La franc-maçonnerie existe depuis près de 3 siècles. Elle est née en 1717 à Londres consécutivement à la décision de 4 loges de créer la Grande loge de Londres. Cette décision philosophique et progressive advient dans une ambiance de guerre civile religieuse et de reconstruction de Londres suite à l’incendie qui ravagea la plus grande ville du monde de l’époque à la fin du 17ème siècle.
Durant ces trois siècles, trois courants principaux existent en son sein : le courant philosophique et progressif, le courant conservateur et rétrograde et le courant visant à transformer les organisations maçonniques en appareil idéologique de l’Etat dans ses versions progressiste, conservatrice ou réactionnaire.
En France, l’arrivée de la franc-maçonnerie dans les années 1720 permit l’action et le regroupement de la bourgeoisie éclairée par les Lumières dans une logique philosophique et progressive. Ce regroupement participa à la bataille pour l’hégémonie idéologique nécessaire à la transformation sociale comme l’a théorisé plus tard le grand philosophe communiste italien Antonio Gramsci.
Ce regroupement fut concrétisé par la création du Grand orient de France en 1786. Son influence sur la révolution française fut importante, tant par les idées que par le nombre de parlementaires qui en sont membres. Toutes les factions en possèdent, jusqu’aux girondins et montagnards.
Après la réaction thermidorienne, le Grand Orient de France devient sous Napoléon un appareil idéologique de l’Etat napoléonien. La chute de l’empereur et le retour de la monarchie cléricale et réactionnaire est une période de reflux de la franc-maçonnerie largement contrôlée par le pouvoir qui, dans les faits, nomme les grands maîtres. L’arrivée de Napoléon le Petit (n°III pour les historiens) change la donne. Voulant faire comme son aïeul, il redonne du faste à la franc-maçonnerie qui paradoxalement devient à sa base, surtout après 1860, un foyer de rassemblement républicain. Malgré cela, elle est divisée. Des loges entières prennent fait et cause pour la Commune pendant que d’autres soutiennent les massacres de la réaction regroupée autour de Thiers. Karl Marx en prendra acte dans ses œuvres et dans son action.
Puis, pour la deuxième fois de son histoire, elle joue un rôle philosophique et progressif pendant la Troisième République, contre l’activité de la restauration monarchique, contre le cléricalisme catholique et pour des avancées sociales et institutionnelles. Tous les partis de gauche (parti radical-socialiste et parti socialiste) et d’extrême gauche ont des francs-maçons en leur sein jusqu’à Cachin et Marty, membres du PC en 1920, qui démissionneront de la franc-maçonnerie à cause de la 22ème condition (non officielle mais appliquée) de la Troisième Internationale interdisant le cumul franc-maçon et communiste.
1901 (la loi portant légalité des associations) et 1914 (la guerre) sont, pour la franc-maçonnerie comme pour l’histoire de France, un tournant dont on n’a pas fini de parler. La Deuxième Guerre mondiale voit ses « meilleurs » membres partir dans la résistance et ne plus revenir. Il est à noter que sur demande de Marcel Paul (ministre communiste à la Libération, qui organisa avec des francs-maçons un réseau de résistance pendant la guerre) le Grand Orient reçut à la Libération une lettre signée de Léon Mauvais, ès qualité du bureau politique de PCF, mettant fin à l’application de la 22ème condition de Zinoviev. Les communistes reprirent le chemin des loges.
Le renouveau de la franc-maçonnerie à la Libération voit, néanmoins, son centre de gravité déplacé à cause de ses « meilleurs » morts au champ d’honneur. Malgré cela, dans les trente années qui font suite à la Libération, le courant philosophique et progressif est toujours majoritaire, jusqu’à avoir une grande influence dans les lois favorables à la contraception et à l’IVG. Disons-le sans ambages, la bataille sur la loi de 1975 est votée par l’ensemble de la gauche et une fraction de la droite. Les parlementaires francs-maçons de gauche et de droite jouent un rôle décisif autour de Pierre Simon, militant du planning familial, qui animent les parlementaires activistes dans l’hémicycle et relaient ainsi le combat des féministes dans le mouvement social.
Puis, c’est le trou noir. Le développement de la mondialisation néolibérale dans les années 1970 modifie la donne. Le courant conservateur et rétrograde de la franc-maçonnerie se développe. Les intellectuels et acteurs sociaux largement intéressés par la franc-maçonnerie dans le passé privilégient d’autres organisations.
Un dernier chant du cygne a lieu quand le Grand Orient organise le lancement de la bataille pour une loi contre les signes religieux à l’école par le banquet républicain de Créteil regroupant 1500 personnes le 21 octobre 1989.
Au tout début de l’année 1992, le Grand Orient abandonne ce travail militant en sabordant sa propre initiative de commémoration du bicentenaire de la République qui fut organisé « petit bras ».
Puis en 1995, le Grand Orient de France, se met à autoriser les candidats à la présidentielle à venir faire leur campagne électorale au sein du Grand Orient de France. Au lieu d’être un lieu d’émission des idées nouvelles comme il l’a été par le passé, il devient un lieu de réception de l’ensemble des confusions intellectuelles de la société.
Aujourd’hui, la franc-maçonnerie française se partage entre la Grande Loge Nationale Française (2ème obédience française affiliée au Vatican maçonnique anglo-saxon) qui vise à devenir un appareil idéologique de l’Etat au service du néolibéralisme et la franc-maçonnerie adogmatique animée par le courant conservateur. C’est dans cette ambiance que le vote du convent du Grand Orient, cité ci-dessus, peut être analysé.
Mais ce n’est pas la fin de l’histoire. Le courant philosophique et progressif qui est une forte minorité a pour lui l’engagement historique du Grand Orient largement cité dans les constitutions et rituels de la franc-maçonnerie adogmatique. L’avenir nous dira ce que deviendra ce mode organisationnel maçonnique, fort aujourd’hui de plus de 130.000 membres en France.