Le double vote utile :
Les ravages du vote utile se font sentir aussi bien à gauche qu’à droite : beaucoup d’électeurs heureux de la campagne de Mélenchon, qui remettait la politique dans le débat, ont finalement pensé que son élection étant improbable, il valait mieux donner de l’élan à celle de Hollande ; le résultat n’est pas sans intérêt puisqu’il fait du président-candidat le premier sortant arrivé deuxième au premier tour. Un désaveu de sa politique et de sa personne assez cinglant pour que ses affidés, s’efforçant de cacher cette vérité, parlent d’un « vote de crise », éléments de langage à l’oeuvre…
À droite, il ne faut pas se leurrer non plus, même si une partie de ses voix de 2007 provenait d’une gauche bo-bo sans exigence doctrinale particulière et peu attirée par la capricante Royal, les ambigüités de Bayrou, son hésitation d’entre-deux tours lors de la précédente élection présidentielle, sa campagne contre les deux favoris des sondages, ont amené une partie de son électorat à voter Sarko sans états d’âme le 22 avril ; il est vrai dès lors que ceux-là ne seront pas une réserve de second tour.
Le FN vs UMPS :
Reste le cas des électeurs du FN : 18 % en moyenne nationale et des pointes vers 30 %, un département (le Gard) dans lequel la candidate arrive en tête avec un quart des votants, cela devrait faire réfléchir les politiciens, politologues et militants divers.
Une première raison à un tel score semble évidente : la dénonciation du bloc UMPS a été confortée par les affrontements feutrés, quant au fond des politiques alternatives qui devraient être conduites ; quelques dérapages de l’UMP ou quelques traits d’humour du candidat PS, contre celui de l’autre camp, ne suffisent pas à persuader l’électorat souffrant de la crise, même s’il « se trompe de colère », comme l’a redit le soir même la candidate EELV, que les partis de gouvernement sont prêts à « renverser la table » et à proposer des solutions crédibles pour redonner de l’emploi et du pouvoir d’achat aux classes populaires, « petits blancs » compris ».
Jean-Luc Mélenchon a été le seul à rappeler que le pouvoir des financiers ne peut s’exercer que moyennant des règles validées par un système étatique, donc d’abord politique ; en revanche quand Marine Le Pen dénonce dans l’UMPS « les deux partis de la finance et de la banque », nul ne croit à la volonté du FN de mettre fin au règne du système sauf précisément une partie de son électorat. C’est à ces électeurs abusés qu’il faut donner un signal fort de volonté réelle de changement.
Les valeurs
Il est singulier que le patriotisme puisse aux yeux de certains être incarné par Nicolas Sarkozy et que celui-ci ose invoquer « l’amour de la patrie au-dessus de toute considération partisane et au-delà des intérêts particuliers » sans que la France entière s’écroule de rire. Éva Joly, relayée dans une seule expression par Ségolène Royal, mais la remarque judicieuse de celle-ci n’a pas été reprise dans la campagne de François Hollande, a été la seule à dire clairement que dans un système de droit et de démocratie le président-sortant aurait d’abord des comptes à rendre à la Justice. Tout fut fait comme si la situation de justiciable potentiel de Nicolas Sarkozy ne devait pas être évoquée. Ce qui en dit long sur les connivences que Marine Le Pen peut dénoncer. Il est vrai que traînent quelques affaires qui éclaboussent, semble-t-il, le PS et l’UMP, mais du moins ne s’agit-il pas de faits touchant des candidats à la première charge de l’État !
Les Français seraient donc jugés par ceux qui aspirent à les gouverner comme assez désabusés pour ne pas être choqués par la collection de scandales inouïs qui caractérise le quinquennat ? Inouïs, car ce que rappellent les uns et les autres, qui contre Mitterrand, qui contre Chirac, n’est rien par rapport à ce qui est en marche accélérée depuis cinq ans, volumes financiers sans commune mesure, blocage et manipulation de l’appareil judiciaire compris. C’est donc bien aussi, une révolution citoyenne qu’il convient de provoquer.
Gagner vraiment contre ce qu’incarne Sarkozy
La personne de Sarkozy n’est rien : même si, dans le rôle de président de tous les Français, il est une erreur de casting manifeste, c’est bien sa politique qui est désavouée par une majorité de Français. Prétendre avoir mis la France à l’abri de la crise, alors que les services publics et les solidarités collectives sont les seuls amortisseurs efficaces et que c’est précisément ces caractéristiques du modèle français que Sarkozy and Co veulent détruire, n’est pas la seule imposture des cinq dernières années. Avoir revigoré le FN essentiellement pour occulter ce bilan fut un jeu d’apprenti sorcier
Le dernier traité européen doit être la dernière trahison d’une classe politique qui se passerait volontiers de toute légitimation électorale par le « souverain ». La post-démocratie ne doit pas avoir d’avenir.
Il est certain qu’une partie des électeurs du FN exprime une souffrance ou une colère, mais il ne faut pas confondre les deux ; lorsque Gilbert Collard dit que ces électeurs en ont assez d’être méprisés, il se conduit bien sûr en populiste, mais il pointe aussi une représentation sociale prégnante dans ce corpus de citoyens. Autrement dit écouter et comprendre n’implique pas une réponse identique pour la souffrance et pour la colère.
Être le président de tous les Français ne se limite pas à dire qu’on s’adresse à eux alors que le concurrent s’adresserait exclusivement à son camp ; Sarkozy est peu crédible comme rassembleur, car il est peu crédible comme candidat du peuple : cela ne doit pas dissuader de mettre en évidence la contradiction évidente entre sa politique constante et son discours actuel. De même la multiplication d’affrontements télévisés, outre la détestable habitude qu’ont les protagonistes de surparler qui rend le spectacle difficilement supportable, revient à discréditer à l’avance l’image de président rassembleur en multipliant les clivages et les oppositions, aussi bien sur des questions de fond que sur des sujets sociétaux, quelquefois secondaires…
Le 6 mai : un jour plus décisif qu’il n’y paraît…
Sarkozy ne cherche qu’à rallier des électeurs, nullement à porter un projet d’unité nationale et de construction de solidarités collectives. D’ailleurs, s’il avait eu un projet pour la France, nul doute qu’il en aurait fait état avant le 22 avril.
Le devoir de François Hollande est donc de répondre à toutes les attentes : celles qui sont au coeur d’une vie sociale harmonieuse, comme l’emploi, le pouvoir d’achat, l’éducation, la protection sociale. Cela ne peut se faire que par une réhabilitation du politique, combattre la crise avec cette arme-là, en France, en Europe, à l’OMC, etc. Celles qui restaurent les « valeurs » de la République dans les réformes institutionnelles nécessaires : indépendance de la Justice, non-cumul des mandats, limitation de durée dans la fonction élective, non-cumul d’emploi et de mandat législatif, y compris pour la rémunération continuée d’une pension de retraite, respect du partage des fonctions entre exécutif et législatif, transformation de la composition du Conseil constitutionnel, allègement du gouvernement, réhabilitation de la Fonction publique, outil au service de la nation.
Le 6 mai, une page doit être tournée, vraiment.