Rubrique « Cinéma » en collaboration avec l’association 0 de Conduite
En pénétrant dans les différents abattoirs industriels de Bretagne et de Normandie, Manuela Frésil s’est attelée à une des tâches les plus périlleuses et aussi l’une des plus tabous du cinéma, celle de filmer le travail, et pas n’importe quel travail. Le travail à la chaîne qui impose à un prolétariat, dont les démocraties modernes et éclairées proclament fièrement qu’il n’existe plus, des gestes mécaniques, à la cadence effrénée et sans temps mort (1)Historiquement, l’abattoir a joué un rôle important dans la mise en place du taylorisme. Ford confiera plus tard qu’il s’était inspiré des abattoirs de Chicago pour instaurer cette « organisation scientifique » sur ses chaînes de montage automobile.. Car si la bête entre dans ces usines pour y être tuée, désossée, découpée et emballée, l’ouvrier, quant à lui, y pénètre pour y être modelé par un mouvement unique, conditionné par le rythme imposé de la machine pour finir usé dans un quotidien hanté par un travail qui ne trouve aucun sens, si ce n’est celui de survivre avec le vague espoir d’en sortir.
Sans tomber dans un rapprochement simpliste et insensé entre les conditions de l’animal et de l’ouvrier, la réalisatrice révèle un au-delà de l’exploitation résidant dans la destruction même de la force de travail. Pour cela, le film repose essentiellement sur les contrastes.
A l’image, c’est un regard qui prend son temps face à l’agitation du travail. Le temps long des plans permet de fouiller les lieux confinés, de glisser d’un corps animé à un visage concentré ou à un geste répétitif. Ce temps qui dure permet à l’image de dépasser son caractère descriptif pour débusquer la cruelle absurdité des situations. De ces images émane le bruit assourdissant des machines, enfermant chaque ouvrier dans son propre silence, nul moyen d’échanger sur leur destin commun sans horizon, miné par les maladies musculo-squelettiques auxquelles personne n’échappe et dont il est fait régulièrement mention dans les témoignages. Car aux images muettes répondent en contre-point des voix off constituées à partir d’entretiens recueillis auprès d’ouvriers qui mettent des mots sur leur souffrance. Expurgés des hésitations et des méandres de la pensée propres aux entretiens, ils deviennent des textes lus par des comédiens. Cette mise à distance par le ton posé des voix accroît la violence de l’image sans tomber dans le piège de la dramatisation.
En recollant les morceaux de ces vies en miettes par un montage exigeant et rigoureux, Entrée du personnel recompose un unique et même récit aujourd’hui nié, celui de la brutalité d’un système économique mortifère.
Entrée du personnel
Réalisatrice : Manuela Frésil
France, 2011. 59 min.
Distributeur : Shellac
Notes de bas de page
↑1 | Historiquement, l’abattoir a joué un rôle important dans la mise en place du taylorisme. Ford confiera plus tard qu’il s’était inspiré des abattoirs de Chicago pour instaurer cette « organisation scientifique » sur ses chaînes de montage automobile. |
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