La chronique de « 0 de Conduite »

NDLR : Nous inaugurons dans ce numéro une rubrique régulière consacrée au cinéma, avec la collaboration de  « 0 de Conduite », partenaire du Réseau Education Populaire. On trouvera sur le site du REP la charte de l’association qui « défend toutes les formes cinématographiques, pourvu qu’elles donnent à (sa)voir, par leur singularité critique et leur exigence esthétique, le monde tel qu’il (ne) va (pas) dans ses dimensions politiques et sociales ».
Nous poursuivrons  dans le prochain numéro de Respublica par le compte rendu de deux films sur le conflit israélo-palestinien, par J. Rabinovici.

Les Rencontres cinématographiques de Manosque

« Du réel à l’imaginaire », sous-titre attirant de ces rencontres, rêve d’un lieu à l’acte cinématographique sans complaisance.
Dans une présentation au titre déjà merveilleux, « Comme l’épine sur la soie », Pascal  Privet, réalisateur et programmateur orfèvre des instants que nous allions vivre, écrit « Il s’agit de rendre compte des manières sans cesse réinventées par les cinéastes afin de porter un regard critique sur la vie et peindre ces sentiments parfois si enfouis et complexes qui exaltent ou tourmentent l’humanité. »
L’épine sur la soie, expression de délicatesse épique et fragile illustrant un cinéma aux antipodes d’une industrie mercantile nous offre par l’intime une écriture sans cesse nouvelle de la société.
Chaque film est suivi d’un réel débat où artistes et spectateurs partagent leurs impressions : « Cette réflexion collective devient acte de résistance à la consommation individuelle et indifférente et accorde d’abord du prix au sens de l’acte créatif en respectant les réactions de chacun. »
Aujourd’hui où les salles, même avec les labels Arts et essai et Recherche, sont contraintes par nécessité d’équilibre commercial de programmer un nombre de plus en plus grand de films sans réel souci cinématographique, ce lieu où le temps reste un espace de liberté et de découverte attire et retient notre attention.
Nous avons, dans ce programme passionnant, découvert le réalisateur égyptien Ibrahim El Batout dont nous vous parlerons dès la sortie de ses films et vu le dernier film de Pascale Diez, D’une école à l’autre (ci-après).

« D’une école à l’autre »

Et d’une classe à l’autre : des élèves d’une classe de Belleville, des élèves d’une classe du Ve arrondissement, deux mondes s’abordent. Pascale Diez, la réalisatrice, qui a maintes fois expérimenté la vie scolaire, nous livre un film d’une grande sensibilité, d’une grande perspicacité sur ces enfants dont les parcours avaient peu de chance de se croiser sans ce projet quelle a conçu et dont elle a cherché les financements. A travers de beaux plans serrés, elle nous fait ressentir avec émotion ces expressions d’enfants où les mots, retenus, furtifs, dévoilent sobrement une identité sociale tandis que les enfants du Ve, attachants également, reflètent plus librement leur ressenti et leur milieu
Les deux institutrices, Cécile Gérard pour l’école St-Jacques et Karine Durand pour l’école de Belleville mènent ce projet avec une discrète et pertinente pédagogie. Les élèves laissent transparaître leur intérêt et leur bien-être tout au long du film. C’est aussi pour ces enfants la découverte commune, chacun avec ses propres acquis, d’un activité de soundpainting.

Christophe Cagnolari les initie à cet art multidisciplinaire qui allie expression corporelle, voix, peinture… permettant une improvisation où chacun peut communiquer à sa façon et se faire comprendre de l’autre. Le soundpainter Christophe a ainsi pu les mener à un spectacle collectif qui a été présenté à la Maison des Métallos à Paris.
Toute la richesse d’une mixité sociale rayonne dans ce film, le temps d’une expérience, d’un projet et ce film avec une grande qualité cinématographique nous prouve bien que l’échec scolaire n’est pas une fatalité.

D’une école à l’autre
Réalisatrice : Pascale Diez
France, 2012, 1h 35
Distributeur : Les films du Paradoxe

« La saga des Conti » : en roue libre

Le film débute sur une fin programmée. Celle du site « Continental » de Clairoix (Oise) annoncée en mars 2009 par les lettres de licenciement lues par des voix mêlées d’ouvriers qui accusent le coup, la colère rentrée. Mais ces voix qui se mêlent deviennent bientôt un groupe qui s’élève. Car contre toute attente au regard de la résignation ambiante, c’est le début d’une lutte de longue haleine que vont mener les salariés du site et que le film relate de manière chronologique, sobrement, sans trémolos ni violons, au plus près des ouvriers. Ces derniers font montre d’indépendance avec la création d’un comité de lutte dépassant le cadre syndical, d’imagination, on pense alors à la participation symbolique du Paris-Roubaix, et de mobilité car les déplacements sont nombreux entre Paris et Hanovre, les rendant dangereusement imprévisibles aux yeux de l’entreprise, de l’État et des centrales syndicales.

Même si des figures émergent, le syndicaliste Xavier Mathieu ou le conseiller Roland Szpirko notamment, Jérôme Palteau s’attache avant tout à filmer un collectif qui prend peu à peu conscience de sa capacité d’agir et de créer des situations, en un mot de se retrouver. Occupation surprise du site de Sarreguemines ou de la sous-préfecture de Compiègne, manifestation unitaire avec les « Conti » allemands à Hanovre, autant de coups d’éclat d’une guerre de mouvement pour se faire entendre auprès de ceux d’en face qui cultivent l’évitement.

L’autre valeur de ce documentaire réside dans ce qu’il évoque sans le montrer frontalement, à savoir le contre-champ médiatique et le hors-champ syndical. En effet, on ne peut s’empêcher de mesurer tout le décalage existant entre l’expérience humaine vécue dont le film réactive la mémoire et la réduction stéréotypée télévisuelle qui en avait été faite à l’époque, préférant les feux de pneumatiques et les ordinateurs renversés aux visages animés d’ouvriers. Enfin le film révèle la gêne des centrales syndicales dans ce mouvement par leur absence et leur mutisme, et signe l’écart existant entre la base et les directions. Le film réactive ainsi la question de la nécessité de s’affranchir des cadres pour redonner sens à la lutte sociale dans ce contexte de désorientation généralisée.

La saga des Conti
Réalisateur : Jérôme Palteau
France, 2013. 97 mn
Distributeur: Les Films des Deux Rives