Mardi 23 mars, et pour la quatrième fois en deux ans, les Israéliens étaient appelés aux urnes. Le résultat s’apparente à une victoire en demi-teinte pour le Likoud, le parti de droite du Premier ministre sortant. En effet, avec un peu plus de 23 % des voix, Netanyahou n’a pas fait le plein. Visiblement, l’usure du pouvoir et une scission au sein de son parti ont joué contre lui. On peut aussi constater le fort taux d’abstention, assez inhabituel en Israël pour les élections législatives. Il est aussi possible que les conséquences économiques de la Covid-19 aient joué en sa défaveur. Les petits artisans, commerçants et professions intermédiaires, soutiens traditionnels du Likoud, ont particulièrement souffert de la crise sanitaire.
Pourtant, sur le papier, Netanyahou bénéficiait d’un atout maître : l’incohérence de son opposition. Car, en termes de programme et de vision politique, Netanyahou n’a pas d’adversaires réels, et cela malgré l’augmentation des inégalités sociales, l’influence grandissante des partis religieux et la stagnation totale du processus de paix avec l’Autorité palestinienne.
Face à des éléments de bilan positifs du gouvernement…
Objectivement, le vrai atout du premier ministre sortant est, bien sûr, la situation réelle de son pays qui présente un certain nombre d’éléments favorables.
Le bilan économique, politique et sanitaire est plutôt positif. Sur les 12 dernières années de gestion, la croissance du produit intérieur brut (PIB) a oscillé entre 3 et 4 %. En comparaison, dans le même temps, la France se situe en moyenne et suivant les années entre 0 et 1,5 %. C’est bien évidemment le high-tech qui a permis cette performance puisqu’aujourd’hui ce secteur d’activité représente près de 20 % de l’activité économique du pays. Ce dynamisme a entraîné une baisse du chômage inédite, créant même une situation de pénurie d’emplois quasi générale (autour de 2,5 % de taux chômage).
Ainsi, dans les années 2010, Israël a dépassé la France en termes de produit intérieur brut par tête d’habitant (Israël PIB par tête 2010 : 23 213 euros, France 2010 : 30 690 euros; PIB Israël 2019: 38 953 euros, France 2019: 35 960 euros).
Sur le plan politique et sécuritaire, le bilan apparaît aussi positif car Israël est resté à l’écart du terrible conflit syrien, préservant de bons rapports avec la Russie de Poutine, alors même que l’aviation russe est maîtresse du ciel syrien. Par exemple, lorsque Tsahal bombarde des bases des Gardiens de la révolution iraniens en Syrie, c’est avec l’assentiment de l’état-major russe à Damas, une performance de très subtile diplomatie s’il en est ! Plus généralement, Netanyahou a su maintenir d’excellents rapports aussi bien avec les USA de Trump qu’avec la Russie de Poutine ou la Chine de Xi Jinping. Enfin, l’ouverture de relations diplomatiques avec certains pays arabes comme les Émirats Arabes-Unis, le Soudan et surtout le Maroc est une étape très positive, ressentie comme telle par nombre d’Israéliens et même parmi la communauté arabe du pays.
La pandémie de la Covid 19 a bien sûr entraîné une récession en 2020, mais dans des limites admissibles : – 2,4 % (et – 8,3 % pour la France !). Surtout, la campagne de vaccination massive menée de décembre dernier à mars 2021 a fait sortir le pays du confinement alors que l’Europe reste confrontée à une augmentation de la diffusion du coronavirus. En termes de pertes humaines, le bilan est lourd mais sans rapport avec un pays comme la France. En nombre de décès rapportée à la population adulte, les 6 000 morts israéliens correspondraient à plus ou moins 40 000 morts en France, alors que notre bilan réel est de plus de 94 000 décès.
… une opposition fragmentée et dépourvue de projet
Ainsi Netanyahou, dit Bibi, partait avec une avance certaine pour ces élections. En fait, il n’a pas réussi à capitaliser son avantage initial et devra trouver une majorité en marchandant les postes ministériels… « comme d’habitude », diront certains. Or, au lieu de renforcer son unité, son opposition politique n’a jamais été aussi fragmentée et peu cohérente. Les inculpations pour corruption du Premier ministre sont les seuls défauts de la cuirasse de ce politicien rompu à l’art de la tactique.
Le grand problème de l’opposition est de n’avoir aucun programme cohérent en dehors du « tout sauf Bibi ! ». La gauche qu’il s’agisse du parti travailliste, déjà discrédité par sa participation au gouvernement d’unité nationale avec le centre gauche de l’ancien chef d’état-major Gantz, et le Meretz, héritier de l’extrême-gauche sioniste, ne se sont pas correctement positionnés ni sur la question sociale ni sur la question laïque. Le faible taux de participation a tout de même permis à ces deux formations de franchir le seuil d’éligibilité, les sauvant du désastre.
Pourtant, la gauche avait des arguments de campagne : les fruits de la croissance soutenue n’ont pas été répartis de manière égalitaire et de nombreux Israéliens vivent dans de mauvaises conditions matérielles. La population avait déjà montré son exaspération lors du « mouvement des tentes » en 2011, occupant pendant des semaines l’avenue Rothschild, la plus chic de Tel Aviv, avec des centaines de tentes. Au cri de « le peuple exige la justice sociale ! », des centaines de milliers de personnes avaient parcouru les rues. Le moins que l’on puisse dire, c’est que la gauche n’a jamais su capitaliser ce profond mécontentement.
Par ailleurs, la question laïque n’est soulevée que par un parti russophone plutôt à droite sur le plan économique et sécuritaire, Israel Beteinou d’Avigdor Liberman. Sur cette question aussi, une grande partie de la population ne supporte plus la mainmise religieuse sur les aspects de la vie civile, comme le mariage ou le divorce, ou encore le fait d’exempter les étudiants religieux du service militaire d’une durée de deux ans et dix mois. Il faut savoir que près de 40 % des mariages israéliens ont lieu à l’étranger pour contourner le rabbinat central… C’est dire la lassitude des citoyens face au pouvoir religieux sur l’état-civil ! Or, la gauche est incapable de mettre à l’ordre du jour de son programme la seule mesure qui s’imposerait : « la séparation des religions et de l’État ».
Après son succès en demi-teinte, Netanyahou devra donc constituer une alliance majoritaire. La ligne de plus forte pente serait qu’il rassemble les partis religieux et ceux de l’extrême-droite pour former un gouvernement homogène réactionnaire. Toutefois, il semble que le compte n’y est pas, à une ou deux voix près. Il n’est pas impossible, pour trouver une jointure et arriver au seuil fatidique de 61 sièges, qu’il négocie avec le parti arabe néo-islamique Ra’am et l’intègre à son gouvernement… car rien n’arrête Bibi dès qu’il s’agit de combinazione bassement politicardes !
Dans ce cas de figure, le processus de paix, déjà au point mort depuis des années, serait définitivement enterré. Le fait d’empêcher la création d’un véritable État palestinien est potentiellement une erreur stratégique pour l’avenir d’Israël en tant que projet national. Fin tacticien, Netanyahou repousse aux calendes grecques les choix stratégiques fondamentaux. Avec ce leader encore au pouvoir, ce refus, parfaitement assumé d’ailleurs, de trancher et de faire la paix définitive avec un État palestinien restera le talon d’Achille des futurs gouvernements d’Israël.