Disons-le tout net ! Nous n’aimons pas le titre, mais nous avons adoré le livre (1)La République contre son École écrit par Eddy Khaldi et Muriel Fitoussi, édité par Démopolis. 21€.
Car il y a longtemps que la France n’est plus en République. La sphère de constitution des libertés (école, services publics, protection sociale) — qui est la matrice des droits-créances pourtant indispensables pour compléter les droits-libertés si nous voulons la République sociale du 21e siècle — a été tuée par les politiques néolibérales. Et comme la république n’existe plus en France, on ne peut pas dire que c’est elle qui est responsable des maux de l’école.
Cela dit, ce livre est un bonheur : on y lit ce que nous pouvons considérer comme une étape dans la recherche de la vérité. Car améliorer la réalité matérielle n’est possible que si l’on a préalablement une bonne analyse de celle-ci et si l’on en comprend les enjeux. Ce livre, de plus de 300 pages, permet à un citoyen d’être éclairé pour enfin participer au souverain et de ne pas être “manipulé” par la société du spectacle — idée chère à Guy Debord. Les médias dominants et les discours du début du débat de l’élection présidentielle ne parlent que du nombre d’enseignants. Bien que la saignée de plus de 60.000 enseignants ces dernières années soit catastrophique, il y a bien d’autres scandales sur la politique scolaire que ce livre pointe bien.
L’introduction du livre dit l’essentiel : omerta sur le dualisme scolaire, dénigrement des pouvoirs publics de l’école publique, alignement de l’école publique sur l’école privée confessionnelle, développer le financement public des écoles privées confessionnelles, rigueur pour le privé, faveurs pour le privé confessionnel, fossé grandissant entre l’État et l’école publique laïque, ingérence de plus en plus forte de l’église catholique dans la politique scolaire au mépris de la loi de Séparation de 1905, volonté des pouvoirs publics de replacer l’église catholique comme tutelle de l’école, politique globale de l’église catholique contre l’école publique laïque des jardins d’éveil jusqu’à l’université, etc.
Les annexes donnent des chiffres de l’expansionnisme de l’enseignement privé catholique, montrent que la France est championne d’Europe du financement public des écoles privées catholiques — comme elle l’est aussi dans le nombre des lits privés d’hospitalisation (NDLR). La dernière annexe donne les chiffres des écoles communautaires juifs, protestants, bretons, basques, occitans, catalans, protestants évangéliques, bretons catholiques, musulmans et sikhs.
Comme il est écrit en fin d’ouvrage, « quel citoyen ne trouverait pas indécent de revendiquer la prise en charge, par la collectivité publique, de sa course en taxi ? Quel citoyen oserait prétendre illégal le refus de financement public de son transport privé parce qu’il porterait atteinte à sa liberté fondamentale d’aller et venir ? »
L’ouvrage donne des informations très intéressantes sur la concurrence public/privé, sur le soutien des pouvoirs publics au privé confessionnel, sur les officines du lobby patronal, du lobby catholique y compris de l’extrême droite catholique. Il est intéressant de voir que les colloques de ces officines ont comme animateurs et intervenants des habitués des médias aux ordres Natacha Polony, Éric Naulleau, Éric Zemmour, Anne Coffinier, Jean-Claude Gaudin , André Lardeux, Éric Labarre, Jean-Claude Carle (secrétaire national de l’UMP à l’enseignement privé), etc.
Les auteurs posent même la bonne question : « La gauche est-elle encore héritière de l’école de la République ? »
On apprend en lisant ce livre que l’église a une politique visant à “catholiciser les subventions publiques”. On apprend qu’une institution de la sécurité sociale, la CNAF, « est au service de l’église catholique » par l’intermédiaire de la politique de son président membre de la CFTC. On apprend comment les accords Vatican–Kouchner et la mastérisation répondent aux volontés de la conférence épiscopale. On apprend que des textes papaux prennent force et vigueur dans des universités catholiques financées par l’argent public.
Les auteurs ne vont pas jusqu’à mettre en lumière la trahison des organisations qui ont appelé au Serment de Vincennes de 1961 et qui ont “oublié” ce Serment quelques années après.
Mais pour la reconquête laïque, la lecture de ce livre est indispensable.
À partir de là, les auteurs appellent à une contre-offensive citoyenne et républicaine autour du mot d’ordre “Fonds publics pour la seule école publique !”. Bravo aux auteurs !
Notes de bas de page
↑1 | La République contre son École écrit par Eddy Khaldi et Muriel Fitoussi, édité par Démopolis. 21€. |
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