Le 8 mai 1945, tandis que les Français fêtaient l’écrasement de la barbarie nazie, une autre barbarie se commettait à l’encontre du peuple algérien, qui avait manifesté ce jour-là dans de nombreuses villes d’Algérie à l’Appel des Amis du manifeste et des libertés (A.M.L), un front constitué par le Parti du peuple algérien de Messali Hadj, âme de la revendication de l’indépendance ; par l’Union démocratique du manifeste algérien, de Ferhat Abbas ; et par l’Association des ouléma algériens. Les manifestants criaient et portaient des banderoles où ils avaient écrit : « A bas le colonialisme ! », « Vive l’Algérie indépendante ! », « Libérez Messali ! » (leader du Parti du peuple algérien), etc. La répression policière avait entraîné des blessés et quelquefois des morts, parmi les Algériens.
Mais les choses furent autrement plus graves dans le Constantinois. A Sétif, la manifestation s’était déroulée dans le calme, jusqu’à ce que la police aie tué des manifestants, parce qu’ils leur avaient résisté, en refusant de leur remettre les drapeaux algériens, qu’ils avait déployés. Ce fut la débandade générale. Certains manifestants s’étaient dispersés dans la ville et s’étaient attaqués à coups de gourdins, de haches et de couteaux à des Algériens d’origine européenne, entraînant des morts et des blessés, parfois graves, parmi ces derniers. Des rumeurs sur de prétendus massacres de musulmans circulèrent le jour-même dans les hameaux, villes et villages situés à des dizaines de kilomètres à la ronde de Sétif, Guelma et Kherrat. Des campagnards musulmans tuèrent, mutilèrent ou massacrèrent des hommes, des femmes et des enfants d’origine européenne, quelquefois plusieurs membres d’une même famille. Bilan officiel : 103 morts et 109 blessés.
Dès le lendemain, le 9 mai, le massacre à grande échelle des Algériens d’origine musulmane commença. Méthodique. Impitoyable. Disproportionné. Bref, de la barbarie à l’état pure. Objectif : terroriser suffisamment le peuple algérien pour lui extirper pour longtemps la revendication de l’indépendance nationale. De Gaulle ordonna lui aussi de baigner l’insurrection dans le sang.
De mai à août, pendant ces quatre longs mois, blindés, artillerie, aviation et marine de guerre bombardèrent et incendièrent de nombreux hameaux et fermes appartenant à des musulmans. Des milliers d’Algériens furent abattus sans sommation ou exécutés sommairement par groupes de 10, 20 ou plus par des militaires, des gendarmes, des policiers et des miliciens d’origine européenne. Leurs cadavres ont été jetés dans des fosses communes, des fours à chaux ou du haut des falaises de la ville de Kherrata. Femmes, hommes, vieillards et enfants avaient été mis à genoux, les mains sur la tête, pendant des heures sous un soleil de plomb, et étaient obligés par les militaires de crier : « Vive la France ! », « Nous sommes des chiens et Ferhat Abbas est un chien ! »…
Selon les chiffres officiel du gouvernement algérien, ces massacres ont entraîné 45 000 morts parmi les Algériens d’origine musulmane. C’est en réalité une reprise des estimations établies par le Consulat états-unien en Algérie durant ces événements. Cependant, les évaluations les plus sérieuses en l’état actuel de la recherche historique varient entre 15 000 et 18 000 morts (sans compter les blessés), et entre 5 et 10 000 arrestations, dont 99 condamnations à mort, 64 condamnations aux travaux forcés à perpétuité et 329 autres à des travaux forcés à temps.
Tous furent toutefois amnistiés l’année suivante, grâce à la puissante campagne menée en ce sens, principalement par les communistes algériens et français, par le journal, l’Humanité.
Auparavant, outre le parti socialiste, Jacques Duclos, Maurice Thorez et leurs camarades du bureau politique du Parti communiste français, le Parti communiste algérien et l’Humanité avaient qualifié cette révolte du peuple algérien de « complot fasciste », fomenté de conserve par les leaders nationalistes algériens, les agents nazis et ceux de Vichy. Ils avaient traité les indépendantistes algériens d’« agents hitlériens », eux qui avaient subi, ainsi que les communistes, la répression de l’administration coloniale prohitlérienne ; et demandé de les « châtier impitoyablement et rapidement ».
Ces massacres sonnèrent toutefois le glas du système colonial en Algérie. Pour beaucoup de leaders nationalistes et d’historiens, le compte à rebours de la lutte armée du peuple algérien pour son émancipation avait commencé cette année-là. D’ ailleurs, le général Duval (commandant de la subdivision militaire de Constantine et l’un des principaux auteurs de cette boucherie) ne s’était pas trompé dans ses prévisions, quand il avait écrit à ses supérieurs : « Je vous ai donné la paix pour dix ans. Mais il ne faut pas se leurrer. Tout doit changer en Algérie. » Mais rien n’avait changé.
Les peuples ex-colonisés et leurs enfants réclament que la France, qui avait avant tout trahi ses propres principes républicains, humanistes et de justice, demande pardon pour ses crimes coloniaux, comme elle l’a fait pour les Juifs, qu’elle avait voulu exterminer en collaboration avec les nazis, et comme l’ont fait les Etats-Unis d’Amérique avec leurs ressortissants noirs, et l’Australie avec ses aborigènes…
N’en déplaise à quelques attardés de l’Histoire de l’extrême droite et ses idiots utiles, parmi une minorité de « laïques » musulmanophobes de « gauche », cette idée est en train de faire son chemin au sein de l’opinion publique, notamment des nouvelles générations non gangrenées par le racisme anti-Arabes, et dans les plus hautes sphères de l’Etat français.
Sources :
- Henri Alleg (collectif), la Guerre d’Algérie, T.1 , éditions Messidor, Paris, 1981.
- Annie Rey-Golzeiger, Aux Origines de la guerre d’Algérie : 1940-1945, de Mers-el-Kébir aux massacres du nord-constantinois, éditions La Découverte-Syros, Paris, 2001.
- Jean-Louis planche, Sétif 1945 : histoire d’un massacre annoncé, éditions Perrin, Paris, 2006.