables et je peux avoir un café (awa et non pas kawa ici) pour sortir de cette nuit blanche (le vol était 100 euros moins cher à ces heures peu pratiques ).
A 10h je pousse jusqu’à la place Tahrir devenue célèbre. Les tentes occupent l’espace central. Encore peu de monde. C’ est à 5 mn de l’hôtel. Je téléphone à un premier contact, un journaliste à la retraite qui vient à l’hôtel et nous retournons place Tahrir qui a pris un air festif avec ses cafés improvisés, et dramatique avec ses photos de morts et de blessés et ses nombreuses banderoles dont le mot d’ordre le plus répandu est DEHORS ! Nous prenons le thé sur le terre-plein. Ahmed m’invite chez lui et nous prenons le métro construit par une entreprise française et très semblable aux dernières rames du métro parisien. Il n’y a que 2 lignes de métro dont l’une de 43 km. Le ticket est à 1 livre égyptienne, soit 0,15 euro, ce qui en fait un moyen de transport populaire. Il y a des wagons réservés aux femmes, ce qui en dit long sur les difficultés de la mixité. A l’heure de pointe, j’ai failli être renversé par la foule qui a jailli du wagon. De plus les gens veulent monter avant que les autres ne descendent. L’indiscipline est remarquable surtout pour les embouteillages car en surface personne ne respecte les feux ! Une chaîne de télé retransmet les événements avec des caméras fixes dans les trois lieux symboliques de la contestation : Tahrir, le Palais présidentiel et la télé, 24h sur 24 semble-t-il.

Pourquoi venir en Égypte ? (et ensuite en Tunisie). Parce que ce pays donne des signes de santé. L’islam est la religion dominante vivant jusqu’à récemment en bonne intelligence avec une forte minorité copte.
Le courant radical et intolérant qui s’ est développé dans beaucoup de pays depuis la Mauritanie jusqu’à l’Indonésie est né en Égypte au XXe siècle, dans les années 30… les Frères musulmans. Courant qui mêle religion et politique et qui a essaimé sous diverses formes. Appelons-ies Intégristes. Je les ai connus en Afghanistan .
Quand ils n’ont pas le pouvoir, les intégristes font du social pour le gagner et quand ils ont le pouvoir ils font de l’anti-social ! C’est flagrant avec Morsi. Je lis ce jour dans le
Daily News, journal égyptien anglophone, que Morsi vient de passer un décret renforçant la loi contre le commerce de rue, les petits vendeurs qui survivent comme ils peuvent : confiscation de la marchandise, 5 000 livres d’amende et 6 mois de prison. Formidable non, pour un homme qui prétend lutter contre la corruption ? Mais il est plus facile de lutter contre les pauvres que contre la pauvreté !
Mais pire, les intégristes menacent ouvertement la presse. Ils manifestent déjà devant le Centre de presse, contrôlant les identités !
Nasser, un militant qui m’offre un thé place Tahrir, me raconte avec quelle violence ils sont intervenus contre l’opposition la semaine passée, s’acharnant sur des femmes tombées à terre. Personnellement j’appelle ça le nouveau fascisme. Bien entendu on trouve le même fanatisme chez des colons juifs religieux (j’en ai été témoin en Palestine) et chez certaines sectes évangélistes…
Il m’emmène chez sa belle-famille dans un quartier populaire éloigné. Les bâtiments sont très délabrés. Lui a appris le français dans une école chrétienne, bien que musulman. Je fais connaissance avec les beaux-parents, sa femme, leurs 2 enfants, sa sœur et 2 autres enfants. Totalement anti-Morsi.

Lundi départ pour Alexandrie. 3 heures 30 de train à travers le delta du Nil. A l’arrivée, vent violent venant de la mer. Je trouve un hôtel sur la Corniche, très agréable, très propre, tenu par une Égyptienne copte. C’ est la ville des cafés à chicha (narguilé, ici on dit arguilé). J’y vais pour prendre un thé ou un café et l’odeur du tabac parfumé est agréable. Autre agrément surprenant : on y voit des femmes . Au Liban , en Palestine et en Syrie, on n’en voit que dans les cafés bourgeois.
Vers 16h, je prends le tram car on m’a parlé d’ une manifestation. En arrivant je vois un rassemblement bien ordonné près d’une mosquée, des drapeaux verts et les femmes parquées dans un coin. Je comprends que je suis chez les pro-Morsi ! Le seul point commun : les drapeaux égyptiens et les keffiehs… mais c’ est beaucoup moins festif que place Tahrir !
Je prends quelques photos après avoir demandé, par précaution.

Alexandrie, 11 décembre 2012

Lettre 2

DR

Il faudra bien que je voie les Pyramides avant de quitter l’Égypte ! Tout de même un peu de tourisme au Caire, le fameux musée avec des dizaines de milliers de pièces archéologiques depuis les pharaons jusqu’à la période gréco-romaine. Et là, je vois des touristes en nombre, qui arrivent en car. Je les comprends car il n’y a aucune raison de fuir l’Egypte, simplement suivre l’actualité et éviter les trois pôles de la contestation au Caire.
J’ai également visité le « Vieux Caire » accessible en métro. Le quartier copte est protégé par une forte présence policière. Il faut dire que les Coptes ont payé cher la violence sectaire.

Alexandrie est plus agréable, ouverte sur la mer au nord ouest du delta du Nil.
A l’hôtel je rencontre un jeune journaliste italien qui arrive de Tunisie via la Libye. Son récit m’intéresse : c’est ce que je voulais faire en sens inverse. Il a patienté… quatre mois pour avoir son visa de journaliste. Un voyage hasardeux avec pas mal d’ennuis qui ont commencé avec la police tunisienne à la frontière. En Libye il a pris un vol intérieur mais la police lui a tamponné son visa avec un timbre « sortie », ce qui a compliqué beaucoup sa situation à l’arrivée à Benghazi ! Puisqu’il était sorti il devait avoir un nouveau visa ! Totalement kafkaïen ! Comme disait Einstein, les militaires devraient se contenter d’une moelle épinière puisqu’ils n’ont pas de cerveau.

A Alexandrie je demande une rue à un homme en costume, suspectant qu’il parle anglais. Il a passé 8 ans en Algérie et parle aussi français. Après quelques banalités il me demande : marié ? non. Vous avez une femme? non. Des enfants ? non. Une religion ? non. Vous êtes riche ? non. Vous êtes pauvre ? non. Vous voudriez être riche ? non. Vous voudriez être pauvre ? non.
L’homme est un peu décontenancé. Il est avocat. Il s’inquiète pour mon avenir. J’éclate de rire. Je voulais découvrir l’Egypte et j’y suis. Des milliards d’humains se débattent pour la survie quotidienne. Je suis privilégié. Mais il voit qu’il n’y a pas de sujet tabou alors il se lance et me dit ne pas comprendre nos lois permissives rapport à l’homosexualité.
Je n’ai pas envie de replonger dans ces faux débats (pour moi) étant hostile au mariage tout court. (Nos pseudo- socialistes feraient mieux de nous dire comment ils vont en finir avec les paradis fiscaux et mille autres choses préoccupantes, présenter la facture à Israël par exemple pour la casse de tout ce qui a été financé par l’Union européenne à Gaza !). Je me contente de lui dire que nous devons respecter les homos et que cela fait partie de la liberté individuelle. Il va chez son tailleur et je l’accompagne car nous sommes presque à sa porte. Le tailleur est embarrassé car il a terminé un costume mais le client est mort ! Décidément « la mort est un manque de savoir-vivre ».

Un tram pour aller vers le fort de Qait Bey au bout de la corniche. Mais le tram est à bout de souffle et bientôt il ne peut plus qu’aller en marche arrière… Je continue a pied . Le Fort est construit à l’emplacement du mythique Phare d’ Alexandrie, septième merveille du monde qui fût détruit par un tremblement de terre. L’endroit est magnifique et on peut le visiter. Quelques touristes égyptiens. Parmi eux une femme très élégante , richement vêtue d’un niqab mais la tête est couverte de noir et tout le reste du corps de rouge (le niqab ne laisse voir que les yeux et je l’ai toujours vu noir). Je ne résiste pas et vais demander – en m’adressant au mari of course – si je peux la prendre en photo . Refus mais avec un sourire. Évidemment je sais que je ne ferai pas de portraits ici sauf exception.
L’exception s’est présentée hier. Arrivée à Port Saïd, ville de l’entrée nord du canal. Le delta étant plat, on voit la ville de loin en bus. D’ abord de grandes girafes d’acier qui semblent brouter sur le toit des immeubles. Ce sont les grues des docks. Enfin une ville plus calme, un gros bourg… de 500 000 habitants tout de même ! En me promenant le long du canal je croise un couple d’ étudiants et c’est la fille qui m’aborde, maîtrisant mieux l’anglais que son ami. Lui nous prend en photo puis à mon tour je les prends ensemble puis elle seule. Ils me montrent leurs cahiers.
A Alexandrie une jeune fille m’avait proposé une cigarette dans un cyber-café et une mendiante m’avait demandé si je lui payais un thé dans un café populaire (ça m’avait fait plaisir qu’on la laisse s’attabler avec moi). Conversation limitée puisqu’elle ne parlait que l’arabe. J ‘avais bien fait un an d’arabe autrefois avec un prof algérien qui nous enseignait l’arabe dialectal mais c’est loin et le vocabulaire est souvent différent. Me restent compter et les formules de politesse.

Train de Port Saïd à Ismaïlia au sud. Mon wagon est vide à part un vieil homme. Plus tard deux femmes montent avec des enfants. Elles m’offriront des graines de tournesol. Vous voyez les occasions de parler à des femmes sont si rares que je ne les oublie pas .
A Ismaïlia mon guide Lonely Planet indique le Travellers Inn comme pas très reluisant mais bien situé juste en face la gare. Je prends une chambre avec salle d’eau. Sordide. Je n’essaie même pas la douche et ne me raserai pas en l’absence de miroir. J’ai heureusement un « sac à viande » en soie venant du Vietnam. Il me protégera du drap et la capuche du moustique qui maraude. D’ habitude je laisse un cadeau pour la personne qui fait la chambre mais là, qui trouverait le cadeau ? En bas par contre une cafétéria sympa. Un jeune travaillant pour l’administration du canal a envie de parler. Il est très moraliste et me tient un discours contre l’alcool. Comme exemple il me parle de ce tueur norvégien qui a fait un massacre « sous l’emprise de l’alcool ». Je luis dis que c’est peu crédible, que s’il avait été saoul il n’aurait pas pu abattre 78 personnes de sang-froid, qu’il est nazi et fier de l’être. Que son idéologie est fondée sur le racisme… Puis discours sur le Coran. J’en profite pour lui parler lecture. Peine perdue. Inquiétant ceux qui ne lisent qu’un seul livre, fût-il saint.
Ce qui n’enlève rien à sa gentillesse et à cette tradition d’ accueil qu’on retrouve partout ici et que nous avons largement perdue en Europe.

Échec pour passer à Gaza
Bus pour El Arish au nord du Sinaï. Je veux si possible aller jusqu’à Rafah à la frontière avec Gaza. Nous passons un immense pont suspendu qui enjambe le canal et… nous voici en Asie. Le nord du Sinaï est un désert de sable avec de temps en temps des palmiers, de rares arbres , des buissons , des dunes,des villages et des villes et une forte présence militaire. Postes statiques fortifiés avec des blindés de couleur sable.
Mon voisin de bus est un Palestinien. Il parle autant d’anglais que moi d’arabe. Je lui montre mon cahier sur lequel il y a l’auto-collant d’Adameer, l’organisation de soutien aux prisonniers Palestiniens et je lui cite les villes visitées en 2009 en Cisjordanie : Jericho, Ramallah, Naplouse, Jenine, Tulkarem…
Il me dit habiter Khan Younes et me propose d’y aller par un des nombreux tunnels. Je suis partant sachant que je ne peux passer par la grande porte qui nécessite une autorisation des Égyptiens conditionnée par une démarche préalable à l’Ambassade de France. Le cinéaste qui a réalisé le film Gazastrophe m’a fait savoir – avant mon départ – que c’était peine perdue. A El Arish nous prenons donc un « service », taxi collectif pour Rafah, la ville qui s’étend des deux côtés de la frontière. Nous débarquons à 80 m du portail et sommes assaillis par des porteurs puis on me propose le tunnel à 100 dollars l’aller simple. Mon guide me fait comprendre qu’il va tout négocier de son côté et bientôt un pick-up vient nous prendre avec sa marchandise, quatre gros ballots. Environ 4 km plus loin en direction de la mer arrêt chez des passeurs. Je laisse faire, la négociation échoue. Plus loin nouvelles tractations et les passeurs font comprendre à mon guide qu’il faut téléphoner au Hamas d’abord. Il pourrait avoir des ennuis en m’introduisant clandestinement. Bref le temps passe et tout échouera. Il me raccompagne au grand portail où je trouverai un « service » pour El Arish. Il a deux femmes et dix enfants ! Je déleste un peu mon sac à dos de vêtements, médicaments, couteaux de cuisine… Il m’embrasse et nous nous quittons. Une belle occasion manquée de peu. Avec les autres qui ne veulent que du fric je pense que ce serait une galère pour aller à l’hôtel sans légalisation du séjour. A part ça je n’ai pas vu de fusées Sam mais des camions lourdement chargés de ciment !
Sur le retour vers El Arish nous sommes contrôlés deux fois par la police. Ils demandent… s’il y a des Palestiniens dans la voiture ! Et il y en a un, c’est donc lui qui se fait éplucher ses papiers ! Vive la solidarité avec la Palestine ! Quant à moi, Fransa ? Welcome !
A El Arish , après quelques difficultés avec les deux taxis empruntés ce jour ( bien que je négocie tout avant le départ les problèmes viennent souvent des taxis) j’arrive à l’hôtel Macca (La Mecque) ambiance austère , que des mecs , la télé : une seule chaîne religieuse et quand on prend l’ascenseur on déclenche une musique religieuse ! mais chambre très propre et je n’y passe qu’une nuit .
Le lendemain de nouveau Ismaïlia mais je ne retourne pas au Travellers Inn ! Arrivé à Suez ce midi après 3 heures de train et des discussions avec un groupe d’étudiant(e)s. Je n’ai pas vu un étranger depuis des jours, la zone du canal est donc un bon itinéraire !

Suez, 19 décembre 2012

A suivre…

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