André Tosel, Essais pour une culture du futur, Editions du Croquant/ Espaces Marx, 2014, 8 €
Le dernier ouvrage d’André Tosel ne prétend pas remplacer les études spécialisées sur la mondialisation capitaliste. Il propose une analyse claire et ramassée à tous ceux qui ne renoncent pas au projet d’émancipation et de solidarité quand la logique de la privatisation « fait la loi aux lois du droit public ».
Tosel rend compte du fonctionnement du nouveau « système monde » constitué autour d’une caste transnationale qui a construit l’infrastructure de la mondialisation capitaliste (Banque mondiale, Fonds monétaire international, agences de notation) et développé un système mafieux structurel (paradis fiscaux, rémunérations hors normes des directions, diktats des actionnaires).
L’ouvrage montre comment ce système global s’est installé dans les États devenus agents stratégiques de cette gouvernance privée, dépourvue de légitimité démocratique et dispensée de responsabilité civique. Sous le matraquage de la « réforme de l’État », il faut comprendre que les États sont sommés de se conformer aux impératifs d’une dérégulation généralisée. Ils se vident de leur légitimité sociale en opérant une refonte du droit du travail hostile aux travailleurs et en démantelant les systèmes de protection sociale et de retraite. Ils imposent une fiscalité favorable au capital au prétexte de compétitivité. Une catastrophe comme l’ouragan Katrina fut l’occasion d’un racket de la manne publique par les banques et les entreprises privées.
S’est ainsi constituée une nouvelle classe dominante, « dénationalisée sans être vraiment cosmopolitique », corrélative à l’apparition d’une « nouvelle classe de subalternes » (salariés endettés, précaires, chômeurs, migrants, personnes souffrant d’insécurité sociale et de relégation urbaine). Lucide, Tosel observe que « la disproportion entre les deux classes a pris des proportions énormes ».
Ce système de domination se légitime par une conception du monde, que Tosel nomme « imaginaire néo-libéral », qui réduit la liberté à la liberté privée d’entreprendre et d’accumuler sans fin des profits financiers. Selon cette idéologie, le Monde est Concurrence, Affaire et Commerce, et le droit d’exister n’appartient vraiment qu’aux gagnants. Les individus sont appelés à devenir managers d’eux-mêmes et à se transformer sans cesse pour ne pas être lâchés par un monde impitoyablement compétitif. André Tosel montre comment cette idéologie du capitalisme contemporain capture à son profit la « plasticité humaine », c’est-à-dire la capacité des hommes à se transformer en transformant leurs conditions d’existence. Ainsi, demande-t-on aux salariés de s’auto-évaluer et, le cas échéant, d’intérioriser la nécessité de leur licenciement dès lors qu’ils constatent eux-mêmes qu’ils ne sont plus performants.
Ce système destructeur de démocratie et d’humanité engendre deux types d’oppositions. Le « conflit identitaire, d’abord, se réclame d’une communauté traditionnelle d’appartenance et oppose un « nous » exclusif à un «eux » potentiellement ennemis. À l’inverse, le « conflit social » vise le partage d’un monde commun à partir de luttes pour une vie plus sûre, un travail allégé et une puissance de parole accrue. L’analyse du conflit de ces deux conflits est l’une des meilleures de cet ouvrage. Tout au long des trois essais qui composent son livre, André Tosel élabore des concepts qui aident le citoyen commun et le militant ordinaire à comprendre un monde stupéfiant, et à penser rationnellement les conditions de l’émancipation personnelle et collective.
Une bonne bibliographie clôt ce livre d’éducation populaire.