En collaboration avec l’association 0 de Conduite
S’inspirant des travaux de la fiscaliste canadienne, Brigitte Alepin, auteur de La Crise fiscale qui vient, le réalisateur Harold Crooks nos livre ici un film frontal malgré la complexité du sujet.
Des nuages noirs s’amoncellent, des éclairs claquent et les cyclones se déchaînent au-dessus des continents. Ces images infographiques d’apocalypse, qui reviennent comme un leitmotiv tout au long du film, sont dignes d’un film catastrophe. Et pourtant ceci n’est pas une fiction. La menace est bien présente et planant, indifférente aux frontières, au-dessus des peuples. Cette menace, c’est l’évasion fiscale opérée par les multinationales.
En contre-point de cette métaphore météorologique aux effets visuels garantis et au pouvoir d’interpellation direct, se succèdent différents intervenants qui nous aident à mesurer l’ampleur globalisée de cet aspect du capitalisme financiarisé. On apprend par exemple que 10 à 15% du patrimoine financier mondial échappe à tout dispositif fiscal. Ces exposés nous permettent également de remonter aux racines de ces pratiques, notamment le tournant de la contre-révolution néo-libérale des années 80, d’en identifier les places fortes, où la City et ses satellites (îles anglo-normandes, îles Caïmans,…) jouent un rôle central, enfin d’en décrypter les mécanismes et les logiques funestes qu’elles enclenchent : L’accroissement des inégalités vérifiable dans la paupérisation des classes moyennes, l’accélération de la dette publique entravant la capacité des états à mener une politique sociale pour peser finalement sur l’exercice de la démocratie.
A côté d’intervenants attendus, notamment Thomas Piketty, auréolé de son best-seller Le Capital au XXIe siècle, entrent dans le jeu du décodage des agents de la finance, convaincus ou critiques, qui se laissent aller parfois à quelques confidences et qui dénotent l’impunité des banques et des multinationales face aux états. La dimension pédagogique de ce documentaire est doublée par l’épaisseur de l’expérience lorsque sont exposés par les anciens adorateurs de la finance les tours de passe-passe fiscaux et les flux financiers instantanés devenus incontrôlables et sans bornes. Cela donne ainsi un surcroît de persuasion et de vertige au film.
Toutefois, cette force indéniable du Prix à payer a aussi son revers. En effet, l’accumulation de témoignages de repentis fait glisser insensiblement le film vers le terrain vague de la morale comme unique réplique.
La morale ou l’impossible rapport de force
Et c’est justement à cet endroit que le documentaire trouve ses limites en se cantonnant à la stricte condamnation morale. Cela se vérifie dans les archives qui ponctuent le film présentant des extraits de séances de commissions parlementaires (britannique et américaine) auditionnant les représentants de banques ou de multinationales pris la main dans le sac, suintant la mauvaise foi. Ces moments font plaisir et on se met à sourire de voir ces représentants de puissantes entreprises se faire fesser en public. Mais ces passages ne font aussi que marquer l’ impuissance face à ces états dans l’Etat. “Nous ne vous accusons pas d’être illégaux, mais d’être immoraux” lâche la présidente d’une de ces commissions à des cadres de Google ou d’Amazon. En effet, placer le film sur le terrain de la morale permet de pointer du doigt la déviance de certaines personnes et de certaines entreprises mais ajourne dans un même temps la nécessaire remise en question du système qui le permet.
Car vouloir moraliser le capitalisme afin de réduire les inégalités, c’est reconnaître dans un même temps la défaite d’une pensée politique qui replacerait le bien être des peuples au centre des préoccupations de l’activité économique. C’est aussi préférer l’aménagement à la transformation. C’est pourquoi on trouve en bonne place dans le documentaire, l’hypothèse de la taxe Robin des bois (taxe sur les opérations financières commerciales afin de financer la lutte contre la pauvreté) comme solution de rééquilibrage face aux dérives financières. Une de ces (fausses bonnes) idées qui, au mieux, se propose d’atténuer les symptômes sans s’attaquer à la maladie, au pire, permet de légitimer le système. Dans ces conditions, comment bâtir un réel rapport de force ?
Il est donc nécessaire de voir Le prix à payer et cela à double titre. D’abord parce qu’il expose avec clarté les mécanismes complexes de l’évasion fiscale et ses répercussions néfastes sur la vie quotidienne du plus grand nombre. Ensuite parce qu’il révèle en creux la nécessité de dépasser les solutions techniques circonscrites dans le cadre dominant pour repenser les pratiques politiques démocratiques comme condition du changement de paradigme économique. Un film à voir et à débattre.
Le prix à payer
Réalisateur : Harold Crooks
Canada, 2014
93 mn
Distributeur : ARP Sélection