Les politiques font jouer aujourd’hui à la Grèce un rôle analogue à celui qu’endosse le SDF depuis la fin des années 80, époque à laquelle ce dernier entre avec fracas sur la scène médiatique.
Un français sur deux a peur de devenir SDF. Si le clochard était une figure de l’altérité, le SDF est une figure à laquelle on s’identifie. Comme nous, il est né dans une famille. Comme nous, il avait un emploi. Comme nous, il avait un domicile. Mais, comme le disait si bien Laurence Parisot, la vie est précaire. Tout peut basculer d’un instant à l’autre. Et tout un chacun peut se retrouver sans emploi, à la rue, et perdre jusqu’au filet de sécurité que représente la famille. La droite néo-libérale n’a eu de cesse d’alimenter cette peur en signifiant à chacun : « le SDF, ce pourrait être vous ». La peur est une passion utile, dont les puissants ont toujours su jouer. Le SDF est une figure commode que les puissants d’aujourd’hui agitent comme un épouvantail pour inciter chacun à se régler sur le moins-disant. « Estimez-vous heureux d’avoir un emploi — fût-il mal rémunéré —, d’avoir un logement — fût-il indigne —, d’avoir une famille charitable qui peut vous secourir en cas de besoin. Contentez-vous de ce que vous avez. Vos conditions de vie pourraient être bien pires. » Et voilà comment la peur, passion paralysante qui empêche de penser et qui diminue notre puissance d’agir, vient en lieu et place de cette autre passion, active et féconde, qu’est l’indignation. Dans un contexte où les inégalités se creusent, où les plus riches n’ont jamais été aussi riches, où le PNB n’a jamais été aussi élevé, il faudrait s’indigner de ce que des citoyens puissent se retrouver sans aucun droit, sans aucune perspective, acculés à la nécessité de survivre. RSA, RMI, minima sociaux : dans un contexte où le capital se gave, on devrait s’étonner que l’on préfère payer une misère une force de travail que personne n’emploie, plutôt que de donner à chacun un travail décemment rémunéré.
La situation de la Grèce est apocalyptique : le taux de suicide a doublé depuis le début de la crise. Chaque jour, un service public est privatisé. Le dernier plan d’austérité prévoit, entre autres saignées, une réduction de 20 % des retraites supérieures à 1200 euros, la mise en réserve de 30 000 fonctionnaires, l’abaissement du seuil d’imposition de 8000 à 5000 euros de revenus annuels. La Grèce est devenue le SDF de l’Europe. Le message est clair : « Regardez ce qui va vous arrivez si vous ne consentez pas aux règles de bonne gestion ». Le spectacle de la Grèce est supposé produire le même effet de sidération que celui du SDF. Le peuple français est sommé de tirer la seule conclusion qui s’impose : il devra renoncer à son modèle social.
Ne pas céder à la peur, ne pas se laisser impressionner, c’est aussi récuser l’imprégnation idéologique de nos élites par le discours anglo-saxon de culpabilisation des pays européens : l’euro, les dettes et déficits, la faiblesse des banques… c’est l’hôpital qui se moque de la charité !
S’opposer à cette logique de l’imperium mondial est seule façon, pour le peuple français d’être à la hauteur du peuple grec qui a exprimé, hier encore, son indignation, en bloquant l’accès aux principaux ministères.