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« La gauche radicale et ses tabous. Pourquoi le Front de gauche échoue face au Front national » par A. Bernier

Un livre (1)Publié au Seuil, janvier 2014, 176 p. Voir aussi son article « Sortir de l’euro ne fera pas tout« . à lire dans la séquence politique actuelle. Pourquoi ? Les conséquences des politiques néolibérales de droite (UMP) ou de gauche (majorité PS et EELV) deviennent de plus en plus scandaleuses. Dans la course de vitesse entre le Front national et la gauche radicale (Front de gauche et les diverses organisations trotskistes) , l’avantage tourne largement au premier. Petit à petit, un débat prend force et vigueur : Quelles sont aujourd’hui les conditions d’une transformation sociale et politique de gauche ?
Le livre d’Aurélien Bernier entre pleinement dans ce débat. Ancien responsable altermondialiste d’Attac, proche alors de Bernard Cassen et de Jacques Nikonoff, il s’est d’abord fait connaître par une analyse écologiste singulière et fort intéressante. Aujourd’hui, il estime que les trois conditions primordiales de la transformation sociale et politique pour la gauche radicale sont la sortie de l’euro, le refus du libre-échange (protectionnisme et contrôle des capitaux) et la désobéissance européenne nécessaire au retour à la souveraineté nationale.
Le premier grand intérêt de ce livre est que, sur ces trois sujets, Aurélien Bernier présente une histoire des mises en place des institutions européennes et de la zone euro, mais aussi du libre-échange en montrant à chaque fois les positionnements (ou changements de positionnement !) des différents partis. Cette description est mise en perspective avec l’histoire électorale de la période. On peut alors suivre les méandres tracés par le Parti communiste, les changements tactiques du FN, les bougés de certains trotskistes, les manques du Parti de gauche. Tout cela entraîne le flou dans le discours du Front de gauche. Avec ses conséquences sur le plan électoral puisque les électeurs ont bien compris ce qui précède.
On trouvera, page 41, une bonne analyse de la « gauche plurielle, mais libérale » du gouvernement Jospin dont le Front de gauche n’a pas encore fait une analyse critique suffisante. On trouvera plus loin une analyse critique des positions nationales d’Attac (p. 51 entre autres), des comités anti-libéraux, du PCF, qui veulent tous transformer l’Union européenne de l’intérieur alors que la majorité des citoyens (et du non de gauche !) « a compris que l’Union européenne est l’un des piliers de l’ordre néolibéral ». Comme quoi le peuple peut être en avance sur ses élites militantes sur certains points ! Mais on trouvera aussi une critique des organisations trotskistes qui rêvent d’une lutte des classes uniquement à l’échelle mondiale.
On pourrait résumer la pensée de l’auteur en disant qu’actuellement, pour les couches populaires, le Front national a trop souvent l’image du seul parti réellement anti-système. Les programmes de la gauche radicale, qui suspendent les transformations sociales en France à une impossible réforme de l’Union européenne et des institutions internationales, ne sont pas suffisamment crédibles (p.15).
A. Bernier fustige les prises de positions du Front de gauche, du NPA, de L.O. qui relèvent de l’incantation ou du rêve. Par exemple (mais l’ouvrage foisonne d’exemples) lorsqu’il est dit que la Banque centrale européenne doit être soumise à un exécutif politique démocratique ou que l’on doit agir pour des protections et des normes sociales et environnementales, lorsque que cela demande l’unanimité des 28 États de l’UE ou que cela est contraire aux règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et de l’ensemble des politiques commerciales « que les puissances occidentales mènent depuis plus 60 ans ». Bref, quand l’on ne dit pas comment on fait pour appliquer ce que l’on dit…
Il montre bien l’antagonisme de fond qu’il y a entre le nationalisme du Front national, qui ne vise qu’à perpétrer la domination de classe du patronat et de ses alliés, et ce que pourrait être la défense d’une souveraineté nationale de gauche renouant avec l’internationalisme. Il reprend là, l’idée de Bernard Cassen qui, dès la fin du siècle dernier, déclarait qu’il fallait démondialiser pour aller vers plus d’internationalisme.
Il montre très précisément les contradictions et les flous de toute une série de positions émanant des différentes organisations: PCF, PG,NPA, etc.
Il montre qu’« une partie de la gauche, écologistes et trotskistes se félicitent ouvertement du dépassement de l’État-nation, tout en critiquant les conditions libérales de ce dépassement ». Depuis la fin des années 90, les communistes l’acceptent par défaut. Et l’auteur ajoute : « Plutôt que de craindre d’être assimilée à l’extrême droite en défendant la souveraineté nationale, la gauche radicale devrait se poser la question: « comment en est-elle venue à mélanger sa voix avec celle des plus ultralibéraux pour conclure à l’obsolescence de la souveraineté nationale » ? » (p. 117). Suit une très belle énonciation des thèses de l’Italien Aurelio Percei reprises par le Club de Rome et par tous les néolibéraux de droite et de gauche qui stipulait que « les principes de la souveraineté nationale sont un des obstacles majeurs sur la voie du salut collectif de l’humanité ». Phrase que ne renierait pas une partie importante de la gauche de la gauche.
L’auteur développe avec brio l’intérêt d’une relecture de la Charte de La Havane de 1948 et de la déclaration de Cocoyoc d’octobre 1974 pour penser les futures relations internationales.
Deux annexes intéressantes sur la « chronique d’un renoncement » et sur les résultats des élections nationales sur la période 1974-2012 pour la gauche radicale et le Front national.

Chers lecteurs, chers 41.000 abonnés, comme vous n’avez pas encore vu une recension ou un article de ReSpublica sans « une critique poussée jusqu’au bout », nous n’allons pas déroger à la règle. Nous commencerons par une critique bénigne : la somme des votes abstention, vote blanc et nul,extrême droite et gauche radicale (p.133) n’a pas beaucoup de sens.
Mais nos deux principales critiques ne portent pas sur ce qui est écrit dans ce livre (que nous partageons globalement) mais sur ce qui n’est pas écrit.
D’abord, pour toute proposition, il est nécessaire de présenter la stratégie des trois politiques concomitantes (temps court, temps moyen, temps long) sans laquelle nous ne pouvons pas être crédible. Ainsi le CNR présentait-il son Plan d’action immédiate (temps court) et son Programme (temps moyen) (il manquait alors le temps long).
Par ailleurs, nous ne partageons pas l’idée que ces trois conditions suffisent à ouvrir le champ des possibles. Autant nous trouvons salutaire le développement des trois conditions présentées par l’auteur (avec une mention particulière au protectionnisme qui ne peut pas être une solution de temps long ), autant, nous n’acceptons pas qu’elles soient présentées comme surplombantes par rapport à d’autres, non présentées. Nous pensons qu’il y a une globalité de conditions nécessaires (nettement plus de trois) dont aucune n’est surplombante par rapport aux autres. La « surplombance » de ces trois conditions entraîne par exemple l’auteur à écrire page 81 que « l’échec de cette relance [de 1981-82] provient justement de l’absence de mesures protectionnistes ». Comme si c’était la seule condition manquante !
Ainsi, aujourd’hui, il est nécessaire de comprendre que l’essor du néolibéralisme est principalement dû à la crise de profitabilité du capitalisme dans les pays développés, dès le début des années 70. D’où la nécessité d’engager des mesures anticapitalistes sans lesquelles rien n’est possible. Alain Badiou a, à sa façon, dit récemment dans un entretien sur Médiapart avec Aurélien Bernier que la prise du pouvoir d’État, c’est autre chose que la simple victoire électorale.
Autre exemple, on ne peut pas lutter contre les amis de Warren Buffet (une des plus grandes fortunes du monde) qui déclare : « bien sûr que la luttes des classes existe, la preuve , c’est que c’est ma classe, celle des riches, qui est en train de la gagner » sans s’appuyer sur les couches populaires et ouvrières qui représentent dans la plupart des pays développés la majorité du peuple. Alors que le vote de la gauche radicale fut le cinquième choix des ouvriers et des employés au premier tour de la présidentielle de 2012.
Autre exemple, la prise en compte du phénomène de gentrification. Autres exemples, la sanctuarisation et le développement nécessaire de la sphère de constitution des libertés (école, protection sociale et services publics) ou encore la nécessaire réindustrialisation du pays, ou encore une vraie égalité hommes-femmes, ou encore une socialisation progressive des entreprises ou encore de nouveaux principes républicains. Soit encore des ruptures démocratique, laïque, sociale, écologique. Et une dynamique en grand de l’éducation populaire avec ses différentes formes. Etc.
Donc, si nous partageons avec l’auteur l’énoncé des trois conditions ci-dessus, nous les jugeons insuffisantes. Car nous pensons que l’ordre du jour des années qui viennent est bien le changement global de modèle culturel, social, économique et politique.
N’empêche que nous souhaitons que vous lisiez ce livre et que nous en débattions ensuite !

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Notes de bas de page
1 Publié au Seuil, janvier 2014, 176 p. Voir aussi son article « Sortir de l’euro ne fera pas tout« .
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