Dans la panoplie des dispositifs de la politique de l’emploi, on trouve depuis quelques mois deux nouvelles mesures, les « emplois d’avenir » et les « contrats de génération ». La seconde – un appariement entre un junior et un senior – n’en est qu’à son tout début alors que la première – un emploi de un à trois ans plutôt fléché sur le secteur non-marchand – semble peiner à atteindre sa vitesse de croisière. L’une et l’autre mesures participent d’une conception intelligente : d’une part pour les contrats de génération, la transmission intergénérationnelle ; d’autre part pour les emplois d’avenir, l’équité puisqu’ils sont réservés à des jeunes peu ou pas diplômés. Pour ces derniers, la filiation avec les « emplois jeunes » est patente si ce n’est, précisément, cette caractéristique au bénéfice de jeunes moins dotés scolairement ainsi qu’une vigilance sur la formation : il ne s’agit pas de reproduire le syndrome du « CES (contrat emploi solidarité) à la photocopieuse », c’est-à-dire le pseudo-salarié quasi-surnuméraire à qui incombait les tâches répétitives, occupationnelles, inintéressantes pour les « vrais » salariés. Il faut également remarquer que les emplois d’avenir rompent avec une conception économique étroite dont le Graal est exclusivement l’entreprise du secteur marchand en reconnaissant aux autres économies, publique et sociale, un rôle dans la production de richesses et, subséquemment, une capacité à employer et professionnaliser des salariés. L’étude longitudinale des politiques de l’emploi, une cinquantaine d’années, révèle d’ailleurs qu’un marqueur des gouvernements de gauche a toujours été ce couple « économie non marchande – formation » », avec l’idée d’utilité sociale, alors que celui des gouvernements de droite, depuis les « plans Barre » des années soixante-dix, est la diminution du coût du travail via les exonérations… ce qui a fait entrer dans les têtes de tous, employeurs en premier lieu, qu’un jeune « vaut » moins qu’un adulte, qu’il est une dépense, pas un investissement. L’option de l’économie non marchande n’est cependant pas exempte de risques, singulièrement en sortie de mesure : beaucoup d’associations ne disposent pas d’une autonomie financière suffisante pour pérenniser les emplois aidés et, compte-tenu d’une très faible porosité, la transition vers l’économie marchande se révèle difficile.
S’agissant des emplois d’avenir, les missions locales sont au feu, en front-line. Créées en 1982 à partir d’une commande de Pierre Mauroy, elles constituent aujourd’hui le premier réseau en charge de l’insertion des jeunes : plus d’1,3 million « 16-25 ans » y sont reçus chaque année par 11 000 professionnels pour être accompagnés dans leur parcours, leur maillage territorial avec 3 500 lieux d’accueil étant plus dense que celui de Pôle Emploi et garantissant une offre de proximité, une accessibilité pour des jeunes parfois isolés dans des quartiers d’excentricité spatiale et sociale ou dans des zones rurales reculées. Depuis la loi de cohésion sociale de 2005 et son article 13, elles ont la responsabilité de la mise en œuvre d’un nouveau droit-créance, le droit à l’accompagnement.
Dès lors, avec une telle organisation et également avec un tel actif historique constitué, on peut se demander pourquoi les emplois d’avenir peinent à prendre leur vitesse de croisière. Tentons, à coup sûr incomplètement avec la contingence d’une simple contribution, d’apporter quelques explications.
Les premières ont à voir avec les contextes territoriaux, les secondes avec les jeunes, les dernières avec les missions locales elles-mêmes.
Les contextes territoriaux
Ainsi, lorsque Le Monde du 30 mai 2013 publie une carte de France avec les taux de contrats d’emplois d’avenir signés, les départements étant classés de « moins de 7% » à « 30% ou plus » de leurs objectifs (en fait ceux de l’État), ces résultats ne peuvent être compris sans négliger pour le volet de l’économie publique l’adhésion ou non des collectivités à la mesure : si préfets et sous-préfets ne ménagent pas leur peine pour la promotion des emplois d’avenir, l’adhésion des exécutifs locaux est évidemment variable selon leur proximité avec cette politique d’un gouvernement… de gauche, exception faite de la tentation clientéliste : 2014 sera l’année des élections municipales et l’embauche de jeunes en emploi d’avenir sera une aubaine. Le fait est banal, on l’a connu pour d’autres mesures. Ajoutons à ce facteur idéologique les caractéristiques de richesse des collectivités, institutions et territoires : toutes choses ne sont pas égales par ailleurs et créer des emplois publics ou parapublics dans des territoires atones ou – rares – encore dynamiques n’offre évidemment pas les mêmes opportunités. Ainsi les résultats bruts n’ont aucune signification dès lors qu’ils ne sont pas corrélés aux données de contexte.
La problématique des jeunes eux-mêmes
Rappelons, à ce propos, que la pression quantitativiste et l’obligation de résultat imposées aux missions locales, plus généralement à tout le secteur social, négligent deux paramètres aussi essentiels qu’exogènes : ces dernières ne créent pas d’emplois, tout au plus changent-elles l’ordre dans la file d’attente des demandeurs d’emploi, pas plus que ce sont elles qui décident d’aller ou non travailler. Nous l’avons dit à moult reprises : l’obligation de résultat est, dans le champ du social et dans la relation interpersonnelle, un non-sens théorique alors que la culture du résultat est une obligation déontologique… qui, d’ailleurs, ne constitue pas un problème puisque, en trente ans, jamais nous n’avons rencontré un professionnel qui ne cherche pas à être efficace, utile.
La perspective des jeunes est complexe, tout d’abord parce que cette généralisation est sans doute abusive mais, surtout, parce que se produit sous nos yeux une mutation de fond dans le rapport à la valeur travail. Bien entendu, la grande majorité des jeunes demandeurs d’emploi cherche à travailler mais, faisant de nécessité vertu, ceux-ci ont secondarisé la valeur travail : une grande enquête de la JOC (2011, 6 028 jeunes « 15-30 ans ») démontre que « faire une belle carrière professionnelle » n’arrive qu’en cinquième rang des aspirations des jeunes (« réussir sa vie »), bien après « avoir de bons amis », « disposer de temps libre », etc. Que fait-on de cela ? Et que fait-on de la chimère, queue de comète des Trente Glorieuses, du CDI, de la carrière ? Poursuit-on sur la lancée d’un projet professionnel robuste, stable, linéaire, sanctionné par « l’accès à l’emploi durable »… pire, par l’oxymore de « l’accès rapide à l’emploi durable » alors que les faits têtus disent « accès lent à l’emploi précaire » ? Faute de grives, c’est-à-dire d’emplois de qualité, de plus en plus de jeunes mangent des merles, petits boulots dont le seul intérêt – non négligeable toutefois – est instrumental (la « thune »), économie de la débrouille sur la crête de l’économie de la magouille, centrage sur le présent et l’immédiat, le projet devenant abstrait, stratégie de contournement des « intermédiaires » traditionnel au bénéfice du Bon Coin… Ainsi naît le nouvel acronyme « NEET » (Neither employed nor in education or training), 17 % des « 15-29 ans », au sujet desquels Le Monde du 1er juin 2013 titrait : « Ces 900 000 jeunes inactifs découragés de tout. Résignés, écrasés par le sentiment de l’échec assuré, ils n’étudient pas et ne cherchent pas pour autant du travail. » Presque un jeune sur cinq… et, compte-tenu des usagers des missions locales ainsi que du public ciblé par les emplois d’avenir, une proportion bien plus importante parmi celles et ceux susceptibles d’être bénéficiaires de cette mesure.
L’embolie des missions locales
Alors que nombre d’entre elles fêtent leurs trente ans, force est de constater que, malgré ces décennies, la stabilité que l’on attendrait, a fortiori avec leur institutionnalisation, n’est pas leur caractéristique première. Les rapports parlementaires et des grands corps se succèdent et, à vrai dire, il y a peu d’exemples d’organisations autant surévaluées comme si, alors que personne ne conteste leur mission (« un impératif national », répète-t-on à l’envi), une défiance permanente justifiait qu’on les ausculte à répétition, toujours avec le critère d’efficience (alors qu’elles coûtent peu) et toujours en termes exclusifs de résultats.
Or que se passe-t-il pour ces missions locales ? Elles mettent en œuvre les politiques publiques de l’emploi et de la formation et tentent, ersatz de leur identité historique, de glisser dans ce travail un peu d’humanité et d’intelligence systémique en prenant en compte des dimensions dites abusivement « périphériques » de l’insertion telles que le logement, la santé, la citoyenneté (comme si disposer d’un toit, ne pas être malade ou jouir de ses droits était accessoire, secondaire !). Mais les politiques publiques s’empilent, les nouvelles ultra-prioritaires, justifiées par l’urgence de la crise mais également par le risque de la sanction des urnes, ne remplaçant pas les anciennes toujours prioritaires : ANI, PPAE, CIVIS, emplois d’avenir, contrat de génération. Et, de soixante jeunes accompagnés par conseiller-ère, on en arrive à deux cents, trois cents… dans un marché du travail asymétrique en récession où, tout simplement, il n’y a plus d’offres et où le nombre de jeunes demandeurs d’emploi augmente. Ajoutons à cette embolie, cerise sur le gâteau, des financements stagnants (« à moyens constants ») ne prenant même pas en compte le « GTV » (glissement technicité-vieillesse) : concrètement, il faut toujours en faire plus sans reconnaissance salariale, ni perspective de mobilité professionnelle… de quoi éroder les plus vaillants, celles et ceux qui, y croyant, ont encore dans leurs yeux l’étincelle – vacillante – de l’engagement.
Contrairement à l’idée reçue, les missions locales sont dociles, sans doute trop. Nul doute qu’elles s’investissent dans la réussite des emplois d’avenir et qu’elles parviendront globalement au succès de cette mesure. Toutefois celle-ci n’est qu’une « mesure » – un objectif de 100 000 emplois alors que, chaque année, 120 000 jeunes arrivent sans diplôme ni qualification sur le marché du travail : sous le tapis, sont glissés les enjeux majeurs tels que, par exemple, le partage du travail, l’emploi de qualité (question désormais presque indécente : « on prend ce qu’on a… »)… Là encore, du temps, donc des moyens. Ce qui n’est plus une tentation mais qui est une habitude, côté financeurs, est de distiller ces moyens au coup-par-coup : syndrome du « plan de relance », appels à projets, part variable… toujours dans l’urgence… une urgence structurelle depuis quarante ans (Les exclus de René Lenoir, 1974) et désormais à 9 sur l’échelle de Richter. Avec, en fond de paysage, l’idéologie de la flexibilité : sécuriser les financements reviendrait à encourager le confort et un moindre investissement des professionnels.
Quelques réflexions pour finir
On aimerait, juste pour voir, « pour du beurre » mais au titre de la cohérence et de l’exemplarité, limiter les salaires, primes, émoluments et multiples avantages des décideurs à un an, renégociables au vu de leurs résultats. Au lieu de cela et, à l’inverse, sans surtout se presser ni vouloir changer quoi que ce soit, on voit les édiles rallonger le temps de leurs privilèges, on entend un ministre reconnaître benoîtement avoir perçu mensuellement 10 000 euros en liquide, on lit que, selon le président de l’Assemblée nationale, la transparence serait une « politique de la pureté [qui] conduit tout droit à Robespierre et à Saint-Just »… Là également, on perçoit une urgence… qui n’est pas celle de répondre à l’urgence sociale des cinq millions de chômeurs, de la paupérisation et des inégalités : elle est celle, jusqu’à inévitablement basculer dans le précipice où est tapie la bête immonde, de la cupidité à laquelle l’illusionnisme rhétorique ajoute l’indécence. Le 4 août est dans moins de deux mois.