« Je sais bien que les grammairiens font différence entre dire mensonge et mentir, et disent que dire mensonge, c’est dire chose fausse, mais qu’on a prise pour vraie, et que la définition du mot de mentir en latin, d’où notre français est parti, porte autant comme aller contre sa conscience, et que par conséquent cela ne touche que ceux qui disent contre ce qu’ils savent. »
Montaigne, Les Essais. (1)Mes remerciements pour ses commentaires vont à mon ami et néanmoins collègue Daniel Garcia, à qui je dois cet épigraphe.
1ère partie : le néo-libéralisme et les classes moyennes
Sarkozy, à Annecy : « Quand on dit dans la presse anglaise qu’on est libéral et que l’on dit aux Français l’ennemi c’est la finance, on ment matin et soir. » Hollande, au 20 h de TF1 : « Il y a falsification, caricature, manipulation ».
Sans surprise, chacun des deux protagonistes de la campagne présidentielle accuse l’autre de mentir, ou du moins de tenir un double langage. Ainsi, Hollande serait socialiste à Paris, où, ennemi de la finance, il parlerait comme Mitterrand, et conservateur à Londres, où, ami du libéralisme, il parlerait comme Thatcher. Tandis que, à l’opposé, Sarkozy, qui se présente en « candidat du peuple », chercherait seulement à tromper l’opinion sur son vrai projet, renforcer l’austérité et creuser encore plus les inégalités sociales.
N. Vallaud-Belkacem, porte-parole du candidat PS, a expliqué qu’il n’y a pas de double-jeu, que c’est bien le même discours, non point social-libéral, comme certains l’en accusent, mais « social-démocrate » (elle n’a pas ajouté « moderne »), c’est-à-dire un discours qui ne prône pas la collectivisation, mais plaide simplement pour plus de régulation. Cependant que F. Fillon exonère Sarkozy de tout favoritisme à l’égard des riches : « j’entendais François Hollande expliquer que nous avions fait 70 milliards de cadeaux aux plus riches. Personne n’est capable de documenter cette information ! C’est juste un mensonge […] Quand on demande aux socialistes où sont ces cadeaux, ils mettent pêle-mêle la taxe professionnelle, la TVA dans la restauration, les heures supplémentaires – comme si c’étaient des cadeaux aux plus riches ».
On pourrait donc se prévaloir ami du peuple en se revendiquant, soit social-démocrate, et de gauche, soit libéral, et de droite. Le social-démocrate parce qu’il serait porteur des valeurs de solidarité, justice et cohésion sociales, valeurs de gauche ; le libéral parce qu’il serait garant d’efficacité dans la création de richesse, préalable au bien de tous. Sous le vocable de peuple, ces deux candidats s’adressent en fait aux classes moyennes, l’un leur promettant de n’être plus les vaches à lait fiscales que porte l’austérité promise par le « président des riches » ; l’autre voulant les convaincre que leur salut passe d’abord par la création de richesse résultant de la flexibilisation des marchés, principalement du travail, et de la vérité des prix qui en résulte, ce qui supprimerait l’assistanat et les injustices devant le fruit de l’effort.
En réalité, les deux discours sont néo-libéraux, parce que tous deux hypostasient le marché : le libéral assumé professe que pénaliser les riches réduit la richesse globale et pénalise mécaniquement « le peuple », c’est-à-dire les classes moyennes ; en concédant que l’on ne peut distribuer que ce qui a été produit, le social-démocrate accepte la logique économique, dont il croit pouvoir corriger les conséquences sociales. Et comme les classes moyennes sont filles de la redistribution, c’est toujours s’attaquer directement à elles quand, sous couvert de la primauté de l’économique sur le social, on veut réduire ladite redistribution quand le système économique échoue à créer de la richesse.
Sous ses diverses formes, plus ou moins brutales, le projet néo-libéral se résume en pratique à revenir sur les « acquis sociaux », il est donc l’ennemi des classes moyennes, qui ne doivent pas se laisser abuser, soit par le mentir des libéraux revendiqués, soit par les mensonges des libéraux masqués. Il y a certes, un discours de droite, celui du libéral qui prétend que son propre intérêt est celui de tous, et celui de gauche, du social-démocrate qui défend l’intérêt général, autre que le sien propre, et qui serait donc non-libéral. C’est là une perception superficielle des choses : si le libéralisme ancien, celui du 19ème, pouvait se résumer à l’individualisme et au laisser faire laisser passer, le néo-libéralisme a pris acte des transformations économiques, sociales et culturelles liées depuis l’entre-deux-guerres à la montée du fordisme et de la société de consommation, et il a adapté son discours.
1. Le néo-libéralisme, le peuple et la redistribution
Le néo-libéralisme est généralement assimilé à l’ultra-libéralisme, au tout-marché, etc. Mais dès sa naissance dans l’entre-deux-guerres, et de par ses origines mêmes, la doctrine néo-libérale présente divers visages, avec toute une gradation dans son acceptation de l’intervention sociale, selon que la conception de l’intérêt général le réduit aux purs intérêts individuels ou l’élargit aux contraintes sociales liées à la nécessaire reproduction du système. Cette opposition entre une vision individualiste revendiquée du monde, vision à court terme, et une vision plus systémique, à plus long terme, ne doit pas tromper sur le fait qu’il s’agit toujours de l’intérêt de la classe possédante, puisque le système économique est social n’est pas mis en cause.
Ainsi, l’ultra-libéralisme prône clairement toujours plus d’austérité, tant pis si la spirale récessive s’enclenche, elle purgera le système de ses thromboses sociales et l’activité reprendra de plus belle. Mieux vaut un assainissement rapide, retarder l’échéance en accroît le coût, c’est la logique des « thérapies de choc ». Ce discours ouvertement anti-social ne peut tromper personne, sauf ceux qui font semblant parce qu’ils y ont intérêt, les rentiers. De même, le faux-ami « économie sociale de marché » peut se parer d’atours de gauche (solidarité, etc.), il peut même se dire « socio-démocrate » et prétendre pouvoir corriger les résultats du marché, il peinera toujours à masquer son fonds commun néo-libéral : soumettre la vie économique et sociale à la loi du marché, supposée infrangible. Cette vision, ordo-libérale, peut tromper ceux qui croient au social, à sa construction par la raison, etc., mais pas ceux qui savent ce que sont la mondialisation et ses conséquences : le laminage des classes moyennes.
a- le projet néo-libéral, projet anti-social destructeur des classes moyennes
L’expression « candidat du peuple » oppose sans ambiguïté la partie la plus nombreuse de la population à la partie restreinte des « riches », les élites comme on dit, dont le talent ou le mérite particuliers expliqueraient, selon le libéral, le statut exceptionnel. Le peuple, c’est donc ici principalement, en nombre, les classes moyennes, notion laissée dans le flou théorique. Les économistes de marché raisonnent comme les sociologues, en termes de revenu et de catégories socio-professionnelles définies selon des critères empiriques variables. Les classes moyennes, artisans et commerçants, paysans ou salariés positionnés autour du revenu moyen ou médian, regroupent ainsi ceux qui ne sont ni riches (les élites), ni pauvres (le « bas peuple »). La classe moyenne, c’est au fond ceux qui se perçoivent comme en faisant partie.
L’économiste politique sait, lui, qu’au gré des crises et des révoltes ouvrières, mais aussi des transformations du capitalisme, les salariés ont pu obtenir de meilleurs salaires, la sécurité sociale, accéder à des emplois qualifiés et moins durs (techniciens, surveillants, cadres, etc.). Ainsi, par la grâce de la division du travail et de la socialisation croissante du salaire via une large redistribution, est apparue à côté de l’artisanat, du petit commerce et de la paysannerie, une « classe » de salariés que l’ascenseur social a extraits de la condition sociale basse. Lenine parlait d’« aristocratie ouvrière ».
Mais à la fin des années soixante, l’épuisement des gains de productivité a rendu cette redistribution insupportable pour les possédants et leurs gestionnaires, privés ou publics. On a alors accusé les classes moyennes d’être des classes assistées, indûment protégées par un État clientéliste. Au nom de la raison économique et de la vérité du marché, le néo-libéralisme légitima la reprise collective opérée par le rentier, à qui la fin de l’âge d’or « keynésien » rendit les rênes de l’État. Le peuple, jusque-là bon consommateur et fournisseur de débouchés nationaux, devint un boulet pour le capital qui portait désormais son regard vers d’autres horizons.
En période de crise, quand la capacité productive de richesse réelle s’épuise, ladite loi du marché, celle du capital en réalité, impose la restauration des profits par la reprise des « acquis sociaux ». Le projet général néo-libéral consiste ainsi à réduire la redistribution au minimum acceptable par le peuple : l’impératif de compétitivité appelle la baisse des salaires, tant directs que socialisés. L’idéologie néo-libérale en légitime les modalités : mondialisation, financiarisation, vérité des prix des services collectifs, etc.
Les conséquences de la politique économique et sociale néo-libérale sont mécaniquement la montée des inégalités sociales, c’est-à-dire creusement des écarts de revenu, pauvreté, précarité de l’emploi et du logement, difficultés des soins, etc. La polarisation partout constatée de la richesse et des conditions de vie sociale illustre le laminage néo-libéral des classes moyennes.
Mais l’adhésion démocratique du peuple impose de maintenir la fiction d’une société ouverte à tous, ce qui passe par les services publics et les aides sociales nécessaires. Contre les « valets stipendiés du capital », qui ont pris le parti de gérer la crise en suivant la logique libérale conservatrice la plus ancienne et la plus brutale possible, la tradition humaniste, à l’origine chrétienne sociale ou social-démocrate, croit pouvoir à la fois gérer le système et écarter les maux endurés par le peuple. Mais l’acceptation de la logique économique la conduit à d’abord devoir rétablir les « grands équilibres », en premier lieu financiers. L’austérité qui en est le vecteur enfonce inéluctablement le peuple.
Au total, prétendre que le bien de tous résultera du bien des riches, c’est clairement mentir ; mais prétendre accorder loi du marché et progrès social, c’est hélas pur mensonge. Le peuple ne peut rien attendre des élites politiques qui ont accepté et géré le tournant néo-libéral de la dynamique du sytème. Le néo-libéralisme s’est imposé à elles, plus ou moins ouvertement, parce que son fonds commun, écarter toute socialisation de l’économie et laisser à chacun la possibilité de « gagner », s’est trouvé, au tournant des années 70, totalement en accord avec les besoins du moment, quand l’« homme aux écus » dut trouver le moyen de faire de l’argent autrement qu’en finançant une industrie à bout de souffle.
Le recours à la pure finance fit alors renaître de ses cendres le rentier du 19ème siècle. Sous sa gouverne, toujours il s’agissait de reprendre au peuple ce qu’il avait indûment arraché, au gré des circonstances politiques, en imposant un total laxisme de la redistribution. Mais la « revanche du rentier » passa par des options divergentes, qui s’imposèrent, l’une plutôt que l’autre, et plus ou moins rapidement, selon les conditions historiques, sociales et culturelles de chaque nation. On peut distinguer trois grands types de néo-libéralisme : ultra-libéralisme, monétarisme et ordo-libéralisme.
b- les trois faciès du néo-libéralisme
Le néo-libéralisme légitime la primauté des décisions individuelles par la capacité du marché à les coordonner harmonieusement pourvu qu’elles soient libres et raisonnées. Chacun obtient alors la juste récompense de son talent. Cependant, le marché peut tenir à l’écart celui qui, par cause naturelle, n’aurait pas la chance d’être « employable ». Les néo-libéraux divergent sur la manière de garantir un bon fonctionnement du marché et sur la forme de l’intervention sociale contre la sélection naturelle.
• Les plus radicaux sont les libertariens, qui, à la suite Hayek, considèrent que seul l’individu sait ce qui est bon pour lui et qu’en conséquence nul ne peut décider à sa place. Le verdict du marché, lieu de la confrontation des choix individuels et de leur mise en cohérence, est juste s’il n’y a pas d’interférence extérieure de l’État. Celui-ci doit être limité aux fonctions régaliennes et en aucune manière imposer des contraintes au fonctionnement du marché, qui est optimal quand il s’autorégule. Les libertariens s’opposent au constructivisme social, selon eux générateur de pertes de bien-être collectif.
Économiquement, nul besoin de banque centrale, la bonne monnaie chasse les mauvaises, ni de lois de la concurrence, si monopole il y a c’est qu’il est efficace, ou de toute politique autre que visant la garantie de la propriété personnelle et le libre jeu du marché. C’est la théorie des marchés efficients, qui a sous-tendu la marche dérégulée de la finance : le marché libre donne toujours le vrai prix, celui qui assure l’harmonie des plans individuels. L’équilibre général n’est pas calculable, il se réalise spontanément.
Cette idéologie des marchés efficients est celle de la finance. En effet, mâtinée de théorie de l’agence, elle fonde le principe de la « valeur actionnariale » ou « création de valeur pour l’actionnaire », selon laquelle la rémunération des managers doit les inciter à rémunérer au mieux l’argent des actionnaires. ainsi se justifient les bonus, stock-options, retraites-chapeaux et autres parachutes dorés. Les managers peuvent donc se gaver à hauteur de leur capacité à assurer des profits, soit par la distribution de dividendes, soit par les plus-values boursières. Mais cela incite à développer sans cesse la spéculation.
Car le versement des dividendes ou la réalisation des plus-values, virtuelles tant qu’elles ne sont pas réalisées, exige de constamment alimenter le circuit financier avec de l’argent frais. Comme il n’y en a guère, puisqu’on ne crée pas de richesse réelle, la seule voie possible est celle de la création d’argent fictif, en recourant à l’effet de levier, les ventes à découvert, etc., toutes techniques connues depuis des siècles. La spéculation est congénitale à la financiarisation et peut se retourner contre les spéculateurs indirects.
En effet, la finance à centralisé un grand volume de petits capitaux, qui peuvent désormais jouer dans la cour des grands. Nombre de petits épargnants sont devenus des petits porteurs qui s’en remettent à la science des managers. Mais quid en cas de crise de la finance elle-même ? Interviennent alors les rachats d’actions par l’entreprise, qui soutiennent ou font remonter le cours en bourse et attirent normalement de nouveaux petits porteurs. La tentation est alors grande de continuer à racheter des actions qui ne choient pas, uniquement pour continuer à s’octroyer de grasses rémunérations, ce qui, sous couvert de les enrichir, gruge les « petits » actionnaires, ceux qui n’ont pas accès aux bonus, puisque dans l’affaire ils échangent une richesse réelle présente, leurs dividendes, contre une richesse future, les plus-values latentes. Le peuple actionnaire s’enrichit fictivement, tandis que les managers, eux, ne se paient pas de promesses.
Au soutien de la logique financière, l’ultra-libéralisme rejette donc toute redistribution, supposée néfaste par la fiscalité qu’elle implique, fiscalité toujours confiscatoire et injuste en plus de détourner l’épargne des marchés. Cependant, il a conscience de la nécessité d’octroyer un revenu minimum à ceux qui resteraient sur le bord du chemin.
Le rejet viscéral de la fiscalité et de l’assistanat caractérise de même les économistes de l’offre, les « nouveaux économistes » de la France des années 70, tenants de la supply side economics popularisée par la courbe de Laffer. Pour eux, tout est calcul économique, que ce soit le choix de carrière (y compris criminelle, plus « intéressante » si la peine de mort est abolie), la décision de se marier et celle du nombre d’enfants, etc. Et les aides sociales désincitent le bénéficiaire à faire l’effort de travailler. Mais les économistes de l’offre n’ont pas l’obsession de l’orthodoxie financière, ce qui provoqua de fortes tensions au sein de l’équipe Reagan, car pour eux peu importe l’équilibre des finances publiques, quoi qu’il en soit, la dynamisation de l’offre le rétablira d’elle-même.
On désignera par ultra-libéralisme l’ensemble formé de ces deux composantes anti-sociales.
• Le monétarisme de M. Friedman est tout aussi austéritaire et donc anti-social que l’ultra-libéralisme, mais il s’en distingue par l’approche monétaire. Plus pragmatiste, directement engagé dans la gestion de la monnaie, le monétarisme admet la nécessité de la banque centrale et reprend les conceptions de Ricardo pour contrer celles de Keynes qu’il rend responsables de la stagflation des années 70. Ainsi, la banque centrale doit gérer la monnaie selon des règles de stricte orthodoxie monétaire, excluant tout recours à la planche à billets : pas de financement monétaire de l’État, pas de refinancement des banques au-delà de la croissance réelle, garanti par l’émission de monnaie limitée aux avoirs en devises, etc.
Le Currency Board, en application de ces principes, conditionne ainsi l’aide du FMI aux pays en hyper-inflation à leur capacité exportatrice nette, ce qui les oblige à l’hyper-austérité afin de casser les coûts salariaux et devenir compétitifs. Cette non-prise en compte de la dimension de la demande mondiale (où exporter s’il y a austérité partout ?) est du même ordre, et a les mêmes conséquences, que la discipline de l’euro, dont on voit où elle a conduit la Grèce, avant quelques autres.
Quant à la fiscalité, l’impôt est proportionnel, négatif en-dessous de la norme de revenu minimal (c’est l’idée de la prime pour l’emploi : inciter à accepter un emploi pour un salaire normalement inacceptable), positif au delà, ce qui assure une redistribution minimale.
Le terme de monétarisme renvoie généralement à l’orthodoxie financière, mais aussi à l’économie de l’offre, à travers la volonté de baisse de l’impôt, et non seulement de limite des dépense spar les recettes possibles. En France, il était derrière la stratégie de désinflation compétitive des années post-83 et de réduction du nombre de tranches d’impôt sur le revenu. Il est canoniquement formulé par les dix commandements du Consensus de Washington, dont la mise en question par le « post-consensus » est un attrape-nigaud, car ledit post-consensus n’est que le passage pragmatiste à l’ordo-libéralisme, qui permet de garder le fonds libéral en abandonnant la forme brutale des plans d’ajustement structurel ou thérapies de choc.
• L’ordo-libéralisme est globalement « monétariste », hyper orthodoxe quant à la gestion de la monnaie et des finances publiques, mais il insiste sur la nécessité d’un cadre institutionnel assurant la cohésion sociale qui seule permet la réussite de la politique menée. Son libéralisme est en quelque sorte systémique, soucieux de la reproduction sociale et de sa durabilité, il voit à plus long terme.
L’ordo-libéralisme met l’accent sur les valeurs de liberté (individuelle) et de justice (sociale), héritées de la tradition chrétienne. On peut considérer que l’ordo-libéralisme est un avatar de la doctrine sociale de l’Église ayant accepté le marché (en gros depuis Reum Novarum). Le marché est efficace s’il fonctionne dans un cadre institutionnel adéquat. On peut retenir trois grands caractères :
- le marché donne le juste prix si la concurrence est loyale, libre et non faussée : il faut donc une politique de la concurrence, telle la politique anti-trusts américaine, d’inspiration institutionnaliste, de la fin du 19ème. Le marché concurrentiel doit être protégé des monopoles.
- l’orthodoxie financière est ici plus rigide que dans le monétarisme, car seule l’indépendance de la banque centrale peut la garantir, les règles monétaristes pouvant être écartées par le pouvoir politique, d’où les errements monétaires souvent constatés, la planche à billets fonctionnant contre les principes établis (au besoin à l’aide de faux bilans). Cependant, cette indépendance est formelle, elle repose sur la capacité de la bureaucratie bancaire à résister au pouvoir politique légal, c’est-à-dire que l’indépendance est affaire de pouvoir. On l’a bien vu quand Kohl a imposé à la Bundesbank si indépendante de convertir le mark-est en mark-ouest au taux de un pour un, alors qu’elle avait fixé le taux à dix pour un.
- la cohésion sociale est centrale, elle permet de mobiliser les énergies du pays. C’est à l’État de s’en assurer, mais avec la limite du principe de subsidiarité : à lui uniquement ce qui ne peut être fait sans lui, il ne doit jamais se substituer aux compétences individuelles. La sphère d’intervention légitime de l’État ordo-libéral est donc plus large que celles des autres composantes néo-libérales, ce qui à cependant l’inconvénient d’ouvrir la porte à des dérives possibles vers toujours plus de redistribution. C’est pourquoi, à l’heure de la « pensée unique » des années 90, un H. Tietmeyer, président de la Bundesbank et parangon ordo-libéral, estima urgent de « purifier » l’économie sociale de marché.
Quand Hollande en appelle au patriotisme du peuple, il s’inscrit dans la doctrine ordo-libérale. Plus largement, l’ordo-libéralisme est en effet socialo-compatible dès l’instant que les socio-démocrates acceptent le marché, la difficulté étant de fixer la limite de l’intervention sociale, la conjoncture se chargeant cependant de rappeler les éventuels laxistes à la dure réalité. L’ordo-libéralisme s’inscrit dans la ligne humaniste des droits de l’homme, il est donc universaliste. Ainsi, les chrétiens sociaux les plus rigoristes sont restés à droite, mais toujours humanistes, tandis que d’autres, plus sensibles au déterminisme social, ont pu rejoindre des socio-démocrates plus ou moins libéraux. D’où que d’aucuns imaginent qu’un dialogue avancé est tout à fait possible.
Politiquement, l’ultra-libéralisme et le monétarisme sont les héritiers de la droite conservatrice : pour eux le pouvoir politique doit servir les possédants, ils sont « naturellement » nationalistes, sauf quand l’intérêt (sauver les possédants de la menace prolétarienne) leur commande de livrer le pays aux forces de l’étranger. Humanistes aux sens où ils mettent au-dessus de tout la capacité de puissance de l’homme, ils sont dans le droit fil de l’intégrisme chrétien. Ils ont toujours été opposés au constructivisme européen, car la nation ne peut se fondre dans le supra-national, le fédéralisme européen sans nation est une impasse, la fiscalité doit épargner celui qui réussit, etc. N’oublions pas que c’est le Front national qui, en s’en emparant politiquement, a popularisé en France la « courbe de Laffer » et l’anti-fiscalisme.
C’est ainsi que le fonds commun néo-libéral qui unit droite et gauche (« molle ») fonde l’idée que droite et gauche c’est pareil. Mais il s’agit néanmoins de deux approches différentes qui empêchent d’assimiler les deux discours sans autre examen plus approfondi.
L’universalisme ordo-libéral a pu entraîner des esprits a priori avertis dans l’aventure de l’euro, laissant, par négation de la nation, la souveraineté du peuple aux technocraties, jusqu’au risque de laisser le champ libre au communautarisme. Lesdits esprits croient à leur discours, parce qu’ils croient que l’intérêt général passe par la mondialisation, que l’euro va les aider à s’y intégrer en les protégeant, etc. Ils défendent des intérêts de classe en pensant défendre l’intérêt général, parce qu’ils croient que ne pas défendre directement ses propres intérêts, c’est défendre ceux du peuple. Ce discours est mensonger, parce qu’il nie la réalité du capitalisme, une société de classes, et de sa crise, qui polarise les revenus.
À l’opposé, ultra-libéralisme et monétarisme mentent : ils savent pertinemment qu’il s’agit de défendre des intérêts de classe, la défense des intérêts des possédants étant posée comme principe de défense des intérêts du peuple.
Développés à l’occasion de cette présidentielle, deux cas d’école, les discours de Sarkozy et Hollande, illustrent parfaitement comment ultra-libéral ne peut se prétendre son contraire et comment social-libéral n’est pas un oxymore.
Notes de bas de page
↑1 | Mes remerciements pour ses commentaires vont à mon ami et néanmoins collègue Daniel Garcia, à qui je dois cet épigraphe. |
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