Il faut, à toutes celles et tous ceux qui rêvent d’une éducation populaire appartenant réellement au peuple, courir toutes affaires cessantes, voir où c’est encore possible, le dernier film de Ken Loach, « Jimmy’s Hall ». Ou mieux encore, le diffuser.
Car — même si le réalisateur a déjà à de nombreuses reprises enchanté notre militantisme rouge — voilà un film qui, avec simplicité et tranquillité, nous livre la recette du bonheur. Car c’est bien de cela qu’il s’agit.
Imaginez ! Un lieu dans l’Irlande du début du siècle où l’on peut se réunir pour danser, faire de la musique, boire un coup, apprendre à chanter ou à dessiner ou peindre, où l’on peut parler politique, où l’on rit ensemble, bref un lieu où l’on est heureux voilà ce que construisent Jimmy et ses camarades — quel beau nom quand même que camarade ! Salle communautaire plus que simple dancing, le Hall est aussi un havre de convivialité où l’on peut apprendre la boxe et fin du fin, découvrir cette étrange musique qui doit tant au croisement des noirs et des blancs d’Amérique du nord : le jazz !
Au plus fort de l’exploitation du peuple par les grands propriétaires, là où sévit la misère, le chômage, la faim et l’humiliation, se tient un lieu où l’on relève la tête, se réchauffe le cœur, où vit la culture d’une classe qui sait bien comment faire son bonheur, au-delà de remplir les tiroirs-caisse.
Comment être heureux ensemble, presque quarante ans avant le programme du CNR, ces maudits Irlandais, galvanisés par un militant communiste — de son vrai nom le républicain Jimmy Gralton, nous le montrent grâce à la délicatesse de Ken Loach qui jamais n’appuie son propos, mais dévide avec tendresse et presque nonchalance ce que tous devraient savoir : le peuple a les moyens d’être heureux sans qu’on lui donne de leçons, ni lui apprendre comment faire !
Quelle belle image de l’éducation populaire que celle que le populaire se donne tout seul.
Et l’on voit aussi ce que l’on sait aussi. Les dominants n’aiment pas le bonheur, encore moins quand il est aussi simple que ça. Les dominants ne sont heureux que dans le malheur, la souffrance et le luxe. Les dominants ont inventé pour asseoir leur propos une fable que leurs serviteurs de toutes les églises ânonnent avec servilité. Ici les catholiques dans la figure d’un prêtre qui n’hésite pas à utiliser des méthodes de répression qui sont pile le contraire du message qu’il prétend délivrer.
Bien sûr cela finira « mal ». Coups de fouets — la « trahison de classe » se paye cher quand on est fille de notable, charges de la police, coups de feu, incendie criminel du Hall, menace d’emprisonnement du « meneur », pression sur les camarades et voilà tout droit l’exil pour celui qui à osé braver l’interdit majeur : on n’a pas le droit d’être heureux contre les possédants et de vouloir propager la justice républicaine.
Pour éviter la confrontation mortelle — on sait que les possédants même chrétiens ne reculent pas devant le sang versé — Jimmy retourne aux États-Unis où il finira sa vie sans changer ses convictions.
Et la malheureuse Irlande poursuivra son calvaire …
Aujourd’hui les églises de toutes sortes poursuivent leurs prêches, experts de tous poils produits des écoles de commerce et des officines d’excellence du prêt à penser, etc. qui veulent notre bonheur à notre place. Et la pauvre France n’en peut plus.
Et ce n’est pas là le moindre talent du Loach que de nous faire entendre que ce sont les institutions qui parlent, (comme l’église parle par la bouche du « père» — ce qui n’exonère en rien cet homme de sa responsabilité d’auteur, mais fait comprendre sa conduite d’acteur).
Si vous allez passer un moment avec Jimmy et ses potes, vous saurez ce que vous savez déjà : il ne tient qu’à nous de mettre tout ce beau monde à la porte et que, demain l’exil ne soit pas le lot de ceux qui vivent, mais de ceux qui prêchent la mort pour arrondir leur fortune sur notre dos.