Dans le débat actuel sur la laïcité, le président Macron se pare avec délectation d’éléments idéologiques auxquels jamais il n’a cru une seconde.
Dans la confusion du « et en même temps », voici notre locataire de l’Élysée converti de fraîche date à la laïcité républicaine. C’est pourtant lui qui en 2018, au collège des Bernardins, dénonçait « la radicalisation laïque » poussée par des « laïcards extrémistes ».
Dans l’espace économique capitaliste, la désagrégation politique et idéologique s’approche de son paroxysme avec la crise sanitaire du Covid-19. Donc, pour éviter toute progression du débat raisonné, on le rend le plus confus possible et impossible à critiquer sur le fond. Aussi, les polémiques s’enchaînent au rythme de tweets incohérents et sans substance politique. C’est ainsi qu’il faut apprécier la nouvelle posture laïque du gouvernement, une agitation spectaculaire pour rien, ou plutôt une posture face aux tragédies terroristes des tueurs islamistes. Une fois l’actualité braquée sur un autre sujet, le pouvoir jettera la laïcité, conçue comme un fond de décor du spectacle politique, par-dessus bord comme un kleenex usagé. Les militants de la République sociale doivent avoir pleinement conscience que l’époque vire à « l’absurdie », érigée en système de pouvoir.
Depuis novembre 2018, les crises s’enchaînent sans désemparer : crise des « gilets jaunes », crise liée à la volonté de liquider les retraites par répartition et enfin crise sanitaire du Covid-19. Cette situation provoque un raidissement autoritaire du pouvoir, déjà conçu par la Constitution de la Ve République comme un « pouvoir personnel ». Il s’agit en fait d’un bonapartisme au petit pied. Charles Pasqua disait que « la Constitution de la Ve République avait été faite pour un chêne… mais pas pour ses glands ! ». En réalité, le Président actuel a fort peu de pouvoir réel, la politique économique et monétaire est soumise à Bruxelles, la politique étrangère et militaire est supervisée par l’OTAN. On peut difficilement imaginer de Gaulle sans la « politique de la chaise vide » sur le dossier européen et sans le retrait du commandement intégré de l’Alliance atlantique. Avec Macron en 2020, c’est la pantomime du gaullisme, sans même avoir le pouvoir d’arrêter l’aberrante « heure d’hiver ». Ce pouvoir gesticule et impose des « attestations de déplacement » en période de confinement pour exister aux yeux des Français. Pour cela, il s’appuie sur un appareil répressif extraordinaire car il dispose de plus de 300 000 policiers nationaux, municipaux et gendarmes, ce qui en fait le pays le plus policier du monde par tête d’habitant. Mais le pouvoir macroniste continue encore et encore. Il a fallu que des centaines de milliers de citoyennes et citoyens se mobilisent en pleine pandémie du Covid-19 pour que le pouvoir du nouveau « Napoléon le petit » recule un peu, en tous les cas sur l’article 24 de la loi scélérate dénommée « Sécurité globale ». Cet intitulé utilise le terme « global » pour éviter celui de « total », sans doute trop proche de « totalitaire » ! Bref, le pouvoir tient grâce à sa police et lui passe tout. Les attentats de 2015 n’ont donné lieu à aucune sanction ni demande de démission des membres de la hiérarchie policière, des services policiers et militaires tant extérieur qu’intérieur qui ont été pris de court par une organisation terroriste d’une centaine d’individus, logistique comprise. Les dizaines de mutilés et d’estropiés du mouvement des « gilets jaunes » n’ont également engendré aucune sanction disciplinaire ni à la base ni au sommet de la maison police.
Dans ce contexte, une succession d’événements va s’enchaîner de manière brouillonne.
Préparé de longue date, un autre pan de ce dispositif de contrainte autoritaire a été annoncé par l’Élysée : la loi contre le « séparatisme ». C’est une formule creuse dont la Macronie et ses agences de « spin doctors » ont le secret.
Qu’est- ce que le séparatisme ? On connaissait l’exemple corse et le fait que l’Assemblée régionale soit aujourd’hui tenue majoritairement par des « séparatistes » bien réels. La nouveauté macroniste consiste à introduire ce terme pour désigner des comportements visant à vivre en communauté religieuse en dehors de la République. Une multitude de lois et de règlements existent déjà pour combattre ces déviances. Pour des raisons politiciennes, ou plutôt « politicardes », Macron a soulevé ce lièvre pour braconner à droite. Cette vieille tactique a été utilisée par tous les présidents de la Ve République depuis 1983, date de l’émergence du Front national, sponsorisé à l’époque par l’Élysée et en particulier le Préfet de la République Bianco, aujourd’hui président de l’Observatoire de la laïcité.
Se produisent soudainement deux actions terroristes, l’une à Paris, l’autre à Conflans-Sainte-Honorine. Devant le caractère ignoble de ces attentats, la présidence de la République change soudainement de braquet, consciente de la friabilité de pseudo concept tel que le « séparatisme ». Elle gobe donc en un seul coup une idéologie en dehors de son corpus : la laïcité ! Celle-ci devient soudainement « ce qui fait la France ! ». Pour paraphraser Guy Mollet qui disait de Mitterrand qu’il « parlait socialisme, mais le parle mal », Macron parle laïcité mais tout aussi mal ! Son interview « gloubiboulga » à la chaîne de télévision du Qatar en est un exemple révélateur. Devant cet échec rhétorique, l’apprenti Bonaparte va encore modifier sa posture, intégrant l’idéologie laïque au dispositif sécuritaire. Bref, il va en faire, non pas ce qu’elle est, c’est-à-dire une organisation de l’émancipation humaine, mais au contraire un moyen de contrôle social et de répression.
Ainsi, un triptyque contrôle sécuritaire-contrôle sanitaire-contrôle idéologique se met en place, mais dans une certaine panique au sommet de l’État, il faut bien le constater !
Dans cette confusion voulue et entretenue, les militants laïques ont pour devoir de clarifier les choses. Les partisans de la République laïque et sociale n’ont rien de commun avec cette confusion tendant à transformer des valeurs et des principes laïques d’union populaire par le rassemblement du peuple souverain, en une sorte de catéchisme creux et sans perspective de justice sociale.
L’objectif dans la situation présente est de clarifier, point par point, ce que nous entendons par laïcité. Les lecteurs habituels de ReSPUBLICA connaissent déjà nos analyses et notre engagement dans le mouvement Combat laïque Combat social – Fédérer le peuple. Nous vous proposons aussi aujourd’hui un texte intitulé « Leur laïcité et la nôtre » qui, tout en constituant une réponse à Jacques Rancière, marque bien les lignes de clivage.