Dans une tribune libre de l’Humanité du 22 septembre 2010, Liêm-Hoang-Ngoc, secrétaire national adjoint du PS, présente les propositions de son parti pour une réforme du financement des retraites. Il s’agirait de recourir à l’impôt (« fiscalisation »), plutôt qu’aux cotisations : « [le projet du PS] fait jouer la solidarité nationale à travers l’impôt (…), à côté des cotisations, dont l’augmentation exclusive (dans une logique pure de salaire indirect) aurait nui au pouvoir d’achat des salariés et à leur emploi dans les PME. »
Or la « fiscalisation » des prélèvements sociaux est un projet 1) économiquement pervers, 2) socialement inéquitable, et 3) fatal à la solidarité.
1 – Pourquoi « économiquement pervers » ? Parce que brisant un lien « économiquement vertueux ».
Explication : les cotisations, fondement principal du financement de la protection sociale en France (hors fonction publique), constituent un prélèvement direct « à la source », sur la richesse créée (« valeur ajoutée » des entreprises). D’un côté, la part du travail : salaires direct et cotisations sociales (patronales et ouvrières) ; de l’autre, celle du capital : « l’excédent brut d’exploitation ». Ce « partage de la valeur ajoutée » est un des enjeux du débat (pas le seul).
Or l’économie « classique » (y compris Marx) a montré que le travail humain productif était la vraie source de la « valeur » économique. La connexion entre l’économique et le social établie par les cotisations est donc, à la fois, socialiste d’inspiration (partager la richesse produite) et profondément « vertueuse » économiquement.
2 – Financer la protection sociale par l’impôt serait socialement inéquitable. Car l’impôt ne frappe que le revenu final des agents économiques, non la valeur créée à la source, et repose à 80% sur les salariés, dépourvus des moyens « d’optimiser » leur fiscalité (voir la CSG, invoquée néanmoins comme modèle par le projet du PS).
Pour les entreprises, au contraire, il y a loin de la « valeur ajoutée » qu’elles produisent au « résultat courant avant impôt » : entre ces deux « soldes intermédiaires de gestion » s’opère l’essentiel de la prédation capitaliste, via notamment les « charges financières » (les prélèvements de la sphère financière), et les « provisions ». Sans oublier, in fine, la rémunération des actionnaires. Tendre la sébile fiscale après le passage de la finance, c’est ne ramasser que des miettes !
Ce serait donc aux salariés de payer la « solidarité nationale ». Et l’on ne parle que de l’impôt direct : la TVA est encore plus injuste… Quant au capital, il verrait mécaniquement s’accroître sa part dans la « valeur ajoutée », et diminuer ses « charges salariales » : merci l’impôt !
3 – Que deviendrait enfin le principe de solidarité ? Rappel : les actifs financent les retraités, non leur propre retraite ; les bien portants (même s’ils ont une santé de fer) payent pour les malades, etc. C’est ce qui permet d’adosser la protection sociale, non au crédit, ni à une « capitalisation » aléatoire (et juteuse pour la finance), mais aux richesses produites « ici et maintenant ».
Les cotisations sociales représentent –à la différence des « salaires directs » -une part socialisée des revenus du travail, et non une « charge de plus pour les entreprises » (même les PME !). Les considérer comme un « salaire indirect » (article cité), est donc impropre, puisqu’elles bénéficient, non à chacun selon son travail, mais à tous selon leurs besoins, via leur affectation au système solidaire.
Ainsi, l’augmentation faible mais « égalitaire » des cotisations patronales et salariales (l’alouette et le cheval ?), proposée par le PS, outre qu’elle masque le transfert à l’impôt de l’essentiel du financement social, interdirait tout rééquilibrage dans la répartition de la richesse créée. Paradoxe : Liêm-Hoang-Ngoc, comme économiste, a contribué à dénoncer le déséquilibre intervenu au profit du capital dans le partage de la valeur ajoutée. Or en la matière, il le sait, l’impôt ne permet d’agir qu’à la marge…
Certes, l’impôt, et en priorité l’impôt direct, à condition qu’il retrouve son rendement et sa progressivité, peut et doit être un instrument complémentaire de répartition plus équitable. Mais la protection sociale, donc les retraites, doit rester liée à la richesse produite, et rendue aux salariés, non étatisée. Financement par les cotisations, et gestion socialisée sont à défendre avec autant d’acharnement que l’âge de départ à la retraite. Les propositions de fiscalisation, au contraire, représentent pour la gauche un danger « de l’intérieur ».