Il est temps pour la gauche de réfléchir à sa stratégie

Le 9 mai 2005 est une première irruption du réel dans le spectacle politicien. Mais cette césure ne suffit pas. Pas plus que la nécessaire critique du social-libéralisme. Il faut étudier les conditions d’émergence d’un bloc majoritaire du peuple pour la transformation sociale. Pour cela, travailler à la convergence politique des couches moyennes, des couches populaires (ouvriers-employés) et des « sans » du lupenprolétariat est une priorité. Regarder le fossé s’accroître entre les couches populaires et les partis de gauche n’est pas très réjouissant. D’où la nécessité du texte ci-dessous pour le débat.

9 thèses pour la transformation sociale: l’important est autant le bout du chemin que le chemin lui-même !


1) La gauche donne aujourd’hui un spectacle décevant: le PS et ses satellites optent pour les primaires dont on connaît la réussite en Italie ou la gauche a été cisaillée par manque de débat sur le programme et la stratégie. Conséquence de ce mode opératoire : la gauche de la gauche est divisée tant sur le fond que sur la stratégie avec un manque de lien grandissant avec le mouvement social et les couches populaires (ouvriers, employés). La droite est unifiée et conquérante malgré la crise et leur politique anti-sociale. Nous ne pouvons pas nous satisfaire de cet état de fait. Nous devons avoir de ce point de vue le « pessimisme de l’intelligence et l’optimisme de la volonté » pour sortir par le haut de cette période par une stratégie à front large.
2) Le problème majeur de la période de crise profonde du capitalisme que nous traversons n’est pas le manque de combativité d’un mouvement ouvrier, ni la volonté d’aller vers la transformation sociale mais l’absence de tout chemin pouvant mener à cette transformation sociale. Croire au déterminisme vulgaire que les luttes et leurs convergences suffisent à produire le chemin vers la transformation sociale est une erreur radicale. A contrario, croire que la transformation sociale peut arriver sans luttes sociales et politiques est une dérive politique.
3) Notre époque est probablement celle qui voit la fin de plusieurs cycles historiques:

  • la fin d’un pli historique démarrant au 16ème siècle avec le renouveau des idées obligeant un questionnement sans fard de toutes les théories anciennes (keynésianisme, marxisme vulgaire, productivisme, bienfait de la croissance, bienfait de la décroissance, économisme, etc.)
  • une crise systémique du capitalisme, ouverte à l’été 2007 et accentuée par le krach bancaire et financier de septembre 2008, dont l’ampleur ne nous est pas encore connue.
  • l’écroulement des partis socialistes, sociaux-démocrates et communistes comme vecteur de la transformation sociale. Les premiers ayant intégré le paradigme des politiques néolibérales, le dernier n’ayant plus le lien avec les couches populaires (ouvriers, employés) qui faisaient sa force dans la période passée.
  • la fin des idéologies qui promeuvent une cause unique aux dérèglements actuels et prévisibles. De ce point de vue, la poussée verte actuelle et la course à l’échalote de tous les partis pour se peindre en vert sont une impasse, même si aujourd’hui l’intégration radicale de la pensée écologique est une nécessité majeure catégorique.

4) La bataille pour la paix redevient une nécessité. Le passage d’un turbocapitalisme sous hégémonie américaine vers une exacerbation mondiale des rivalités entre grandes entités géopolitiques est plus que probable. Nous pensons qu’une transformation sociale ne peut se construire qu’au niveau international et donc tout chemin vers la transformation sociale demande une refondation d’une pensée internationaliste dans un univers de paix.
5) Le centre de gravité des politiques nationales n’est plus à l’intérieur de l’Etat-nation. D’un autre côté, toute velléité de vouloir « revenir en arrière » et de construire une idéologie de « l’âge d’or « est une impasse. Il convient donc de mieux analyser la nouvelle » gouvernance mondiale » : directions des firmes multinationales, associations régionales dans le monde (dont l’Union européenne), associations multilatérales (FMI, BM, OMC, etc.), blocs politico-militaires impérialistes, etc. Il convient de mieux appréhender le mode et le processus de rupture nécessaire pour véhiculer de nouvelles solidarités internationalistes. Il n’est plus possible d’être à la tête d’un des organismes de la « gouvernance mondiale » ou d’un appareil au service de celui-ci et de se réclamer de la transformation sociale.
6) Les dernières élections dans les pays développés montrent l’accroissement du fossé entre les partis de gauche qu’ils soient sociaux -libéraux ou de la gauche de la gauche d’une part et les couches populaires (ouvriers, employés) d’autre part. Pour la France, les couches populaires représentent aujourd’hui la moitié des ménages. Certains altermondialistes ont théorisé le fait que les couches populaires n’étaient plus la force propulsive mais ils en ont conclu que la nouvelle force propulsive serait l’alliance des couches moyennes radicalisées et des sans du lumpenprolétariat. Ils sont dans une impasse. Tout chemin démocratique vers la transformation sociale demande une alliance entre les couches moyennes, les couches populaires et les « sans » du lumpenprolétariat. Le comblement du fossé entre le monde politique organisé et les couches populaires est donc la priorité des priorités.
7) Les idéologies monocausales sont des impasses. Le déterminisme vulgaire du marxisme orthodoxe, les différentes idéologies liés aux économismes, le dogme de la croissance, celui de la décroissance, les pitreries des « ravalements en vert » de la plupart des partis de gauche sociaux libéraux et de la gauche de la gauche, sont autant d’impasses incapables de renouer avec une dynamique sociale raisonnée. Il ne suffit donc pas de prôner la convergence des luttes, , encore faut-il proposer une ligne stratégique qui permet de penser la globalisation des combats démocratiques, laïques, sociaux, féministes, écologiques et républicains. Nous pensons aujourd’hui, que nous devons penser la globalisation de tous ses combats. Le fait d’en oublier un seul pourrait suffire à ne pas entraîner le monde du travail dans une logique de transformation sociale. Cet élargissement de la république sociale chère à Jean Jaurès à une globalisation des combats plus large nous semble conforme aux impératifs de l’heure. Un certain nombre de principes doivent pouvoir être appliqués de façon consciente et approfondie: liberté, égalité, fraternité, laïcité, solidarité, démocratie, sûreté, écologie pour un autre développement, souveraineté populaire. Chacun de ceux-ci, sans exception, doivent être appliqué dans la refondation nécessaire.
8 ) Pour construire le chemin en même temps que l’objectif du bout du chemin, il convient de penser une autre organisation sociale et politique de la gestion des moyens de production et d’échange et de produire les moyens d’y accéder. Aucune mobilisation significative des travailleurs ne demande le retour aux nationalisations bureaucratiques d’hier. Mais voir des organisations syndicales de salariés ou politiques de gauche prôner comme seule solution la recherche d’un « repreneur » de l’usine en dépôt de bilan devient de plus en plus un non-sens qui commence à se remarquer. Nous pensons qu’il convient de permettre aux travailleurs d’avoir d’autres perspectives dans la gestion des entreprises. Nous pensons que la gestion de la sphère économique publique, dont sa surface doit être le produit d’un débat politique raisonné, doit reposer sur des dirigeants élus démocratiquement comme ce fut le cas pour la sécurité sociale de 1945 à 1967, toutes choses étant inégales par ailleurs.

9) Nous faisons notre l’idée d’Antonio Gramsci, à savoir que que la bataille pour l’hégémonie idéologique doit précéder toute transformation sociale. La construction du chemin demande donc de prioriser un travail multiforme d’éducation populaire tourné vers l’action dans une stratégie à front large lié aux batailles économiques, sociales, politiques et institutionnelles. Cette campagne doit comporter des réunions publiques, des stages de formation, des nouvelles pratiques culturelles, voire de nouveaux modes organisationnels dans le but d’accompagner la montée consciente du rapport des forces politiques et sociales.

A chaque période, sa stratégie !


Déclinons les 9 thèses pour travailler aux tâches de l’heure.
Aujourd’hui, nous vivons une période formidable, c’est l’un des rares moments ou la majorité des militants dans l’ensemble de la militance française (et sans doute bien au-delà) est « hors sol », lisez « n’est pas en phase avec les tâches de l’heure ». La propagande néolibérale à la sauce Sarkozy y est pour quelque chose. C’est lui qui fixe le « la » à partir duquel les militants s’ébrouent. Internet, les médias audiovisuels, radiophoniques et presse écrite, la direction du PS, les dirigeants des partis de la gauche de la gauche, les dirigeants syndicaux et associatifs relaient les débats définis par Nicolas Sarkozy (en général pour s’opposer à Nicolas Sarkozy mais en acceptant les cadres du débat fixé par lui). L’impact du « la » sarkozien conduit beaucoup de militants au triptyque suivant: mobilisation militante immédiate, éloignement progressif des militants vis-à-vis des couches populaires, puis désespérance des militants par rapport à des rapports de force insuffisants. Mais cette dernière désespérance se combat chez beaucoup de militants par une accélération du triptyque précédent. Le mouvement perpétuel de la succession des impasses est donc en marche.
En fait, il faut, pour nous, se dégager de cette influence et travailler plus en profondeur. Laissons ceux qui adorent les délices des débats « boboïsants » et « picrocholins » se délecter dans de nombreuses organisations dont c’est la spécialité sans conteste.
Disons-le sans ambages, sans les couches populaires (ouvriers, employés) qui forment la moitié des ménages, le mouvement social et sa représentation politique n’aura pas de force propulsive. Voilà concentré le point focal de ce qui doit être notre action consciente. Même la gauche de la gauche a montré le 7 juin dernier que le fossé entre lui et les couches populaires avait fait un nouveau bond en avant.
Si la bataille pour l’hégémonie idéologique précède la transformation sociale (Antonio Gramsci), la bataille pour le déploiement d’une éducation populaire refondée tournée vers l’action est aujourd’hui la priorité des priorités. Pour cela :

  • Tâche 1 : il convient de convaincre, dans des débats, les militants qu’il faut rompre avec les maladies infantiles (républicains nostalgiques de l’Etat-nation, altermondialistes négligeant la nécessaire prise du pouvoir d’Etat, altermondialistes communautaristes voire en connivence avec les intégrismes, sélection des luttes et refus anti-jaurésien de la globalisation des luttes, sectarisme avec vérité révélée, croyance en une stratégie propulsive hors l’allaince avec les couches populaires, etc.) qui coupent les militants des couches populaires. Pour cela, nous devons construire des débats pour les militants pour les gagner à cette cause.
  • Tâche 2 : il convient de construire des évènements et des initiatives de rassemblement pour une éducation populaire refondée tournée vers l’action (réunions publiques educpop grand public grâce à la stratégie à front large, stages de formation pour rendre la pensée cohérente et dégagée de l’idéologie dominante, c’est-à-dire du sarkozisme et de l’anti-sarkozisme primaire, université populaire locale ou régionale, information et communication sur ces évènements).
  • Tâche 3 : il convient de renouveler notre idéal internationaliste. Rien ne peut plus se faire en dehors du lien dialectique avec les affaires du monde entier. Rien ne se fera sans la république n’en déplaise à ceux qui aiment les maladies infantiles, mais rien ne se fera si on s’enferme à double tour dans la nostalgie de l’Etat-nation. Il faut prendre le bon enseignement de l’altermondialisme et des forums sociaux sans les maladies infantiles.

En conclusion, nous devons lier le bout du chemin avec la construction du chemin lui-même. Laissons de coté les débats « boboïsants » sur le bout du chemin sans la construction du chemin pour y accéder. Nous devons, me semble-t-il, nous spécialiser, dans la construction du chemin (et la construction du chemin commence par la réponse à la question « que fais-je demain matin pour construire le début du chemin » en vue d’accéder au bout du chemin et ne pas se délecter dans les débats « picrocholins » sur la couleur de la maison du peuple dans 325 ans!
Nous devons être des constructeurs, nous devons être, sur le plan symbolique, mais aussi dans l’action concrète, des poseurs de pierres pour construire un édifice, un chemin.
Ces pierres seront les évènements et les initiatives collectives que nous prendrons. Pour cela, les stages de formation sont indispensables car rien n’est inné dans ce travail.