On pourrait évoquer le coût financier pour la nation, les problèmes d’organisation de la vie scolaire au sein des établissements, l’égalité entre les citoyens, les amalgames entre les divers héritages (car c’est peut-être le premier lien à dévider pour que la population puisse, en conscience, accepter de rejeter l’inacceptable). Mais je partirai ici de la mise en cause de la liberté de conscience. Ethique politique oblige.
A la lecture des divers documents que le président de l’association Laïcité d’Accord, m’a fait parvenir, j’ai vite réalisé que la première urgence était de supprimer la demande de dérogation pour les cours d’enseignement religieux (on pourra ensuite se poser la question de l’opportunité de ceux-ci au sein de l’école publique… si tant est qu’on puisse la qualifier d’école publique).
Une famille dont les convictions spirituelles n’ont aucun lien soit avec une confession religieuse des « cultes reconnus », soit avec toute démarche religieuse, car elle se revendique indifférente aux questions religieuses, athée ou agnostique, (et je pourrais y ajouter les croyants dans mon genre, outrés par le procédé proposé) va donc devoir se soumettre à l’obligation d’une « supplique » : la demande de ne pas participer à ce qui est peut-être pour elle une mascarade contraire à sa conscience, à ce qu’elle veut être. Cela me paraît scandaleux de ne pas respecter des personnes qui ne sont quand même pas dans le cas de susciter des troubles pour la société ! A propos de société, comment peut-on obliger des citoyens à se signaler aux yeux des autres comme non-membres d’un groupe religieux qui, lui, aurait droit de cité. Sans compter que l’inscription est archivée dans le corps du « dragon » informatique.
Entrons dans le concret des propos échangés au sein d’une famille X d’Alsace-Moselle pour qui l’inscription au cours d’enseignement religieux suscite quelques réticences chez l’enfant, mais dont les parents ne souhaitent pas se démarquer du voisinage, cas qui n’a rien de rarissime. On risque fort d’entendre ceci : « Mieux vaut faire comme tout le monde, ne te fais pas remarquer, après tout, si cela ne te fais pas de bien, cela ne te fera pas de mal. » Ceci se situe à l’inverse de l’éducation à la liberté de conscience qui s’enracine dans la liberté du choix. Je songe en particulier aux enfants des milieux ruraux ou de communautés localement restreintes comme la communauté israélite.
Je ne peux m’empêcher de faire ici une incise en évoquant ce qui s’est passé avec l’affaire Baby-Loup. Le camp des plaignants (et c’est volontairement que je dis pas « la plaignante » ) brandissait la liberté de conscience d’une femme qui n’aurait pas été respectée…mais on oubliait un peu vite qu’il fallait aussi tenir compte de X libertés de conscience, celles des enfants.
Par ailleurs, quelle est pour l’enfant réticent (je ne parle pas de ceux qui y vont de bon cœur) la portée de cours subis ? Cela risque de conduire vers une « incroyance » enracinée dans une critique acerbe des propos entendus malgré soi. Je connais des cas similaires, en particulier pour des personnes ayant subi un internat religieux. Pourquoi ne pas faire le pari d’une aumônerie de l’enseignement public, extérieure aux locaux scolaires quand il n’y a pas d’internat (ou volontairement choisi à l’extérieur comme l’ont fait maints aumôniers après 1968) ? Si le jeune est d’accord pour y aller, il ne fait que ratifier son baptême – ou sa demande de baptême – en se rendant volontairement dans un lieu « extérieur ». Y viendront – régulièrement ou pas – n’importe quels camarades curieux de ce que peut être le christianisme ou la confession israélite pour rester dans le cadre des possibilités locales énumérées sur les fameux formulaires. L’aumônerie de l’enseignement public dans la « France de l’intérieur » ne marche pas si mal ; si on tient compte de ce que sont les demandes. Les inscrits sont peu nombreux ? Mais ce n’est pas mieux ici (j’ai regardé sur les documents les pourcentages d’inscrits aux « cours » de religion). J’y ai aussi lu que l’accueil de jeunes non-inscrits était pris en compte. Le texte vaut le détour Il s’agit d’une circulaire estampillée « rectorat de Strasbourg » et datée du 5 avril 2012. Voici ce qui est précisé au paragraphe 2.2.1. : « Les cours d’enseignement religieux dispensés dans les collèges aussi bien que dans les lycées sont confessionnels » Cela me laisse perplexe. Faut-il entendre par là qu’il n’est pas question de sortir d’un enseignement dogmatique et d’organiser par exemple des débats sur l’articulation entre société et foi personnelle ? Mon explication me paraît peu solide sur le plan théologique. Peut-être s’agit-il seulement de rappeler que les cours de religion sont placés sous la seule responsabilité des représentants officiels des différentes confessions qui veilleraient à ce que les « présents » soient bien inscrits. Bref, j’ai des problèmes avec le mot confessionnel. Le paragraphe suivant doit pouvoir apporter quelque éclaircissement. Le voici : « Toutefois, et au seul niveau du lycée, l’éveil culturel et religieux peut constituer une modalité particulière de cet enseignement (les 5 derniers mots étant soulignés) pour répondre à des besoins ou à des préoccupations exprimés par des jeunes, des familles, des enseignants ou des chefs d’établissement. En aucun cas cet enseignement ne peut être imposé » La prise en compte de la liberté de conscience suscitant chez quiconque une démarche interrogative (relevant du domaine culturel et religieux) est respectée. L’honneur est sauf !
Autre interrogation grave portant sur le respect de la liberté de conscience des Alsaciens et Mosellans : celle que me suggère le feuillet « Demande de dispense d’enseignement religieux en cours de scolarité ». Une anecdote pour pointer du doigt des procédés inacceptables engendrés par ce qu’on pourrait appeler pudiquement le climat local. Le 6 février dernier, le C.E.D.E.C. fut reçu à l’Observatoire de la Laïcité rue Saint Dominique à Paris par M. Cadène, alors porte-parole de M. Bianco (qui vient d’être appelé à d’autres fonctions). Nous étions trois pour « expliciter » nos convictions. J’avais préparé un dossier dans lequel j’avais glissé dans des intercalaires transparents des feuillets justifiant les points que nous voulions soulever (concernant en gros ce qu’il était possible de réaliser maintenant sans vider les caisses de l’Etat, voire en réalisant quelques économies. Quand nous avons évoqué la situation découlant du Statut Scolaire d’Alsace-Moselle, je lui montrai le feuillet concerné et lui fis cette remarque : « Vous pouvez constater qu’il est écrit en gros et en gras, en haut de la feuille à gauche : A ne distribuer qu’à la demande expresse des parents ou de l’élève majeur. Quelle est la liberté de conscience des parents, ou du jeune majeur, qui ignore l’existence de cette possibilité ? Ce papier aurait pu au moins figurer dans les feuillets distribués, au même titre que le règlement intérieur, à chaque rentrée aux élèves. »
Au sein d’un établissement scolaire d’Alsace-Moselle, la liberté de conscience des adultes peut être elle aussi soumise au vent du large. Dans un travail non dénué d’humour, « Du régime dérogatoire des cultes, et autres singularités mosellanes et alsaciennes », Michel Seelig (auteur du blog http://blogs.mediapart.fr/blog/michel-seelig) nous suggère que le sens de l’obéissance des chefs d’établissement risque d’être mis à mal si leur conscience n’est pas au diapason de la parole rectorale. Voici ce qu’il écrit : « La neutralité des agents de l’Etat n’est pas respectée. Ainsi, en 2012, la circulaire rectorale aux chefs d’établissements pour l’Académie de Strasbourg comportait ces formules remarquables : »Il n’y a pas lieu d’encourager les demandes de dispenses de l’enseignement religieux ; à l’inverse, toute action visant à faire connaître les programmes de cet enseignement doit être encouragée ». Le lien ombilical avec le ministère de l’Education nationale est bel et bien coupé. Quel zèle ! J’ose quand même espérer qu’aucun chef d’établissement ne s’est fait taper sur les doigts pour non respect de directives. »
On pourrait aussi parler des enseignants du primaire qui refusent d’assurer tout enseignement religieux, des parents dont les avis divergent sur l’opportunité d’inscrire ou pas l’enfant au cours d’enseignement religieux avec querelles familiales à la clef…
Sur le plan juridique, Laïcité d’Accord a clairement préparé le terrain en résumant la requête des avancées possibles : « Les associations et organisations laïques d’Alsace et de Moselle demandent la fin de l’obligation de la demande de dispense, au primaire comme au secondaire, par l’abrogation des articles D 481-5 et D 481-6 du Code de l’Education. » Il faut donc, à l’école primaire, sortir l’heure de religion des 24 heures de l’enseignement général. Ce qui est demandé c’est le caractère optionnel de l’enseignement religieux. Ceux qui suivront cet enseignement seront ceux qui l’ont demandé. Je suppose que la porte d’autres avancées reste ouverte.
Quant à la liberté de conscience du citoyen français, elle se trouve aussi interpellée. Devenu – en principe – allergique à la notion de « privilèges », il n’accepte pas l’existence des privilégiés que sont des ministres des cultes, groupe qui bénéficierait de 60 millions d’euros par an (chiffre donné par Michel Seelig) somme à laquelle il faut ajouter ce que coûte l’enseignement religieux, sans doute 10 millions supplémentaires. Alors que la cassette de l’Etat sonne le creux.
Autre question importante en ce qui concerne l’emploi : le principe d’égalité est-il respecté quand – fait remarquer Henri Pena-Ruiz dans son Dictionnaire amoureux de la laïcité – « les cours de religion ne doivent être dispensés que par des enseignants de même confession que celle qu’ils enseignent, ce qui contredit les principes du recrutement républicain et laïque de la fonction publique, puisque seul le mérite, et non l’orientation religieuse,doit être pris en compte » ?
Que dire aux personnalités politiques nationales qui peuvent commencer à régler le problème ? Posez sans crainte un acte en faveur de la laïcité en Alsace-Moselle. La charte de la laïcité présentée par M. Peillon est un acquis, un pas… Mais sans lendemain. Pourquoi hésiter ? Les militants laïques seront affublés du surnom de « laïcistes » ? C’est déjà fait. Les hiérarchies religieuses y regarderont à deux fois avant de déléguer des hommes ou des femmes de paille pour organiser des « manifestations » (certains ne seront peut-être pas fâchés de voir percé cet abcès). Le risque de récupération par des « extrémistes » est maintenant trop manifeste pour que ces « religieux » l’ignorent. Les élections municipales étant maintenant derrière nous, les élus – ou non élus – seront moins en quête d’ « identité ». En tout état de cause, la liberté de conscience, socle de cette avancée, sera plébiscitée par les plus jeunes. Là est peut-être l’avenir
Version abrégée d’une intervention de l’auteur à Strasbourg, le 15 avril 2014