La solitude du lanceur d’alerte.
Devant l’apathie de nos concitoyens, le découragement gagne parfois ceux qui maîtrisent relativement certains domaines essentiels et qui constatent et dénoncent les dégradations qui les affectent. Les évènements récents (scandale du Médiator, l’accident nucléaire au Japon) démontrent pourtant qu’il conviendrait d’accorder quelque attention aux manifestations des « lanceurs d’alerte » (c’est le terme à la mode pour qualifier ceux qui expriment leurs inquiétudes et cherchent à informer des dangers qui nous guettent).
En ce qui concerne la santé et la protection sociale, nous sommes quelques -uns à attirer l’attention sur les atteintes à ce qui constituait le plus beau dispositif de solidarité mis en œuvre à la Libération et qui plaçait la santé au rang des priorités sociales
Le droit à la santé est inscrit dans notre Constitution (11ème alinéa du préambule). Non seulement parce que cette santé est la condition sine qua non de notre réalisation individuelle, mais parce qu’elle est également le facteur prépondérant d’une collectivité sereine et dynamique.
On peut comprendre la défection des citoyens devant ce qui peut leur paraître de l’agitation ou du pessimisme. Or, dans les exposés que nous proposons, nous nous attachons à apporter les preuves de nos analyses et de nos alertes.
C’est ce que nous allons faire en démontrant que droit à la santé devient de plus en plus une fiction.
L’exclusion des pauvres par le système de santé libéral
A cet effet, nous nous appuierons sur le rapport réalisé par l’Institut droit et santé de l’université Paris Descartes et présenté devant la conférence nationale de santé (assemblée des associations d’usagers), bénéficiant de l’imprimatur du Ministère de la Santé et des Sports.
L’enquête consistait à relever tout ce qui peut entraîner un « refus » de soins. Encore aurait-il été préférable de parler de « renoncements » aux soins, car les enquêteurs ont recensés les obstacles au-delà des refus explicites ou implicites des acteurs de la santé (malades et professionnels de santé) pour identifier les éléments culturels ou économiques qui dressent un écueil pour l’accès aux soins.
En ce qui concerne les professionnels de santé, plusieurs dispositions législatives définissent leurs devoirs pour dispenser les soins qu’implique la pathologie d’un malade. Toutefois, un certain nombre de circonstances permettent au médecin de se libérer de ses obligations (incompétence, agressivité du malade, clause de conscience, etc…).
La discrimination est bien entendu proscrite dans l’exercice médical. Plusieurs textes d’origine nationale ou Européenne le précisent. Pourtant le législateur a estimé nécessaire (Art L. 1110-3 du code de santé publique) de préciser que cette règle s’appliquait aux titulaires de la CMU (couverture médicale universelle réservée aux personnes démunies – 4,2 millions de personnes fin 2008 -) et à ceux de l’AME (aide médicale de l’Etat aux étrangers – autour de 200 000 personnes -).
Les plaintes exprimées par les titulaires de la CMU et de l’AME ont attiré l’attention des associations d’usagers et des pouvoirs publics. Plusieurs enquêtes se sont déroulées au cours des dernières années. Leurs résultats concordant sont affligeants :
Les refus de soins sont considérables et affectent les populations les plus fragiles
Le rejet des titulaires de la CMU et de l’AME
Quels sont les professionnels de santé qui refusent de recevoir les patients défavorisés ?
Principalement, les dentistes, les médecins du secteur 2 (qui pratiquent les dépassements tarifaires), surtout les spécialistes, en particulier les gynécologues et les ophtalmologues. Les taux de refus auxquels sont exposés les bénéficiaires de la CMU ou de l’AME peuvent atteindre plus de 50%. Ces refus sont notablement plus élevés dans certains centres urbains, Paris se distinguant dans cette triste situation.
Mais que penser des motivations de ces professionnels qui rejettent davantage les étrangers ? Une enquête de Médecins du monde relève que les taux de refus des titulaires de la CMU s’élèvent globalement à 21% chez les médecins du secteur 2 contre 8% chez les praticiens du secteur 1, mais pour les étrangers titulaires de l’AME, ces rejets atteignent 59% chez les médecins du secteur 2 et 34% chez les praticiens du secteur 1…!
Effarant… !
Lorsqu’on interroge les ségrégationnistes, les médecins du secteur 2 invoquent l’impossibilité de facturer des dépassements d’honoraires (La loi interdit les dépassements pour ces malades. Pourtant, selon l’IGAS, 1/3 des bénéficiaires de la CMU se sont vu imposer un dépassement pour des consultations en chirurgie ou en urologie en Ile de France). Les praticiens prétendent subir des « lourdeurs » administratives, alors que ce sont ceux qui s’opposent à l’utilisation de la carte vitale – elle allège considérablement les charges de cet ordre – qui rejettent le plus ce type de patients. En réalité, mis à part les arguments financiers (dépassements interdits – en principe), il semble que les motivations ressortent plutôt de la volonté de sélectionner la clientèle en éliminant des malades présentant des pathologies plus lourdes et étant peut-être moins valorisants pour le standing du cabinet.
Les renoncements aux soins pour raisons économiques
Nous l’avons précisé ci-dessus, le rapport présenté devant la conférence Nationale de santé a recensé l’ensemble des facteurs qui s’opposent à l’accès aux soins. Parmi ceux-ci, les dépassements d’honoraires qui représentent près de 7 milliards d’euros par an (2,6 Mds pour les médecins et 4,2 Mds pour les dentistes) et pèsent principalement sur les ménages (la Sécu ne les rembourse pas et les assurances complémentaires n’en couvrent que 30%), ce qui dresse un obstacle considérable pour tous les patients, plus particulièrement dans certaines régions (Ex : Ile de France, PACA, etc…).
Or, cet énorme écueil n’est développé que dans une demi-colonne des 50 pages du fascicule édité par le Ministère de la santé et des sports… ! Même si l’on y manie l’euphémisme : « les dépassements peuvent parfois s’avérer prohibitifs pour certains patients ne disposant pas de ressources suffisantes », on y précise toutefois (ce que nous ne cessons de démontrer) que « les sanctions envisageables à l’encontre des médecins pratiquant des dépassements d’honoraires sont multiples ». On évoque les sanctions du Conseil de l’Ordre, celles du code de Sécurité Sociale et de la convention, en omettant cependant de citer la sanction la plus sévère (l’exclusion de la convention).
Faut-il parler de courage ou d’honnêteté lorsque le rapport indique discrètement que « les sanctions sont peu nombreuses » ? Faut-il parler d’hypocrisie, lorsqu’à la suite de cette hardiesse, on indique que « …les caisses qui opèrent sur un territoire où l’offre de soins est plus faible qu’ailleurs pourraient renoncer à prendre des sanctions par crainte de diminuer une offre de soins estimée comme insuffisante… » ? Parce qu’il faut savoir qu’un des organismes les plus inertes est la caisse de Paris où la densité des médecins est la plus forte et le phénomène des dépassements est le plus considérable… !
La démission des organes de contrôle
L’enquête du Ministère confirme l’illégalité de la ségrégation visant les titulaires de la CMU et de l’APE. Elle rappelle également les sanctions qui peuvent être prononcées à l’encontre des médecins qui ne respectent pas les règles dans la fixation de leurs honoraires.
Alors, faut-il croire les lanceurs d’alerte lorsqu’ils ne cessent de dénoncer la démission des organes de contrôle ?
En ce qui concerne l’Assurance Maladie qui dispose de tous les moyens pour connaître les pratiques financières des professionnels et pour agir, les organismes pouvant instruire les plaintes il est vrai peu nombreuses des patients rejetés (malheureusement, les malades s’expriment très peu sur les excès des praticiens), le rapport analyse les 205 plaintes reçues par les caisses à la fin de l’année 2008 (on mesure l’énorme décalage entre le phénomène évalué ci-dessus et les réactions des assurés), pour constater que ces plaintes n’ont donné lieu qu’à une seule saisine du Conseil de l’Ordre… !
A propos des Conseils de l’Ordre (médecins et dentistes), le bilan des affaires concernant les refus de soins relevés entre septembre 2007 et septembre 2008 s’établit à 9 décisions rendues par les chambres disciplinaires du Conseil des médecins (quelles sanctions ?) et 0 (zéro) par le Conseil des dentistes… !
Edifiant !
Mais ces organismes défaillants ne sont-ils pas inspirés par des pouvoirs publics qui ne cessent de dégrader la protection sociale en encourageant l’édification d’un marché de la santé de plus en plus libre où il n‘existerait plus aucune contrainte, ni sur les conditions d’exercice, ni sur les prix, en laissant « la main invisible » faire le tri entre les riches et les pauvres, la chance ou le bon dieu – pour ceux qui y croient – laissant à ces derniers le choix de s’adresser à l’hôpital public qui finira bien par ne plus être que le recours des défavorisés, lorsque la politique de démantèlement qui est en cours aura fait son œuvre.
La réponse est évidente lorsque l’on sait que le gouvernement a éliminé toutes les mesures qui auraient permis de réguler les refus de soins ou les honoraires irréguliers (1)Derniers exemples de la culpabilité de ce gouvernement et de sa sensibilité aux lobbys médicaux :
– Le Sénat qui avait engagé fin 2009 une véritable bataille avec Madame Bachelot alors ministre de la santé pour imposer la transparence en matière de prix des prothèses dentaires (indication du prix d’achat par le dentiste au prothésiste), vient à l’instigation des élus de la droite libérale et sous la protection de X. Bertrand d’annuler cette disposition en rétablissant l’opacité des prix (Cf. notre article du 1 janvier 2010 – L’émergence d’un marché vraiment libre en matière dentaire – publié dans UFAL Flash et dans Respublica).
– A propos des zones sous équipées en professionnels de santé, plus particulièrement les médecins, la même majorité Sénatoriale rétablit les majorations de tarif totalement inefficaces mais particulièrement onéreuses et, en outre, élimine les sanctions prévues pour les médecins qui refuseraient d’exercer en territoires défavorisés. . En ce qui concerne les refus de soins le projet de loi sur la Sécurité Sociale prévoyait notamment que l’on développe des actions de testing (sollicitations téléphoniques pour vérifier l’attitude des cabinets médicaux). Ces projets et d’autres ont disparus du texte de loi… ! Mais après tout, l’élimination de l’étranger fait partie des « valeurs » d’une droite (la plus cynique du monde ?) qui essaie par des moyens divers de refuser ce qu’aucune société civilisée ne devrait contester : porter secours aux hommes malades, quelle que soit leur race ou leur condition.
Mais, si l’on ne peut se faire aucune illusion sur le pouvoir politique actuel qui est en train de détruire les services publics (protection sociale, école, justice, etc…), structures de notre pacte social, comment ne pas s’étonner, se révolter, devant la neutralité de ceux (syndicats, Conseillers des caisses primaires, représentants des usagers, partis politiques de substitution, médias) à qui on présente ce type de scandale et qui, au mieux, se satisfont d’en être désolés… ?
Notes de bas de page
↑1 | Derniers exemples de la culpabilité de ce gouvernement et de sa sensibilité aux lobbys médicaux : – Le Sénat qui avait engagé fin 2009 une véritable bataille avec Madame Bachelot alors ministre de la santé pour imposer la transparence en matière de prix des prothèses dentaires (indication du prix d’achat par le dentiste au prothésiste), vient à l’instigation des élus de la droite libérale et sous la protection de X. Bertrand d’annuler cette disposition en rétablissant l’opacité des prix (Cf. notre article du 1 janvier 2010 – L’émergence d’un marché vraiment libre en matière dentaire – publié dans UFAL Flash et dans Respublica). – A propos des zones sous équipées en professionnels de santé, plus particulièrement les médecins, la même majorité Sénatoriale rétablit les majorations de tarif totalement inefficaces mais particulièrement onéreuses et, en outre, élimine les sanctions prévues pour les médecins qui refuseraient d’exercer en territoires défavorisés. |
---|