Europe : comment trouver la « sortie de secours » sur la gauche ?

Accélération et clarification de l’histoire

L’histoire vient de montrer la justesse des deux articles du dernier numéro de ReSPUBLICA, l’article « A la une »  et la chronique d’Evariste. Nous venons de vivre les 23 et 26 juin dernier deux suffrages populaires plein d’enseignement : le Brexit britannique et la continuation du recul du parti socialiste espagnol mais pas encore dépassé par l’alliance de gauche anti-austérité Podemos-Izquierda Unida.

Il va donc falloir intégrer plusieurs enseignements si l’on veut enfin construire une gauche de gauche sur les décombres de la gauche de la gauche.

La décomposition de la gauche de la gauche française a franchi un nouveau seuil

Le Parti communiste a mis la veille du vote du Brexit britannique à la Une de l’Huma la vidéo suivante https://www.youtube.com/watch?v=KxHiR5s5lDA où un journaliste proche de la direction du PCF développe l’idée que la sortie de l’Union Européenne « ferait monter les périls nationalistes en Europe » et que la solution serait de rester dans l’UE et la zone euro pour mener ultérieurement une politique progressiste anti-austérité. Il persiste dans l’illusion de l’UE sociale. Alors que l’UE, la zone euro et la stratégie de Lisbonne (1)A ne pas confondre avec le traité du même nom, la stratégie de Lisbonne comporte les lignes directrices intégrées -LDI- et les plans nationaux de réforme -PNR- à remettre tous les ans. sont des carcans constitués pour empêcher toute politique progressiste anti-austérité. Conformément à l’analyse de la dernière chronique d’Evariste, c’est bien la classe populaire ouvrière et employée du Nord et du centre de l’Angleterre et du Pays de Galles qui a permit le Brexit contre les positions des trois leaders européistes, Cameron pour le parti conservateur, Jérémy Corbyn pour le parti travailliste et Nicola Sturgeon du Parti national écossais. Répéter c’est enseigner : il n’y aura plus jamais dans l’avenir de politique progressiste contre la classe populaire ouvrière et employée majoritaire en Grande-Bretagne ou en France. Une politique progressiste est possible sans la classe populaire ouvrière et employée dans les pays sous-développés mais plus dans les pays développés.

Là où la direction du PCF poursuit son erreur historique, c’est que « la montée des périls nationalistes », qui est bien réelle et très dangereuse pour les partisans de l’émancipation humaine, n’est pas due au Brexit mais est due à la conjonction (comme dans les années 30) des lois tendancielles du capitalisme et de l’incapacité de la gauche de la gauche d’être à la hauteur des enjeux (coupure avec la majorité ouvrière et employée, soutien majoritaire à un communautarisme exacerbé, illusion sur la possibilité de l’UE sociale, croyance que l’on peut ne pas tenir compte de toutes les lois tendancielles du capitalisme, faible empathie pour son propre camp, croyance que l’on peut garder le capitalisme sans la finance, etc. Et comme aujourd’hui, le capitalisme n’est plus en mesure de maintenir des taux de profits élevés dans l’économie réelle mais ne peut les maintenir que dans la spéculation financière internationale, il ne peut plus y avoir de politique progressiste dans le capitalisme. Même si c’est éloigné des positions de TF1, France 2, BFM et Itélé, chaque événement nouveau nous donne des arguments nouveaux pour cette thèse. Comprenons que la poussée des extrêmes droites est comme dans les années 30, l’alternative néolibérale possible pour le patronat si l’alternance sans alternative des partis socialistes et de droite ne réussit plus à faire de plus en plus d’austérité. Répéter, c’est enseigner : aujourd’hui, le capitalisme ne peut plus survivre sans l’intensification toujours plus brutale des politiques d’austérité. Et c’est le rôle de l’Union européenne, de la zone euro et de la stratégie de Lisbonne de permettre cette intensification. Et c’est le rôle de l’oligarchie capitaliste (le grand patronat et ses élites politiques, économiques et médiatiques) de décider s’il doit continuer la tactique actuelle où s’il lui faudra changer de tactique. Car il est vrai que dans la période longue qui s’avance, comme dans les années 30, c’est bien une course de vitesse entre une gauche refondée et la future alliance néolibérale d’une partie de la droite et de toute l’extrême droite qui est la bataille de demain.

Plutôt que de geindre sur le Brexit et des sorties de droite et d’extrême droite de l’Union européenne, il nous faut préparer (et pas pour demain matin à 8h 30 comme on le lit et l’entend trop souvent à gauche, y compris dans la bouche de certaines « stars » de la gauche de la gauche ) le moment où une crise paroxystique du capitalisme (on ne sait pas quand elle arrivera mais nous savons qu’elle arrivera car c’est une des lois tendancielles du capitalisme) mettra à l’ordre du jour possible le déclenchement du processus de République sociale qui passera par une sortie de gauche de l’Union européenne, de la zone euro et de la stratégie de Lisbonne. N’oublions jamais que le non de gauche du 29 mai 2005 (31,3 % des votants) fut supérieur au non de droite et d’extrême droite, au oui de gauche et au oui de droite. Si nous arrivons à rompre avec l’hégémonie néolibérale, nous avons de larges atouts basés sur le nombre.

Sur un autre dossier, l’épisode du référendum sur l’aéroport de Notre-Dame des Landes a entraîné Cécile Duflot sur France Inter lundi matin à tenir des propos très dangereux et irresponsables. Elle conteste le référendum perdu car, dit-elle, « le référendum aurait du être un référendum du Grand Ouest et pas seulement de la Loire-Atlantique ». Pourtant, toutes les études montrent que le non à l’aéroport n’existe que dans les quelques dizaines de petites communes directement impactées par les travaux et que, quand on s’éloigne de cet épicentre, le oui l’emporte. Et donc un référendum sur le Grand Ouest aurait sans doute donné un score plus fort pour le oui. Plus généralement, ses propos n’ont pas été clairs sur le rôle de la démocratie. Ce qui a permis à Patrick Cohen de lui répondre qu’elle n’acceptait que les votes qui vont dans son sens ! A cela, elle a été incapable d’une réponse satisfaisante.

Disons-le tout net, pour nous cet aéroport est une construction inutile mais le résultat du référendum montre que la stratégie des écologistes, des écosocialistes et des zadistes de se cantonner à des actions locales et de ne pas pratiquer l’éducation populaire refondée sur le territoire national est une stratégie perdante. Répéter, c’est enseigner : sans bataille et victoire pour l’hégémonie culturelle dans la nation, pas d’avancée sur le chemin de l’émancipation.

D’autant que le peuple se tirerait une balle dans le pied s’il n’était pas le plus grand défenseur de la démocratie. Les partisans d’un projet Laïcité et République sociale ne peuvent que promouvoir le plaidoyer pour la démocratie. Pas le gouvernement représentatif anti-démocratique de Sieyès qui est appliqué aujourd’hui mais la démocratie selon Condorcet et ses quatre conditions. Nous renvoyons le lecteur au livre « Penser la République sociale pour le XXIe siècle » qu’il pourra trouver sur notre site à l’adresse http://www.gaucherepublicaine.org/librairie

Les partis socialistes néolibéraux sont dans une crise profonde qui les pousse vers la marginalisation politique vis-à-vis du peuple

Là encore, répéter c’est enseigner : on ne peut construire une politique progressiste quand de plus en plus, les couches populaires ouvrières et employées (53 % de la population française) et les couches moyennes intermédiaires salariées (24 % de la population française) se détournent des partis socialistes ou assimilés. Pour le Pasok grec, la marginalisation est déjà opérée. Ailleurs, il gouverne avec la droite (comme en Allemagne par exemple) voire l’extrême droite (comme en Autriche dans une région). En Italie, le sémillant « playboy » moderniste Renzi et son Parti démocrate (issu du parti communiste italien) a subi une défaite historique aux dernières municipales où sa politique a permis à l’extrême droite de prendre de grandes villes (Rome, Turin, etc.). En Grande-Bretagne, l’équilibriste Corbyn pourtant élu à la tête du parti travailliste britannique par la gauche populaire et les jeunes, qui fut un espoir pour la gauche, a tout gâché en s’associant à la City et à la droite néolibérale en faisant campagne contre le Brexit. L’électorat populaire du parti travailliste britannique qui a pourtant assuré son élection à la tête du parti, n’a pas suivi ses consignes et a voté pour le Brexit. En Espagne par contre, l’élection de dimanche dernier a vu un nouveau recul historique du parti socialiste espagnol mais il reste le deuxième parti espagnol. Le dépassement par Podemos-IU du vieux parti socialiste n’a pas eu lieu, même si la marge se resserre entre les deux partis. Une fois de plus, nous voyons que l’histoire avance à son rythme et non à celui des impatiences minoritaires. La bataille sera donc plus longue que prévu.

Les partis de la droite néolibérale française devant un dilemme

Le dilemme est le suivant : comment intensifier les politiques d’austérité et rester majoritaire ? Soit s’allier momentanément avec les socialistes en déroute, soit s’allier avec l’extrême droite ! Juppé qui aujourd’hui semble le mieux rassembler les droites veut refaire 2002 avec le soutien des socialistes en déroute comme dans les régionales Paca et Hauts de France. Les trois autres candidats (Sarkozy, Le Maire, Fillon) ont pour l’instant plus de mal pour rassembler les droites (Bayrou a annoncé que dans ce cas, il serait candidat) car leurs projets visent à se rapprocher de l’extrême droite.

Et alors nos tâches !

Nos tâches sont de trois ordres.
1/ D’abord, soutenir et rassembler les salariés et les citoyens contre la loi El Khomri autour du mouvement syndical revendicatif, seul rassemblement populaire majoritaire contre l’austérité et la loi Travail. Sans le développement de cette lutte, rien n’est possible. Le gouvernement Hollande-Valls est placé devant un dilemme : organiser le retrait du projet dit El Khomri, ce qui ne semble pas le choix du président de la République, ou passer en force contre le peuple et être sûr de perdre la prochaine présidentielle comme le néolibéral Lionel Jospin et peut-être pire s’il n’obtient que la 4e place au premier tour.

2/ Puis, élargir à gauche pour la présidentielle autour du rassemblement JLM 2017, seul rassemblement politique de gauche anti-El Khomri et anti-austérité. D’autant qu’il vient de préciser qu’il serait le candidat de « la sortie des traités ».

3/ Enfin, poursuivre et amplifier notre travail de refondation de l’éducation populaire. Pour ce faire, notre travail d’analyse, notre travail sur les discours, nos interventions doivent se faire en toute autonomie par rapport aux organisations du mouvement social et politique sans exception aucune et donc y compris avec ceux que nous soutenons. C’est une nécessité pour que l’on puisse garder l’arme de la critique et la critique des armes.
Notre journal et plus de 350 interventions par an via le Réseau Education Populaire nous permettent d’être un acteur de cette refondation et un acteur de la bataille pour l’hégémonie culturelle. Que ce soit sur l’économie, le social, l’écologie, la laïcité, les services publics, l’école, la démocratie, la protection sociale, l’alternative anticapitaliste « République sociale », le féminisme, les grands auteurs, la stratégie, etc., nous continuerons à maintenir la radicalité nécessaire à l’émergence d’un processus d’évolution révolutionnaire, le sens du rassemblement, du débat démocratique, l’empathie indispensable dans notre camp (sans doute le plus difficile pour certains), et surtout la stratégie des partenariats que nous avons ouverts avec des universités populaires, des universités, des MJC, des structures de formation à l’éducation populaire, des mutuelles, des structures associatives, syndicales et politiques.

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 A ne pas confondre avec le traité du même nom, la stratégie de Lisbonne comporte les lignes directrices intégrées -LDI- et les plans nationaux de réforme -PNR- à remettre tous les ans.