Les déficits politico-stratégiques de la gauche du non se révèlent dans le scrutin du premier tour des Régionales

Répétons-le, la gauche du non doit parler d’abord aux 31,3 % de ceux qui sont à gauche et ont voté non le 29 mai 2005. Ce jour-là, les couches populaires (ouvriers, employés), majoritaires dans notre pays, ont assuré la victoire du non. Gaël Brustier et Jean-Philippe Huelin l’ont bien montré dans leur livre « Recherche (le) peuple désespérément« , la carte du non du 29 mai est la même que la carte de grande implantation des couches populaires.

Qu’en est-il aujourd’hui ?

Aujourd’hui, les couches populaires sont objectivement les couches sociales les mieux à même de porter la seule alternative cohérente possible.

Pour dépasser la phase du turbocapitalisme, nous avons largement montré qu’il faut prendre conscience des caractéristiques de ce dernier :

  • Déformation de la valeur ajoutée au profit des profits depuis le tournant libéral de 1983 (9,3 points de PIB, soit 170 milliards d’euros en euros 2007),
  • Processus de marchandisation, de privatisation des profits et de socialisation des pertes des services publics et de la protection sociale,
  • Processus d’harmonisation par le bas des systèmes de protection sociale par la concurrence libre et faussée,
  • Nouvelle gouvernance mondiale : directions des firmes multinationales, des associations multilatérales (OMC, FMI, BM) et régionales (UE, ALENA, ASEAN, etc.), administration étasunienne.
  • Alliance de fer entre cette gouvernance mondiale et les communautarismes et intégrismes ethniques et religieux, en sorte que ceux-ci puissent appliquer la charité pour les pauvres en lieu et place de la solidarité des services publics et de la protection sociale solidaire, petit à petit détruits pour cause de « modernisation néolibérale ».

Les couches populaires ont largement compris cette réalité. Mais la gauche et l’extrême gauche pas encore totalement. Elles sont donc de ce point de vue en retard !

Mais, aujourd’hui, malgré l’approfondissement de la crise, les couches moyennes (environ 45 % de la population française) sont divisées et fortement influencées par l’idéologie néolibérale. Et cette division se reporte sur les « élites » militantes de la gauche et de l’extrême gauche. La quasi-totalité des directions politiques est aux mains de personnes issues des couches moyennes ; celles-ci ont le monopole de presque toutes les directions politiques de gauche et d’extrême gauche qui naguère organisaient la formation et l’émergence de dirigeants issus des couches populaires (à l’exception de LO mais qui reste malheureusement anti-républicaine et sans perspective politique, ce qui l’empêche de prospérer). Pour corroborer ce dernier point, il suffit de voir les dirigeants de gauche et d’extrême gauche :

  • se vautrer dans le relativisme culturel, le différentialisme, l’alliance avec l’islamisme considéré comme religion des pauvres,  les autres religions étant considérées comme religions des riches, leur refus de la globalisation des combats (le refus de tous les partis de considérer l’urgence laïque au même niveau que l’urgence écologique, que l’urgence sociale ou l’urgence démocratique ou l’urgence féministe par exemple),
  • donner la priorité aux revendications des couches moyennes, refuser de se battre pour des droits universels, pour la laïcité, pour la priorité aux luttes pour le salaire, pour les conditions de travail, pour la protection sociale solidaire, pour les services publics, pour l’émancipation de toutes les femmes du monde entier (sans abandonner par exemple les femmes qui luttent pour leur émancipation, soit parce qu’elle vivent dans des pays sous lois musulmanes,soit parce qu’on préfère défendre les cultures rétrogrades qui les considèrent comme des êtres humains de seconde zone, soit encore parce qu’on n’ose pas combattre le lobby catholique qui arrive à supprimer les crédits pour le planning familial, les centres IVG ou à diminuer le nombre de médecins des hôpitaux qui acceptent d’appliquer la loi Veil de 1975), et encore augmenter d’année en année depuis un quart de siècle le financement public des écoles privées catholiques, etc.
  • peindre en vert des programmes, des logos et autres éléments symboliques. En lieu et place de cette attitude symbolique, il convient de globaliser toutes les combats y compris le combat écologique mais en le mettant au même niveau, ni plus, ni moins que les autres. Il faut comprendre que la poussée d’Europe Ecologie répond à d’autres facteurs.

Le Front de gauche n’a toujours pas réussi à parler aux nonistes de gauche qui votent PS ou qui s’abstiennent

La stratégie du Front de gauche n’a de sens que si elle arrive à convaincre un nombre significatif des nonistes de gauche (31,3 % le 29 mai 2005) qui par millions se réfugient dans l’abstention ou votent PS. Réussir à stabiliser les voix du PCF de 2004 ou les voix du Front de gauche des européennes de 2009 permet sans doute de rebondir mais demande de se poser les bonnes questions et ne pas se recroqueviller autour du slogan de la méthode Coué « Tout ce qui arrive montre que nous avons raison » même quand on a tort ! Si le Front de gauche n’arrive pas à sortir de l’autosatisfaction délivrée par ses leaders, il apparaît certain que, les faits étant têtus, la question lancinante perdurera au sein des couches populaires.

Les nonistes de gauche qui ont fait le choix de rester au PS n’ont toujours pas aujourd’hui de base d’appui pour résister à la nouvelle vague de social-libéralisme

Les nonistes de gauche, qui ont fait le choix de rester au PS malgré le soutien de ce dernier à Nicolas Sarkozy pour faire voter le traité scélérat de Lisbonne en 2008 contre l’avis du peuple, peuvent être confortés par le bon score du PS à ce premier tour, mais ils ne réussiront dans leur stratégie que s’ils expliquent comment ils pourront  résister à la prochaine vague du social-libéralisme, eux qui n’ont pas pu le faire lors du tournant social-libéral de 1983 ou du ralliement du PS à Nicolas Sarkozy en 2008. Cet article leur est consacré comme à ceux qui ont choisi la stratégie du Front de gauche.

Tenir compte de la nouvelle géosociologie des territoires

Toujours dans le livre précité, rarement lu par les « élites militantes », la preuve est donnée que les couches populaires se trouvent de moins en moins dans les villes-centres (où se concentrent les militants politiques) et de plus en plus dans une partie de la banlieue, mais aussi dans les zones périurbaines et rurales. C’est pourtant elles qui détiennent la clé de l’élection de 2012 et de tout changement dans le pays. Il convient donc pour les partis politiques conséquents d’agir pour que la ligne politique, la stratégie et la répartition des militants répondent à cette nouvelle géosociologie des territoires.

Est-ce que les militants politiques sont des acteurs du mouvement social ? Malheureusement, non !

Une des conditions pour que les partis de la gauche du non deviennent des partis représentatifs des couches populaires reste que les militants politiques de ces partis redeviennent des acteurs du mouvement social. Pour cela, il faudrait qu’un nombre significatif de militants politiques soient également des responsables syndicaux (pour l’animation des luttes) ou associatifs (pour le développement de l’éducation populaire tournée vers l’action). Car il est erroné de penser que tout peut-être fait du « haut » du parti politique ! C’est alors qu’ils pourraient lier dialectiquement « le mouvement d’en haut avec le mouvement d’en bas », comme l’avait théorisé le CERES avec la 16ème thèse pour l’autogestion de la Convention du PS de 1975 (26,9 % des voix au sein du PS), juste avant que la direction du CERES l’abandonne pour retourner dans les calculs politiciens de l’époque, subjuguée qu’elle était par François Mitterrand !

En attendant, les partis politiques du non de gauche distribuent leurs tracts dans les manifestations du mouvement social, animées en général par les syndicats et quelquefois par des collectifs où la présence des syndicats est déterminante. Et s’ils participent aux collectifs, c’est rarement en participant à leur animation (sauf par exemple pour la votation citoyenne du 3 octobre 2009 où le PS et le PC et leurs élus ont mouillé leur chemise, ce qui n’était plus arrivé depuis longtemps).  Mais ils apparaissent encore  bien trop extérieurs au mouvement social. C’est par la reconnaissance du mouvement social que la gauche du non peut prendre force et vigueur et reconquérir durablement les couches populaires majoritaires dans le pays.

Sans globalisation des combats, pas de liens durables avec les couches populaires

Nous avons entendu beaucoup de leaders associatifs et politiques se présenter en liant uniquement le combat social et le combat écologique, en reléguant les autres combats dans leur arrière-cour. Comme quoi singer Europe Ecologie sans comprendre pourquoi le mouvement s’est développé est une ânerie : le peuple votera toujours pour l’original et non pour la copie.

L’alternative réside dans la globalisation des combats républicains, sociaux, laïques, féministes, démocratiques et écologiques, en recherchant une cohérence d’ensemble et non la subordination de certains combats aux autres au gré d’opportunismes, pour faire plaisir à tel groupe que l’on veut « draguer » ! D’autant plus que ce n’est pas en juxtaposant des groupes les uns aux autres que l’on construit une stratégie à front large, mais en les faisant venir sur une ligne cohérente dans un mouvement d’ensemble.

Sous-estimer l’attachement aux droits des femmes du monde entier de la quasi-totalité des femmes des couches populaires et de la majorité des femmes des couches moyennes est un « crime politique « . C’est pourquoi refuser de placer l’urgence laïque et féministe au même niveau que les autres urgences relève :

  • soit de l’influence de la prégnante idéologie du relativisme culturel et du différentialisme,
  • soit d’une vison stratégique répondant au principe de « la dictature de la tactique « , c’est-à-dire à subordonner de façon opportuniste la ligne à la stratégie.

Sous-estimer en France, l’attachement du peuple au modèle laïque de la République sociale relève d’une naïveté politique affligeante.
Sous-estimer la demande d’un renouveau démocratique y compris dans l’organisation politique relève  d’une cécité non moins affligeante.

Sans développement d’un grand mouvement d’éducation populaire tournée vers l’action, pas de victoire dans la bataille de l’hégémonie idéologique et donc pas de victoire durable de la gauche

Cette nécessité a été développée en son temps par Antonio Gramsci. Vouloir s’en abstraire est une ânerie. Faire croire que l’éducation populaire tournée vers l’action peut être faite par un parti politique est une erreur politique. Confondre une conférence publique avec un stage de formation ou avec un cycle d’éducation populaire est confondant de bêtise.

Chaque type d’organisation –  le parti, le syndicat, l’association d’éducation populaire – a son objet. Jamais l’un ne pourra remplacer l’autre. Ce sont les trois jambes du trépied qui assurent sa stabilité. Il faut donc les développer tous les trois dans un rapport dialectique.

Conclusion provisoire

Il faut d’urgence organiser un débat démocratique sur la ligne, la stratégie et les tactiques. Faire croire que sa propre formation a la vérité révélée, que son leader est un gourou et qu’il suffit de faire trancher par les électeurs entre les différentes formations au premier tour mérite un zéro pointé ! Il faut donc approfondir le processus de refondation politique et stratégique.