Depuis son lancement à la fin du siècle dernier, le journal Respublica a théorisé la triple attaque turbocapitaliste contre l’école : l’attaque néolibérale (souhaitée par le MEDEF et l’OCDE entre autres) contre le caractère public de l’école et contre le projet d’émancipation et de conscientisation de l’école, l’attaque communautariste contre le principe de laïcité et enfin l’attaque pédagogiste (de la confrérie des Legrand, Prost, Meirieu et consorts et de tous les ministères de l’éducation nationale depuis plus de 30 ans) contre la liberté pédagogique des enseignants. Il est à noter que l’actuel gouvernement avec sa « réforme » du primaire accentue l’attaque pédagogiste en organisant, à coté de la transmission des savoirs et des connaissances par les enseignants, une logique d’animation qui sera organisé par les municipalités.
Nous avions prévu que la conséquence des cette triple attaque serait le maintien de la sortie du système d’enseignement sans diplômes ni qualifications pour un grand nombre de jeunes (130.000 par classe d’âge !), la montée des inégalités sociales scolaires, la forte baisse de la mobilité sociale (qui mesure la capacité d’une cohorte d’élèves d’atteindre une couche sociale supérieure à celle de leurs parents) et à terme la baisse de niveau général des élèves. Comme nous avions un système parmi les plus performants du monde, nous avions eu raison rapidement sur les trois premières conséquences. Sur le niveau des élèves, on a constaté d’abord continuation de la montée du niveau moyen des élèves mais baisse du taux de croissance de ce niveau moyen. Maintenant, après la baisse du taux de croissance du niveau moyen, nous voilà dans la baisse absolue du niveau moyen des élèves. Bien sûr, on pourra toujours critiquer tel ou tel indicateur à juste titre, mais aujourd’hui quels que soient les indicateurs, la baisse de niveau est manifeste quel que soit le statut public ou privé de l’école.
Même Antoine Prost, hommage du vice à la vertu, déclare dans le journal Le Monde du 20 février 2013 que :
« A force de crier au loup, c’est en vain qu’on appelle au secours s’il surgit… On a tellement dénoncé la baisse du niveau, alors qu’il montait, comme le montraient les évaluations faites à la veille du service militaire, lors des « trois jours », qu’aujourd’hui l’opinion ne s’alarme guère, alors qu’il baisse pour de bon.Il faut pourtant sonner le tocsin. Tous les indicateurs sont au rouge.
Dans les fameuses enquêtes PISA, la France est passée entre 2000 et 2009, pour la compréhension de l’écrit, du 10e rang sur 27 pays au 17e sur 33.La proportion d’élèves qui ne maîtrisent pas cette compétence a augmenté d’un tiers, passant de 15,2 %, à 19,7 %. En mathématiques, nous reculons également et nous sommes dans la moyenne maintenant, alors que nous faisions partie du peloton de tête.Ces chiffres gênent : on les conteste. Ce sont des évaluations de compétences à 15 ans, qui mesurent indirectement les acquisitions scolaires…Et pour ne pas risquer d’être mal jugés, nous nous sommes retirés de l’enquête internationale sur les mathématiques et les sciences. Mieux vaut ne pas prendre sa température que de mesurer sa fièvre.Mais cela ne l’empêche pas de monter. Les données s’accumulent.
Voici une autre enquête internationale qui, elle, fait référence aux programmes scolaires (Pirls). Elle porte sur les compétences en lecture après quatre années d’école obligatoire, donc à la fin du CM1.En 2006, sur 21 pays européens, la France se place entre le 14e et le 19e rang selon les types de textes et les compétences évaluées.Les enquêtes nationales vont dans le même sens. Le ministère a publié une synthèse des évaluations du niveau en CM2 de 1987 à 2007 (note d’information 08 38). Si le niveau est resté stable de 1987 à 1997, il a en revanche nettement baissé entre 1997 et 2007. Le niveau en lecture qui était celui des 10 % les plus faibles en 1997 est, dix ans plus tard, celui de 21 % des élèves.La baisse se constate quelles que soient les compétences. A la même dictée, 46 % des élèves faisaient plus de 15 fautes en 2007, contre 21 % en 1997. L’évolution en calcul est également négative. Le recul n’épargne que les enfants des cadres supérieurs et des professions intellectuelles, dont les enseignants.
Le dernier numéro (décembre 2012) d’Education et Formations, la revue de la direction de l’évaluation du ministère, présente une étude sur le niveau en lecture en 1997 et 2007 : la proportion d’élèves en difficulté est passée de 14,9 %, à 19 %, soit une augmentation d’un tiers.
Un élève sur trois est faible en orthographe, contre un sur quatre dix ans plus tôt.Il est urgent de réfléchir aux moyens d’enrayer cette régression. Les résultats convergents et accablants qui viennent d’être cités sont tous antérieurs à la semaine de quatre jours. »
Cette triple attaque s’insère dans une politique globale qui tourne le dos au projet scolaire de formation du futur citoyen. Ainsi, l’école du socle, i.e. des compétences, ne va pas dans le bon sens, car c’est une logique a minima, notamment au niveau du collège. Nous pourrions aussi « épingler » la renonciation à une véritable politique du bac pro, notamment avec son passage de 4 à 3 ans, et l’évaluation en CCF (contrôle en cours de formation). Nous pourrions continuer cette liste à la Prévert.
Nous pourrions également, pour élargir le débat, dire que le même constat, toutes choses étant inégales par ailleurs, s’opére dans toute la sphère de constitution des libertés : à l’école, dans la santé et l’ensemble de la protection sociale, et dans les services naguère publics. Ceci est d’une importance capitale car la sphère de constitution des libertés est la sphère qui permet de passer des droits formels aux droits réels.
Les droits découlant des principes de la République sociale: liberté, égalité, fraternité, laïcité, solidarité, démocratie, souveraineté populaire, sûreté,universalité des droits et développement écologique et social ne sont que formels sans un développement de la sphère de constitution des libertés dégagée du règne de la marchandise et de la triple attaque dont elle fait l’objet.
Mais ceci entre dans une autre histoire : celle de la bataille pour une nouvelle hégémonie culturelle préfigurant le dépassement du capitalisme par le modèle politique de la République sociale. Elle ne sera que le produit des luttes de résistance, principalement avec le mouvement syndical revendicatif mais aussi de la mobilisation militante autour de l’éducation populaire pour toutes et tous (malheureusement largement négligée par la militance politique). L’histoire reste à écrire mais pour accélérer le rythme, encore faut-il que les organisations militantes soient à la hauteur des enjeux.
Pour cela, il convient de travailler sur les conditions de la transformation sociale dont la première est de s’appuyer sur les couches sociales qui ont intérêt au changement, à commencer par les couches populaires ouvrières et employées (53 % de la population française). Rappelons que ces couches sociales ont choisi dans l’ordre décroissant à la dernière élection présidentielle : d’abord l’abstention, puis le vote FN, puis le vote PS, puis le vote UMP, puis le vote Front de gauche. Il y a donc loin de la coupe aux lèvres, non ? Alors, on se remet en question ou pas ?