Ce petit livre d’Antonio Gramsci (1891-1937) de 99 pages (10 euros) publié par les Editions critiques est préfacé par le regretté André Tosel (1941-2017), philosophe et spécialiste de l’œuvre d’Antonio Gramsci.
Il s’agit d’un journal publié en numéro unique le 11 février 1917, couronnement de l’action d’une organisation de jeunes du PSI à l’aube du coup de tonnerre de la révolution russe, révolution qui va démarrer le 3 mars 1917 (18 février dans le calendrier julien de la Russie). Ce livre est donc une succession d’articles. La préface d’André Tosel est un remarquable résumé de la pensée d’Antonio Gramsci qui ravira ceux qui ne connaissent pas son œuvre majeure, Les cahiers de prison. Tosel replace donc, dans sa préface, ce journal écrit en février 1917 dans toute l’œuvre du futur dirigeant communiste italien.
Il a 26 ans quand il écrit ce journal à numéro unique. Il est alors journaliste à l’Avanti ! quotidien du PSI. Il écrit ce journal à la demande de la Fédération de la jeunesse socialiste piémontaise.
On rêverait aujourd’hui d’avoir un journal de ce type dans des organisations de jeunesse des partis politiques ! Comme il le dit lui-même, « ce numéro unique n’est certainement pas un essai. C’est une invitation et une incitation ». On comprend alors la vitalité intellectuelle et la croissance de cette organisation qui a multiplié par 7 le nombre de ses sections et par 5,5 le nombre de ses adhérents de 1907 à 1914.
Les titres des articles sont éloquents : « Trois principes, trois ordres » pour analyser la logique politique de différents pays, l’Angleterre, l’Allemagne et l’Italie. « Les indifférents » où il lie l’indifférence à la fatalité : « La fatalité qui semble dominer l’histoire n’est rien d’autre précisément que l’apparence illusoire de cette indifférence, de cet absentéisme » ou encore « Je hais les indifférents aussi parce l’ennui me vient devant leurs pleurnicheries d’éternels innocents ». « Discipline et liberté » qui lie ces deux principes. « Qu’est-ce que la culture » écrit par Gaetano Salvemini qui annonce le grand penseur de la nécessaire bataille de l’hégémonie culturelle avant une victoire révolutionnaire bien que l’économique soit déterminante en dernière instance. Cet article est en fait une dissertation philosophique sur la définition qu’il soumet à sa critique « « la culture consiste à connaître tout, d’une seule chose et quelque chose de tout ». « Analphabétisme » qui présente que la cause de la présence d’analphabètes est lié au capitalisme italien et il montre que la loi de l’obligation scolaire ne suffit pas à combattre ce fléau. « La discipline » où il part d’un livre de Rudyard Kipling pour montrer la différence entre la discipline dans l’Etat bourgeois « mécanique et autoritaire » qui « impose aux citoyens » et « fait de ceux-ci des sujets qui se flattent d’influer sur le cours des évènements » à la discipline socialiste qui doit être « autonome et spontanée » mais qui doit faire « du sujet un citoyen…citoyen rebelle, précisément parce qu’ayant acquis la conscience de sa personnalité, il sent que celle-ci est entravée et ne peut s’affirmer librement dans le monde ». « Deux invitations à la méditation » qui ouvre deux autres articles sur « la religion » de Benedetto Croce et de « Qu’est-ce que la vie ? » d’Armando Carlini. Puis vient, l’article intitulé « Marges » qui est une réflexion avec neuf items sur la vérité, la façon de discuter avec un adversaire, la critique de ceux « qui se jettent sur la première idée qui se présente avec l’apparence de pouvoir devenir un idéal et qui s’en nourrissent jusqu’à ce que dure l’effort pour s’en emparer. Quand ils sont arrivés à la fin de cet effort et qu’ils s’aperçoivent (mais cela est l’effet du peu de profondeur spirituelle, du peu d’intelligence au fond) qu’elle ne suffit pas à tout, qu’il y a des problèmes dont la solution (si elle existe) est en dehors de cette idéologie… ils se jettent sur quelque chose d’autre qui peut être une vérité qui représente encore une inconnue et présente donc des chances de satisfactions nouvelles. Les hommes cherchent toujours en dehors d’eux-mêmes la raison de leurs propres faillites spirituelles ; ils ne veulent pas se convaincre que la cause est toujours et seulement la petitesse de leur âme, leur manque de caractère et d’intelligence. ». Puis vient une réflexion sur le progrès. Puis contre « la foi aveugle dans tout ce qui était accompagné de l’attribut scientifique. La réalisation de cette société modèle était un postulat du positivisme scientifique, de la philosophie scientifique. Mais cette conception n’était pas scientifique, elle était seulement mécanique, sèchement mécanique », la défense du nombre, de la masse, le fait qu’ « il est plus facile de convaincre celui qui n’a jamais participé à la vie politique » que ceux qui ont eu des appartenances avec des conceptions erronés qui les rendent sceptique et « qui est sceptique n’a pas le courage de l’action. Je préfère qu’un paysan se rapproche de notre mouvement ; plutôt qu’un professeur d’Université. Seulement le paysan devra essayer d’acquérir autant d’expérience et de largeur d’esprit que peut en avoir un professeur d’Université, pour ne pas rendre stérile son action et son éventuel sacrifice. », « Accélérer l’avenir » pour éviter « d’attendre d’être devenus la moitié plus un » car cela « est le programme des âmes qui attendent le socialisme d’un décret royal contresigné par deux ministres. ». « Modèle et réalité » qui montre l’importance pédagogique d’avoir un modèle politique alternatif dans la tête pour agir avec efficacité et détermination « si on ne fait pas de ses abstractions de l’esprit des valeurs absolues. »
Voilà de quoi animer une initiative d’éducation populaire refondée pour engager la bataille de l’hégémonie culturelle.