Jour de rentrée, discours de rentrée. Monsieur le Proviseur choisit de mettre en avant le principe régulateur de l’institution scolaire : l’épanouissement de l’élève. Lui emboîtant le pas, Mesdames et Messieurs les Proviseurs-adjoints ne manquèrent pas à leur tour de rappeler que l’école est avant toute chose un lieu de vie dont le centre est occupé par l’élève. Voilà qui est bien singulier, remarquai-je in petto. Cette auto-dénégation de ce lieu fermé qu’est l’école. Des lieux de vie, les élèves en fréquentent, et ils n’ont nul besoin du lycée pour cela : cafés, boîtes de nuit…Ils ne sont, nous ne sommes tout de même pas là pour nous amuser. Certes, mais cela signifie-t-il qu’ils y soient pour s’ennuyer… ? Par simple envie de provocation, je répondrais par l’affirmative et, tout bien réfléchi, c’est la formule, abrupte, qui peut être provocante mais quant au fond, cela me paraît bien défendable. Il y a en effet quelque chose de touchant à voir certains représentants de l’institution s’échiner à faire de celle-ci un lieu d’épanouissement et d’animation ; c’est admettre, sans s’en rendre compte, que l’école – la scholè, le loisir- n’est pas le lieu d’un plaisir immédiat, du même ordre que ceux que l’on peut vivre dans le monde extérieur, et qu’en ce sens elle exige un renoncement à la recherche de ce type de plaisir. Cela n’en fait pas pour autant un endroit qui suinte l’ennui et la négation de la vie.
L’Ecole, c’est l’apprentissage et la transmission des savoirs, aussi bien techniques qu’intellectuels. Or, apprendre suppose qu’une déception soit surmontée et un deuil effectué : il s’agit pour l’élève de prendre acte de ceci que le propre du savoir, c’est qu’il ne fait pas l’objet d’une compréhension immédiate et n’est pas dissociable du moment de l’incompréhension, du tâtonnement. Comprendre immédiatement, ce n’est rien comprendre du tout. « Il n’y a rien à comprendre » : là-dessus, le commun langage ne se trompe pas ; quelque chose qui se comprend de suite n’offre aucun intérêt et ne mérite pas que l’on s’y arrête. Suivons encore le langage. « J’ai compris ! C’était donc cela ! » ; comprendre, c’est toujours finir par comprendre et comprendre soit pourquoi l’on ne comprenait pas soit que nous ne comprenions pas alors que l’on croyait comprendre. L’expérience de la compréhension s’accompagne toujours d’un affect de joie. Joie et non simplement plaisir. Ou alors plaisir pris au difficile et non pas plaisir facile. La difficulté surmontée prend tout son sens. Bref, l’école, comme lieu de transmission du savoir, institue les conditions d’un plaisir du difficile, qui n’est pas plaisir reçu mais conçu. Où nous sommes bien loin, soit dit en passant, du pédagogisme et de son paradigme ludique. Le plaisir n’est pas forcément l’amusement… Et je me plais à retrouver l’ami Spinoza qui, achevant son Ethique, écrivait que « tout ce qui est beau est rare autant que difficile ».
Etait-ce bien cela que les têtes de proue administratives avaient à l’esprit en mettant en avant l’épanouissement de l’élève ? N’est-ce pas plutôt l’expression d’un renoncement au plaisir conquis ? Il ne fallut pas attendre bien longtemps pour avoir la réponse. « Les exclusions de cours sont désormais interdites, sauf motif gravissime. ». Si apprendre implique que l’on accepte la difficulté et l’effort, il est bien évident que toutes nos chères petites têtes blondes- et cela est bien normal- ne le conçoivent pas et agissent en conséquence. Le cours est perturbé et l’acte commun des élèves et du professeur- sous la direction de ce dernier, bien entendu- ne peut plus se dérouler convenablement. Il y a des conditions matérielles évidentes à l’intégration par les élèves de l’éthique exigeante du travail ; la première d’entre elles consistant à pouvoir exclure ceux qui ne parviennent pas à s’y plier.
Les choses ont donc au moins le mérite d’être claires : l’insistance sur l’épanouissement des élèves doit s’entendre sur le mode « animateur » et n’est en fait que le sinistre camouflage festif de l’abandon du savoir.