Quel positionnement après le résultat des élections tunisiennes ? Dans le numéro 667 de votre journal ReSPUBLICA, nous fustigions le comportement des médias dominants et les yeux de Chimène que de nombreux responsables politiques (1)de droite, de gauche et malheureusement aussi de la gauche d’alternative avaient pour le parti islamiste Ennahda. Ils n’ont fait que reprendre le positionnement Juppé qui a donné le la de la bien-pensance conformiste jeudi matin 27 octobre sur France Inter.
Puis certaines associations françaises se référant à la laïcité ont analysé le résultat des élections tunisiennes comme un « échec de la laïcité ». Là encore, quelle erreur d’analyse ! Comme quoi l’idéalisme philosophique entraîne à la confusion. Ces camarades projettent leur impuissance en France sur fond d’une pseudo analyse en Tunisie et nous jouent les pleureuses ! Ils nous disent : « Mais vous rendez compte, ils vont instaurer une religion d’État ! ». Et nous leur répondons que dans la dictature scélérate de Ben Ali, l’islam religion d’État était déjà installé ! Comme la religion dans la plupart des pays en Europe ! Réglons une fois de plus le compte de l’idéalisme philosophique qui entraîne souvent la surplombance d’une idée sur toutes les autres alors que le 21e siècle est le siècle où l’esprit de la globalisation des combats et de la globalisation de l’analyse est nécessaire pour comprendre et agir. Sur ce dossier, comme sur tant d’autres, on ne peut pas isoler la laïcité des autres principes. Pire, s’il y a des moments historiques où le combat laïque prend une grande ampleur, il y en a d’autres où la laïcité n’est pas le principe qui surdétermine les autres.
La « révolution tunisienne du printemps 2011 » n’avait pas pour coeur de cible la laïcité. Le problème central était de mettre fin à la dictature scélérate, au retrait du pouvoir de la bourgeoisie compradore qui désespérait autant les jeunes ouvriers, employés et couches moyennes intermédiaires par le chômage et l’évasion hors frontière de la valeur ajoutée produite en Tunisie, que les jeunes surdiplômés de l’université qui ne trouvaient pas de travail.
Ces élections sont un début de processus et non la fin d’une espérance. Tout ne fait que commencer. Diantre ! L’histoire nous montre que tout processus qui ne commence pas par la rupture démocratique termine dans une impasse. Mais bien sûr, tout processus qui commence par une rupture démocratique peut être l’objet d’un putsch mettant fin à ce processus. Mais jamais on a vu l’application du principe de laïcité et donc de la rupture laïque avant la rupture démocratique. Et la rupture sociale demande que les deux autres aient déjà eu lieu. Il faut lire et relire Jean Jaurès à ce sujet. (2)Notre époque démontre la nécessité de pousser jusqu’à une 4e rupture écologique qu’il faut penser pour agir.
Par ailleurs, ne trouvez-vous pas étrange que personne n’analyse les élections tunisiennes pour voir la situation de la droite néolibérale, du panarabisme, de la gauche en général et de la gauche laïque et républicaine en particulier, du centre confus, etc.
Le Parti islamiste Ennahda a deux atouts : il a réussi l’unification des islamistes et surtout il était le seul courant qui, quoique sans libertés politiques sous la dictature de Ben Ali, a réussi à tisser ses filets durant la dictature grâce à un accord social avec le dictateur scélérat qui sous-traitait aux islamistes la charité et le soutien social des pauvres et autres catégories défavorisées. On ne dira jamais assez que seule l’émergence d’une sphère de constitution des libertés (école, services publics et protection sociale solidaire de qualité partout et pour tous) soustraite aux communautarismes ethniques et religieux peut participer à la décroissance des forces communautaristes et intégristes ethniques et religieux. Sous la dictature scélérate de Ben Ali, la sphère de constitution des libertés n’existait pas. Point barre.
La droite néolibérale tunisienne est divisée bien que la « Pétition populaire » ait suscité une certaine adhésion. Le centre confus est écartelé entre différentes organisations souvent construites autour d’un leader. La gauche est éclatée, mais elle représente plus de 30 % des voix. La gauche laïque et républicaine existe au sein de la gauche, mais elle est encore éparpillée. Toutes les composantes de la gauche arabo-berbère sont là : les panarabes, les sociaux-démocrates, les socialistes, le centre gauche nationaliste, les communistes, les marxistes léninistes, la gauche laïque et républicaine, L’extrême gauche (même les marxistes-léninistes se sont présentés divisés et ont eu des élus !) est présente, mais comme d’habitude ne peut s’unifier. La gauche est divisée non pas sur des questions de fond, mais à cause de divergence sur la stratégie. Notamment sur le problème de l’alliance ou pas avec les islamistes. Et puis, la règle qui veut que moins on est dans « les masses comme un poisson est dans l’eau », plus l’idéalisme est au poste de commande et plus on s’écarte des couches populaires, des couches moyennes salariées intermédiaires et des couches paysannes, se confirme encore. C’est une spirale que l’on connaît bien dans tous les pays du monde. Mais c’est plus facile à dire qu’à corriger.
Alors, soyons sereins et déterminés. Continuons la promotion du modèle politique de la république sociale comme alternative à la triple crise économique, financière et de la dette publique sur la ligne du double front d’une part anticapitaliste et d’autre part anti-intégriste et anti-communautariste en France et dans nos alliances dans le monde. Et puis, nos camarades prendront des initiatives d’éducation populaire tournées vers l’action en France pour expliquer la nouvelle donne tunisienne en présentant l’ensemble des organisations politiques, syndicales et associatives en présence en Tunisie. Ainsi, la gauche laïque et républicaine française ne sera pas sous la coupe des pleureuses.