Paru dans Lutte de Classe n° 133, février 2011 (traduction de larges extraits d’un article de Class Struggle, trimestriel édité par Spark).
Aux États-Unis, l’école publique est en butte à des attaques accompagnées d’une débauche de propagande.
Fin septembre [2010], un documentaire sur le système scolaire américain intitulé En attendant Superman est sorti accompagné d’une grosse publicité, plus qu’il n’en est réservé habituellement aux
documentaires. Il a été couvert par l’ensemble des principaux médias. Le réalisateur et la distribution ont eu droit à un traitement de stars, rien moins que deux épisodes de l’émission d’Oprah Winfrey et plusieurs émissions d’actualités de NBC.
En attendant Superman, Oprah, le New York Times et NBC racontent tous la même histoire : les écoles publiques sont en crise, elles ne parviennent pas à éduquer les enfants et c’est leur propre faute, celle des enseignants et de leurs syndicats, qui protègent les mauvais enseignants avec un système de titularisation empêchant de les licencier. Ils sont tous d’accord pour réclamer les mêmes « réformes » : l’augmentation du nombre « d’écoles à charte » qui sont privées et le transfert au profit de ces dernières de plus en plus d’argent public et des rares ressources disponibles, le démantèlement des syndicats d’enseignants et des conventions collectives, et l’abandon des diplômes requis pour enseigner dans les districts scolaires urbains. Mais, simultanément et paradoxalement, ils réclament aussi qu’une plus grande prétendue « responsabilité » soit exigée des enseignants.
Ils sont rejoints en cela par le président Barack Obama et son ministre de l’Éducation, Arne Duncan, qui ont fait de ces exigences la pièce maîtresse de leur programme intitulé Course vers le sommet et des allocations de crédits qui lui sont liées. Les assemblées législatives des États et les conseils scolaires des villes du pays reprennent ces exigences à leur compte, adoptent des lois conformes à la législation Course vers le sommet et la politique pour les appliquer.
La véritable crise : les écoles de la classe ouvrière dépouillées de leurs crédits
Toutes ces critiques ont raison sur un point : il y a une crise dans les écoles publiques. Une statistique saisissante permet de le constater : 23 % de la population adulte des États-Unis est illettrée. Plus de 30 % des élèves qui entrent dans le secondaire ne terminent jamais leur scolarité, sans compter ceux qui n’y entrent jamais. Et parmi ceux qui l’achèvent et continuent dans les collèges universitaires (universités de premier cycle, souvent techniques), près de la moitié doivent prendre des cours de rattrapage pour être au niveau qu’ils auraient dû atteindre à la sortie de l’école secondaire !
À une époque où l’éducation de base est nécessaire simplement pour vivre dans la société, c’est une catastrophe. Mais la catastrophe ne s’applique pas de la même façon à tout le monde. Elle affecte principalement les districts scolaires ouvriers et pauvres, reflet d’un système de classe qui produit systématiquement une inégalité de financement entre les écoles publiques au service des riches et celles au service de la classe ouvrière et des pauvres. Ce financement inégal a créé un gouffre de qualité entre les écoles fréquentées par les différentes couches sociales.
Les écoles publiques des États-Unis sont organisées et financées en grande partie au niveau local ; leur principale source de financement provient majoritairement des impôts fonciers locaux, qui peuvent, bien sûr, varier considérablement en fonction de la valeur des propriétés dans une localité particulière. Les villes et villages au taux de pauvreté élevé ont des valeurs foncières beaucoup plus faibles que les banlieues des riches et de la classe moyenne, de sorte que les districts scolaires des zones riches auront toujours beaucoup plus d’argent à consacrer à leurs élèves que ceux des régions pauvres, quel que soit le niveau de taxation que les habitants des régions pauvres décident de s’appliquer (et régulièrement ils votent des impôts à un taux beaucoup plus élevé que les habitants des zones riches). En moyenne, aux États-Unis, les districts scolaires qui dépensent le plus consacrent trois fois plus d’argent par élève que ceux qui dépensent le moins. Même dans les États qui prétendent à un financement égalitaire, de grandes disparités demeurent, parce que les États attribuent des sommes inégales aux différents districts. Par exemple, dans le Michigan, la part du financement de l’État par élève en 2009 variait fortement, de 12 443 dollars dans la banlieue chic de Bloomfield Hills à un peu plus de 7 000 dollars, le minimum, dans les districts ouvriers et ruraux. Et cette inégalité de financement des États s’ajoute aux inégalités des financements locaux.
La disparité de financement a un impact direct sur la qualité de l’enseignement offert dans chaque district scolaire. Les districts riches ont tout ce qu’ils peuvent souhaiter, des salles de travaux pratiques ultramodernes, des salles informatiques et des bibliothèques, sans oublier les théâtres et les studios d’enregistrement, tandis que de nombreux districts plus pauvres parviennent à peine à maintenir debout des bâtiments centenaires. Les districts riches payent leurs enseignants beaucoup plus, en moyenne, que les pauvres. Le salaire moyen actuel des enseignants aux États-Unis est de 41 000 dollars par an ; dans le comté de Montgomery, le plus riche district du Maryland, le salaire moyen des enseignants a atteint 67 000 dollars, soit plus de 60 % de plus. En outre, les districts riches peuvent embaucher plus d’enseignants, et offrir un taux d’encadrement des élèves bien supérieur à celui des districts pauvres.
Ces inégalités de salaire et de conditions de travail des enseignants impliquent souvent une forte disparité dans leurs qualifications. Pour être embauché dans les districts les plus riches, un enseignant a besoin d’une bonne dose d’expérience et d’un diplôme émanant d’une école de formation des enseignants réputée, tandis qu’à New York, par exemple, près de la moitié des enseignants n’ont même pas un diplôme d’enseignement, ni même une formation dans la matière qu’ils enseignent. Très souvent, dans les écoles urbaines, les cours de mathématiques et de sciences sont donnés par une succession d’enseignants remplaçants, en l’absence d’enseignant régulier, pendant l’année entière. Inutile de dire que les élèves n’auront pratiquement rien appris en classe cette année-là.
Donc, oui, il y a un problème grave dans les écoles publiques, avant tout parce que les enfants des riches reçoivent toujours une meilleure éducation, avec plus de ressources, que les enfants de la classe ouvrière, en particulier de ses couches les plus pauvres.
Ceux qui plaident pour « la réforme scolaire » prétendent que l’argent n’a pas d’importance. Mais les riches, dont les enfants vont dans les meilleures écoles, savent que ce n’est pas vrai. C’est pourquoi leurs écoles reçoivent tellement plus de crédits.
La solution aux problèmes de l’inégalité scolaire est franchement évidente. Quiconque chercherait
vraiment à construire un système donnant à chaque enfant la meilleure éducation possible commencerait par égaliser les financements, de sorte que tous les districts reçoivent autant de crédits que les plus riches.
Ce ne serait qu’un début, pourtant. Les enfants issus d’un milieu pauvre ont déjà, dès le début de leur scolarité, un gros handicap par rapport à ceux qui sont issus d’un milieu privilégié, qui, en contact avec la culture et la littérature chez leurs parents, savent généralement déjà lire et compter quand ils entrent à l’école. C’est exactement pour répondre à cela qu’ont été créés les programmes d’aide préscolaire appelés Head Start, afin de réduire le handicap des élèves pauvres avant même leur entrée à l’école, en apprenant à lire aux jeunes enfants, en très petits groupes, en travaillant individuellement avec chacun. Des études ont montré que Head Start a eu un effet significatif et a diminué les écarts de performance pour les premières années. Mais dès les années quatre-vingt, le financement de Head Start, comme celui de nombreux autres programmes sociaux, a été progressivement réduit. Et aujourd’hui il ne s’agit plus du même Head Start, puisque de plus en plus de programmes locaux sont gérés, par des intérêts privés et des organisations religieuses, comme de simples garderies, sans éducateurs professionnels.
Quiconque cherche à donner à tous les enfants une éducation de qualité devrait fournir des ressources aux districts pauvres et ouvriers, pour donner aux écoles des enfants de la classe ouvrière, en particulier de ses couches les plus pauvres, PLUS de crédits qu’aux écoles de riches.
Le gouvernement et les riches organisent la privatisation
Mais c’est tout le contraire qui s’est passé : au cours des vingt dernières années, en réponse à une crise économique croissante, l’écart est devenu de plus en plus grand, car l’argent public a été retiré des écoles publiques de la classe ouvrière, ainsi que d’autres institutions. Les gouvernements, à tous les niveaux, ont donné plus d’argent aux riches et aux entreprises pour renforcer leurs profits dans une économie stagnante.
Le premier volet de ce transfert a été opéré grâce à une série de modifications législatives visant à donner aux entreprises privées l’argent destiné à l’éducation : par la privatisation des écoles publiques ou tout simplement leur fermeture.
En 1996, Lehman Brothers (la défunte banque) a organisé une conférence pour discuter des possibilités d’investissement dans l’enseignement public. Elle a publié un rapport dans lequel elle déclarait : « En 1996 le secteur de l’éducation peut remplacer celui de la santé comme secteur industriel prioritaire. » Mary Tanner, directeur général de Lehman Brothers à l’époque, a déclaré : « L’éducation aujourd’hui, comme la santé il y a vingt ans, est un vaste secteur, très localisé, mûr pour le changement. L’émergence des HMO (systèmes de gestion de soins) et des sociétés de gestion hospitalière a créé d’énormes opportunités pour les investisseurs. Nous pensons que le même schéma se produit dans l’éducation. » Plusieurs conférences d’investisseurs ont été organisées par les banques, la même année, toutes dans le même but.
Les écoles étaient déjà une source de profits. Elles étaient déjà obligées d’acheter des services et des fournitures sur le marché à des entreprises de ménage, de distributeurs automatiques de boissons et de snack et à des éditeurs de manuels scolaires, qui tous ont fait et continuent de faire de gros profits. Au moment de la conférence organisée par Lehman Brothers, 25 % de toutes les dépenses scolaires publiques allaient aux entreprises privées.
Mais à partir du milieu des années quatre-vingt-dix, les investisseurs privés ont jeté leur dévolu sur quelque chose de beaucoup plus gros : les écoles elles-mêmes. En regardant l’éducation des enfants du pays, ils ont vu le signe du dollar. Les principaux investisseurs, comme Lehman Brothers, JPMorgan et Fidelity Investments, ont manifesté leur intérêt et commencé à travailler pour que cela devienne réalité. Les politiciens n’ont été que trop heureux de leur rendre service.
En 1994, sous l’administration Clinton, le Congrès avait déjà adopté la « loi sur l’amélioration des écoles américaines » qui avait fourni le prétexte à la privatisation sous forme d’écoles à charte, des écoles qui reçoivent de l’argent public, mais ne sont pas gérées par les conseils d’éducation qui les financent ni responsables devant eux.
Le Congrès a poursuivi en 1997 avec la « loi sur l’extension des écoles à Charte », qui a augmenté les crédits pour ces écoles et a même été utilisée comme moyen de chantage, promettant des fonds supplémentaires aux États à condition qu’ils encouragent les écoles à charte. Cela a donné un élan à la privatisation des écoles publiques des districts pauvres et ouvriers.
Les États ont rapidement autorisé les écoles à charte : au début de l’année scolaire 1996-97, 23 États avaient déjà adopté de telles autorisations. Trois ans plus tard, ce nombre avait grimpé à 34. Malgré toute cette pression, en 2000, il n’y avait que 1 000 écoles à charte dans l’ensemble du pays, fréquentées par 250 000 enfants seulement sur une population d’âge scolaire de 64 millions. La première réaction des parents lorsque les écoles à charte ont été lancées a été moins qu’enthousiaste.
À Detroit, par exemple, un des premiers endroits où les écoles à charte ont été fortement promues, certains parents ont retiré leurs enfants des écoles publiques et les ont inscrits dans les écoles à charte, puis les en ont retirés très vite, dès qu’ils ont découvert la pagaille qui y régnait.
Les fondations interviennent
Le « mouvement » des écoles à charte avait besoin qu’on vienne à sa rescousse pour continuer. Et cela s’est fait sous la forme de fondations « philanthropiques ». Depuis 2000, plusieurs grandes fondations dirigées par des gens très riches se sont focalisées sur la réorganisation des écoles publiques et la création d’écoles à charte. Elles ont utilisé leur argent de plusieurs façons : pour financer la propagande pour les écoles à charte, en subventionner quelques-unes avec assez d’argent pour qu’elles servent de modèles, et faire des dons aux districts scolaires, pour les pousser à mettre en place des écoles à charte.
Les plus importantes de ces fondations sont la fondation de la famille Walton, créée par Sam Walton, le fondateur de Wal-Mart, la fondation Bill et Melinda Gates et la fondation d’Eli et Edythe Broad.
Il est difficile d’imaginer que ces trois magnats avaient le bien-être des enfants à coeur quand ils ont fait irruption sur la scène de l’éducation. Wal-Mart est tristement célèbre pour payer des salaires misérables à ses employés, ne pas leur fournir de couverture médicale et laisser Medicaid, l’assurance médicale pour les pauvres, les prendre en charge, eux et leurs enfants. Aux États-Unis Bill Gates engage beaucoup de travailleurs indépendants (free lance) et, à l’étranger, il s’enrichit grâce à des salaires de famine. Quant à Eli Broad, il a gagné ses milliards dans l’immobilier puis élargi son activité à l’assurance-vie et à d’autres tractations financières, avant de vendre son entreprise à AIG en 1999.
Non, ils ne font pas cela pour les enfants, mais dans le but de récupérer les milliards de dollars du financement de l’éducation publique qui vont aux grandes entreprises sous forme de subventions, allégements fiscaux et dons purs et simples.
Comme le dit un commentateur, « ce qui se passe aujourd’hui dans les grands districts urbains a été soigneusement orchestré par des philanthropes vautours ». Et quels vautours ! Tous ont fait une campagne agressive en faveur des écoles à charte ; et ce qu’ils appellent la responsabilisation des enseignants et la rémunération au mérite revient à se débarrasser des syndicats d’enseignants, à réduire les salaires et à licencier les enseignants à volonté. Pour influencer les districts scolaires urbains au niveau local, Eli Broad a créé l’école Broad de formation des directeurs. Cette école de formation a formé des entrepreneurs, et non des éducateurs, à devenir directeurs, proviseurs et membres des conseils scolaires des districts scolaires urbains du pays. Depuis 2002, environ 130 « étudiants » ont obtenu leur diplôme de l’école Broad et trouvé des postes dans 33 villes de 25 États et du District de Columbia (Michelle Rhee, ancienne directrice des écoles publiques du district de Columbia, star du film En attendant Superman, n’est pas sortie de chez Broad, mais est une grande amie de Broad et s’entretient régulièrement avec lui).
En 2009, Broad a déclaré publiquement à New York : « Nous ne savons rien de la façon d’enseigner ou des programmes de lecture. Mais ce que nous connaissons, c’est la gestion et la gouvernance. » Broad se vante ouvertement que l’éducation elle-même n’est pas importante.
L’essentiel… c’est le résultat financier.
Le gouvernement fédéral a travaillé en étroite collaboration avec les fondations. Sous George W. Bush en 2001, la loi No Child Left Behind (Pas un enfant laissé sur le côté) a intensifié les attaques contre les écoles publiques et augmenté la pression en faveur de la privatisation. Elle a établi un mécanisme pour forcer à la création de davantage d’écoles à charte. Entre autres choses, elle a exigé que toutes les écoles recevant des fonds fédéraux démontrent des « progrès annuels adéquats » dans les résultats aux tests des élèves, sous peine de suppression des crédits. (Ces « progrès » n’ont rien à voir avec une véritable éducation ou une vraie réussite des élèves, mais se fondent uniquement sur des tests très limités de mathématiques et de lecture.) Si une école n’a pas fait de « progrès » pendant trois années consécutives, elle est contrainte de se réorganiser d’une façon ou d’une autre, y compris en fermant puis en ouvrant à nouveau, mais comme école à charte ou encore en ayant recours aux services d’une entreprise privée de gestion d’école. Enfin, on a exigé que toutes les écoles recevant des fonds fédéraux parviennent à « 100 % de compétence » en 2014 sous peine d’être fermées et privatisées.
Les objectifs étaient si évidemment inatteignables que certains districts et même des États entiers ont rapidement trouvé des moyens de déjouer le système. L’État de l’Illinois, par exemple, a abaissé sa définition de la « compétence » à 20 % de réussite aux tests, ce que les réponses au hasard des élèves permettent statistiquement d’atteindre ! (C’est ainsi que les écoles publiques de Chicago ont fait la preuve de leurs « progrès », sous Arne Duncan.)
La Course au sommet de Barack Obama est la continuation de la politique de Bush, avec des objectifs encore plus draconiens, si toutefois c’est possible. Arne Duncan, maintenant ministre de l’Éducation de Barack Obama, a rempli son ministère de gens liés à la Fondation Gates et à la Fondation Broad. (Une analyse de l’Associated Press dit, en plaisantant : « Le véritable ministre de l’Éducation, c’est Bill Gates ».)
Les États qui voulaient concourir pour une partie des 4,3 milliards de dollars de crédits du ministère de l’Éducation devaient faire une demande montrant qu’ils avaient ouvert plus d’écoles à charte, qu’ils avaient remis en cause la titularisation des enseignants et lié la rémunération des professeurs à la performance des élèves aux tests normalisés. S’ils ne l’avaient pas fait, ils étaient automatiquement exclus du bénéfice des crédits. Mais les États devaient faire voter ces changements avant de savoir si les crédits leur seraient accordés, et beaucoup ont appris qu’ils ne recevraient rien après avoir procédé aux changements exigés : une carotte minuscule, combinée à un très gros bâton.
À la suite de ces attaques constantes et de manipulations cyniques des gouvernements et des riches fondations, les écoles à charte ont englouti une part importante du système scolaire public de la classe ouvrière. En 2008, douze districts scolaires ont vu au moins 20 % des élèves des écoles publiques s’inscrire dans les écoles à charte, ce qui signifie qu’une partie importante de leurs crédits est partie en même temps dans les écoles à charte. Près d’un tiers des écoles de Washington DC, de Dayton dans l’Ohio et de Southfield dans le Michigan sont des écoles à charte. À la Nouvelle- Orléans, où les responsables ont utilisé les destructions de l’ouragan Katrina comme excuse pour réorganiser le district scolaire, on est passé à plus de 55 % d’écoles à charte. Selon les Detroitnews, Detroit a maintenant 79 écoles à charte où sont inscrits 44 375 élèves, plus de la moitié de ceux qui sont actuellement inscrits dans les écoles publiques, et drainant 336 millions de dollars de l’État.
En 2010, plus de 1,4 million d’élèves étaient inscrits dans plus de 4 600 écoles à charte dans le pays. Ce n’est pas encore beaucoup. Mais ces écoles sont concentrées dans les districts populaires. Face aux exigences du gouvernement, les districts riches ont eu tendance à refuser les crédits fédéraux, parce qu’ils savent combien les exigences du Pas un enfant laissé de côté et de la Course vers le sommet sont dangereuses et à quel point la plupart des écoles à charte sont de qualité inférieure. En outre, les districts riches peuvent se permettre de ne pas céder au chantage.
Les écoles à charte : un désastre pour les enfants
Si les écoles à charte donnaient aux élèves une éducation de meilleure qualité, comme annoncé, on pourrait débattre. En fait, l’éducation dans les districts les plus durement touchés a empiré, et elle ne pouvait qu’empirer, aussi bien dans les écoles publiques que dans les écoles à charte qui les remplacent.
Malgré les quelques écoles modèles, mises en place avec force dollars des fondations, toutes les études bien faites montrent que, globalement, les écoles à charte n’ont pas de meilleurs résultats ou font pire que les écoles des mêmes quartiers, même selon les normes minimales établies par la loi du Pas un enfant laissé sur le côté, c’est-à-dire les résultats aux tests normalisés. L’étude la plus complète à ce jour, du Centre pour la recherche sur les résultats scolaires de l’Université de Stanford, a révélé que seulement 17 % des écoles à charte ont obtenu des résultats supérieurs à ceux des écoles publiques proches, tandis que 37 % en avaient de pires. Les écoles à charte de qualité inférieure sont donc deux fois plus nombreuses que celles qui sont meilleures que les écoles publiques. En d’autres termes, si les parents retiraient leurs enfants de l’école publique pour les inscrire dans une école à charte, ils courraient deux fois plus de risques que leurs enfants reçoivent une plus mauvaise éducation que de chances qu’ils en reçoivent une meilleure.
Les écoles à charte absorbent aussi les ressources publiques. Tout enfant qui quitte l’école publique pour une école à charte emporte avec lui le financement public, ce qui signifie une fuite de ressources hors des écoles publiques, donc une plus grande difficulté pour elles à maintenir leur niveau et plus encore à s’améliorer.
Les écoles à charte gaspillent également les ressources destinées à l’enseignement à travers leur propre fonctionnement. Leur décentralisation entraîne beaucoup d’inutiles duplications des tâches, dans la création des programmes, la structure de la paie, la commande des manuels et autres matériels. Toutes ces duplications entraînent des coûts administratifs beaucoup plus élevés, qui viennent en déduction des financements publics par élève et ne sont donc pas utilisés pour l’enseignement. L’organisation des écoles à charte est une perte de ressources pour tous, même pour les écoles à charte elles-mêmes, même pour celles qui sont à but non lucratif.
La question des écoles à charte est tranchée. Mis à part quelques-unes qui ont obtenu des ressources supplémentaires et servent de vitrines, elles ne font pas mieux que les écoles publiques, et souvent pire, bien pire parfois, dans l’éducation des élèves. Si l’objectif de tous ces « réformateurs » au sein du gouvernement était vraiment d’améliorer la qualité de l’éducation des enfants du pays, ils mettraient immédiatement un terme au financement des écoles à charte et reverseraient ces fonds, et plus encore, aux écoles publiques auxquelles ils ont été volés.
Les entreprises tirent profit des écoles à charte
Les politiciens et les experts préfèrent au contraire continuer à se lancer à toute vitesse dans la multiplication d’écoles à charte, et pour une raison importante.
La décentralisation des écoles à charte est exactement ce qui les rend si attrayantes pour les fondations et les entreprises qui sont derrière. Dans les grands districts scolaires urbains, c’est une administration unique qui contrôle les cordons de la bourse. Les écoles à charte suppriment ce contrôle et ouvrent les fonds à une foule innombrable de fournisseurs de services (maintenance, comptabilité, services alimentaires), anciennement gérés directement par les districts eux-mêmes.
Sans oublier les grandes chaînes d’éditeurs de manuels, qui peuvent désormais conclure des accords plus rentables avec de nombreuses écoles différentes, au lieu de traiter avec des conseils d’éducation centralisés, qui ont la possibilité de fixer des limites à ce qu’ils paieront. Par ailleurs, avec autant d’écoles différentes, la transparence financière est quasi impossible.
Et enfin, la promotion des écoles à charte donne la possibilité aux entreprises d’intervenir et de s’enrichir directement avec l’éducation en gérant les écoles. Mais pour que les entreprises fassent un bénéfice important, supérieur aux frais de gestion des écoles, elles doivent réduire les coûts : c’est-à-dire fournir aux élèves le moins de services possible, payer moins d’enseignants avec moins d’argent pour faire plus de travail, de jeunes enseignants submergés par la charge de travail qui partent au bout de deux ans, sans qu’une continuité puisse jamais s’établir. C’est exactement ce qu’on constate dans la plupart des écoles à charte.
Et ce n’est pas tout, les écoles à charte peuvent être fondées par pratiquement n’importe qui, ce qui signifie que beaucoup d’entre elles ont été fondées par de vrais escrocs espérant faire de l’argent rapide. Les lois sur les écoles à charte ont permis à toutes sortes d’entrepreneurs véreux d’installer des « écoles » dans d’anciens entrepôts et magasins et de gagner des millions dans un très court laps de temps, pour fermer un an ou deux après, laissant les élèves en plan. Certains « escrocs » sont de très grandes entreprises : en 2004, la plus grande société d’écoles à charte de Californie, la California Academy Charter, a fait faillite, fermé 60 écoles et abandonné plus de 6 000 élèves sans école juste au début de l’année scolaire. Mais pas avant que le fondateur de la société n’ait reçu 100 millions de dollars de l’État !
L’attaque contre les enseignants
Il n’est pas surprenant d’assister à une campagne pour la privatisation de l’école au moment où le gouvernement répond à la crise par des coupes dans tous les programmes publics. Mais l’attaque contre l’éducation ne s’arrête pas à la privatisation. La bourgeoisie et ses politiciens prennent aussi des mesures pour réduire les fonds publics consacrés à l’éducation, et les récupérer pour le renflouement des entreprises et les exonérations fiscales.
Les districts ont déjà réduit leurs dépenses pour les bâtiments scolaires qu’ils laissent s’écrouler et pour d’autres services comme l’entretien régulier des locaux, le ménage ou le personnel infirmier. Il ne reste plus que les enseignants eux-mêmes, qui forment la plus grosse partie du budget dans un système scolaire public.
La première attaque contre eux au cours des dernières décennies a consisté simplement à réduire leur nombre en fermant des écoles, en regroupant les programmes et en supprimant des postes, à mettre plus d’élèves dans moins de classes encadrées par moins d’enseignants. Mais aujourd’hui, l’attaque frappe toute la profession.
La propagande des fondations, des politiciens et des experts, y compris celle d’Oprah et En attendant Superman, propage l’idée que les problèmes des écoles publiques sont imputables à de mauvais enseignants.
Ils prétendent que les enseignants sont irresponsables parce qu’ils sont titulaires, ce qui rend impossible leur renvoi par les administrateurs. Le fait qu’il s’agit d’un mensonge flagrant n’empêche pas les propagandistes de le répéter. « Titulaire » ne signifie pas « emploi à vie », cela signifie que l’enseignant a droit à une procédure régulière avant d’être renvoyé. En fait, toutes les tentatives de suppression de la titularisation des enseignants se sont révélées être des tentatives de licenciement sans motif des enseignants les mieux payés et les plus expérimentés, pour les remplacer par des enseignants inexpérimentés et beaucoup moins bien rémunérés. C’est ce que « responsabilité » signifie vraiment pour des « philanthropes vautours ».
Par ailleurs, des gens comme Broad et Gates répandent l’idée ridicule que les enseignants des districts scolaires en difficulté n’ont pas besoin d’être formés ou d’avoir de l’expérience et ils appellent à la suppression des exigences de diplôme professionnel dans ces districts. Les gestionnaires sortant de l’école Broad prétendent que n’importe qui peut enseigner, à condition d’être assez enthousiaste, ce qui n’est rien d’autre qu’une justification pour verser à peine plus que le salaire minimum à des jeunes à peine sortis de l’Université. Le remplacement des enseignants mieux rémunérés, plus expérimentés et mieux formés par de jeunes enseignants payés à peine plus que le taux minimum et rapidement remplacés à leur tour, c’est la façon dont les vautours espèrent réduire encore plus les budgets d’éducation et dégager encore plus d’argent public pour les entreprises privées.
Detroit : l’image de l’avenir du pays
Dans les districts scolaires urbains du pays, tels des chevaux de Troie, des administrateurs, formés par la Fondation Broad, arrivent (nommés par les maires et les gouverneurs) et ont des pouvoirs extraordinaires pour détruire et démanteler les écoles publiques, ne laissant aux familles d’autre choix que d’envoyer leurs enfants dans des écoles à charte. Quand ces administrateurs quittent les districts scolaires, le mal est fait, l’éducation publique est démantelée.
Les écoles publiques de Detroit ont subi cette attaque beaucoup plus tôt que la plupart des autres districts scolaires. En 1999, Engler, le gouverneur de l’époque, et les assemblées législatives de l’État du Michigan ont imposé des lois privant le district de Detroit de son pouvoir de contrôle et l’ont donné au gouverneur et au maire de Detroit. Ils ont nommé un nouveau conseil scolaire qui a ensuite créé la première grande série d’écoles à charte et qui s’est avéré être ouvertement corrompu.
Ce conseil scolaire nommé a déclenché une tempête de protestations parmi les parents et la population, qui a conduit à un référendum concernant toute la ville pour rétablir un conseil scolaire élu en 2005.
Le conseil scolaire élu a commencé à mettre un frein aux écoles à charte, allant même jusqu’à refuser un « cadeau » de 200 millions de dollars du « philanthrope vautour » local Bob Thompson, qui insistait pour que l’argent aille à la construction de quinze nouvelles écoles à charte dans la ville.
Presque immédiatement, le conseil scolaire élu a été critiqué par le gouverneur démocrate Jennifer Granholm et d’autres fonctionnaires, ainsi que par la Fondation Skillman (un autre groupe philanthrope vautour) et par des hommes d’affaires comme Dave Bing, qui allait devenir plus tard maire de Detroit.
Au début de 2009, Granholm a de nouveau usurpé le contrôle local de la circonscription en nommant Robert Bobb, qui se trouve être diplômé de l’école Broad, directeur financier extraordinaire des écoles publiques de Detroit. Non seulement il est diplômé de l’école Broad, mais il reçoit plus de 140 000 dollars de la Fondation Broad (et d’autres fondations), en plus de son salaire annuel de 250 000 dollars dans le secteur public (un juge vient de décider qu’il n’y avait pas conflit d’intérêts. Pas étonnant, puisque le juge et Bobb servent tous deux les mêmes intérêts !) Bobb a été nommé sous prétexte de résorber un déficit budgétaire abyssal, qui s’élevait à près de 220 millions de dollars à l’époque. Curieusement, cependant, le déficit n’a fait que grimper avec lui à au moins 332 millions. En outre, selon la Chronique du Michigan, Bobb a obtenu 443 millions de dollars de prêts pour le système scolaire de l’État du Michigan, qui ne sont pas encore inclus dans le déficit officiel.
Il a plombé tout le district scolaire avec des emprunts à taux variable, comme ces emprunts immobiliers qui ont mis de si nombreux propriétaires en difficulté. Cela lui a permis de prétendre dans un premier temps qu’il avait diminué la dette du district. Mais ensuite les taux d’intérêt ont tellement grimpé que, cette année, tous les fonds alloués par l’État au district seront consacrés à payer les intérêts des prêts. Grâce à ce type de prêts, les banques d’investissement n’ont même pas à prendre les écoles en charge pour faire d’énormes bénéfices avec elles.
Ce gonflement de la dette lui donne une excuse pour démanteler le district. Il a fermé des dizaines d’écoles au cours des deux dernières années, laissant des élèves du primaire privés d’école de quartier dans une zone de deux kilomètres autour de leur maison. Cette situation a obligé des milliers de parents soit à conduire leurs enfants dans des écoles publiques très éloignées, soit à les envoyer dans les seules écoles restées proches, les écoles à charte récemment ouvertes dans leurs quartiers, parfois dans les bâtiments mêmes qui avaient abrité les écoles publiques.
La fermeture des écoles de quartier, c’est tout le contraire de ce qu’on ferait si on voulait améliorer la qualité des écoles. Certaines des écoles de quartier fermées par Bobb étaient depuis longtemps au coeur de la vie de la population environnante (la Miller School, fermée par Bobb il y a deux ans, attire encore à ses réunions annuelles des centaines d’anciens élèves, qui campent à l’extérieur devant l’école fermée). Fermer les écoles de quartier provoque l’effondrement du système scolaire public, sans parler de la ville et de ses quartiers.
Bobb a licencié des centaines d’enseignants et autres personnels du district. Il affirme que c’est nécessaire en raison de la baisse des effectifs, mais si c’était la seule raison, on aurait fermé beaucoup moins d’écoles. On le constate facilement à l’augmentation de la taille des classes qui, cette année, frise en moyenne 40 élèves par classe. Cela ne peut que dispenser aux élèves une plus mauvaise éducation et ne peut que forcer les parents, dans leur désespoir, à chercher d’autres solutions, comme les écoles à charte (Si l’objectif était une meilleure éducation, toutes les écoles resteraient ouvertes et tous les enseignants demeureraient, abaissant le ratio professeur-élèves).
Le district a également remplacé depuis longtemps les enseignants expérimentés par des jeunes de Teach for America, fraîchement sortis de l’Université, qui enseignent pendant deux ans pour un salaire dérisoire. Ils n’ont ni expérience, ni véritable formation aux techniques pédagogiques, ni même, souvent, dans les matières qu’ils enseignent. Ces « enseignants » de Teach for America, jetés dans le grand bain sans savoir nager, changent tous les deux ans. Autrement dit, ils partent juste au moment où un enseignant commence à maîtriser les choses. Mais cela permet aux administrateurs de dépenser moins d’argent pour les salaires dès maintenant et d’abaisser le montant « nécessaire » qui sera affecté au personnel enseignant dans les années suivantes.
Après avoir fermé les écoles, Bobb a commencé à louer puis à vendre les bâtiments directement aux entreprises d’écoles à charte. Les parents en colère et la population ont participé de plus en plus nombreux aux réunions du conseil scolaire pour protester (provoquant l’annulation ou le report de plusieurs réunions). Au cours des dix-huit mois où Bobb a contrôlé les écoles, l’opinion publique de Detroit est passée d’un fort soutien à ce qui était considéré comme son approche rationnelle et contre la corruption, à une forte opposition à ses tentatives de fermer de plus en plus d’écoles. Pour de nombreux parents de Detroit, la fin de son mandat en février 2011 est attendue avec impatience.
Confronté à cette opposition croissante, Bobb a recours à un chantage pur et simple, usant de la dette qu’il a créée pour préparer un « choix » entre deux plans de « sauvetage » absolument épouvantables pour le district et l’État. Le plan A demande à l’État d’effacer la dette du district, en échange de la réorganisation complète du district par l’État. Peu de détails concrets ont été révélés, mais le bureau de Bobb a annoncé que le plan A comprendrait : la prise en charge des écoles par l’État, la suppression de toutes les exigences de diplôme pour les enseignants de la ville (ce qui aidera le district à faire de l’enseignement un emploi à bas salaire), l’augmentation du nombre d’écoles à charte, la mise en place de « cyber écoles » qui permet aux élèves de rester à la maison et « d’aller à l’école » sur Internet, autrement dit, ne pas aller à l’école du tout.
Selon Bobb, la seule alternative est le plan B qui comporte : la fermeture de 100 écoles de plus au cours des trois prochaines années, l’augmentation de la taille des classes à 31 élèves aux niveaux K- 3 (les trois premières classes du primaire entre 5 et 8 ans), les années au cours desquelles une attention individuelle de l’enseignant est la plus nécessaire, la fixation de l’effectif des classes de lycée à un énorme 62 élèves, la sous-traitance du département financier – et de tout son argent ! – et d’autres divisions, et la suppression complète du transport d’élèves.
Le plan B, autrement dit, détruirait complètement le district au nom de « l’équilibre budgétaire ». C’est tellement ridicule qu’il semble que le seul but du plan B soit de forcer les gens à accepter le plan A, tout aussi destructeur, mais d’une façon plus dissimulée.
Le combat pour un grand programme d’éducation pour tous
L’éducation publique n’existait pas dans ce pays avant que des gens se soient battus en sa faveur, des mouvements de travailleurs des villes du Nord à la fin des années 1800 et le mouvement de reconstruction des Blancs pauvres et des esclaves affranchis dans le sud après la guerre de Sécession. Mais si les riches et leurs alliés au gouvernement sont aujourd’hui prospères, on se dirige vers une situation à deux vitesses dans les quartiers populaires, où ceux qui ont les moyens vont quitter les écoles publiques pour les écoles privées et les écoles à charte les mieux dotées par l’État, tandis que ceux qui n’ont pas les moyens seront abandonnés dans des écoles publiques de qualité inférieure extrêmement sous-financées et des écoles à charte mal gérées. Le capitalisme, pour soutirer l’argent des écoles, est prêt à laisser pour compte toute une partie des enfants des classes populaires dans l’ignorance et la nullité, sans même un semblant d’éducation.
La crise de l’éducation fait partie intégrante de la crise du capitalisme. Aujourd’hui, les capitalistes n’ont aucun intérêt à investir à long terme dans l’économie productive, de sorte qu’ils n’ont aucun intérêt à même un minimum d’éducation pour de nombreux enfants d’ouvriers. C’est criminel.
Même simplement sur un plan humain, tous les enfants ont un besoin profond de connaissance et de culture pour comprendre le monde. Dans un monde libéré de toutes les formes d’exploitation et d’oppression, une éducation de qualité pour tous serait une priorité essentielle, comme la nourriture, un toit et des soins.
Les capitalistes ont montré clairement que l’éducation pour tous ne fait pas partie de leur système. Mais, en luttant pour une société sans exploitation, la classe ouvrière peut en faire une réalité.