Commentaire de la Rédaction de ReSPUBLICA
Dans sa note que nous reprenons ci-après, très instructive, Michel Husson montre bien comment l’arrêt puis le recul au tournant des années 90 du mouvement continu de socialisation du salaire correspond à un mouvement inverse de hausse de la part des dividendes dans la valeur ajoutée. Le titre de sa note indique que Michel Husson conteste que l’on tienne les cotisations sociales pour des charges mais pas les dividendes, puisque c’est bien, selon lui, la compensation de la baisse des unes par la hausse des autres qui a bloqué l’investissement.
Cette interprétation des graphiques nous semble inappropriée. Elle met sur le même pied le salaire et le profit, ce qu’il n’est pas possible de faire si on considère ce qu’est le mode de production capitaliste : de l’argent qui fait de l’argent, le profit, en versant des salaires, qui réduisent d’autant le profit qu’ils sont élevés. Dès lors, réduire les cotisations sociales, qui sont du salaire socialisé, accroît le profit. Du point de vue du capitaliste, le salaire est bien une charge et la cotisation de même.
Si la baisse des cotisations sociales ne s’est pas traduite par plus d’investissement et des créations d’emploi, c’est parce que les perspectives de profit ouvertes par l’investissement sont très faibles, et ce depuis la fin des années 60. Jusqu’au années 80, le profit est maintenu par l’inflation et la mondialisation, mais, avec Thatcher et Reagan, la « revanche des rentiers » impose la préférence pour le chômage : la baisse des salaires, directs ou socialisés, est la seule perspective de maintien du profit. La financiarisation de l’économie permet de transformer le salaire socialisé en profit distribué au capitaliste sous la forme des dividendes, car le patronat, c’est-à-dire les cadres dirigeants, trouve là le moyen de pérenniser sa fonction et de continuer à se servir grassement en bonus, retraites-chapeaux et autres golden parachutes. Notons au passage qu’aujourd’hui le capitaliste, l’ « homme aux écus » de Marx, c’est aussi, via les marchés financiers, tous les petits porteurs, dont les titulaires d’assurances-vie, PEA, etc., qu’il faut bien rémunérer un minimum. Ces petits porteurs qui croient trouver là une compensation à la désocialisation de leur salaire !
Ce que laisse entendre le titre de la note ci-dessous est que la finance est parasitaire, qu’il suffirait de s’en débarrasser pour retrouver un dynamisme économique à même de réduire le chômage et toutes les inégalités sociales. Michel Husson a raison, la baisse des charges ne créera pas d’emplois, mais pour une mauvaise raison : non pas parce que le « patronat » est un être cupide qui ne pense qu’à se gaver au lieu d’investir, mais parce que le capitalisme est malade, non pas de la finance, mais de son incapacité à créer le surplus de richesse nécessaire.
Michel Zerbato
Les cotisations sont une « charge », mais pas les dividendes ?
Note hussonet n°72, 3 mars 2014
L’une des revendications le plus constantes du patronat est la baisse des cotisations sociales, qu’il baptise « charges ». Cette baisse aurait de multiples vertus puisqu’elle permettrait de restaurer la compétitivité et de créer des emplois.
Si tel était le cas, l’économie française aurait dû gagner en compétitivité et en emploi car les cotisations sociales sont en baisse continue depuis près de 20 ans.
Le graphique 1 ci-dessous illustre l’évolution à long terme du taux apparent de cotisations sociales. Il est calculé comme la part des cotisations sociales dans le total des rémunérations versées par les sociétés non financières (1)Les cotisations sociales employeurs proviennent du compte des sociétés non financières (SNF). Les cotisations sociales des salariés des SNF sont estimées à partir d’un taux apparent calculée sur l’ensemble des ménages..
Cette évolution peut être lue comme l’histoire de la socialisation du salaire en France :
- elle progresse régulièrement à partir de 1950, et cela pendant 40 ans ;
- cette progression est stoppée à partir du début des années 1990 ;
- le recul commence à partir du milieu des années 1990.
Les points rouges marquent deux temps forts de l’intervention de la gauche gouvernementale : en 1989, c’est elle qui bloque la progression de la courbe ; et c’est elle encore qui prolonge la politique d’exonérations mise en oeuvre par la droite à partir de 1993, notamment avec la hausse du taux de CSG qui – après avoir peu à peu augmenté depuis sa création en 1991 – passe de 3,71 en 1997 à 7,60 en 1998.
Graphique 1 – Taux apparent de cotisations sociales 1950-2012
En % de la masse salariale des sociétés non financières. Source : Insee
Les mesures d’exonérations initiées en 1993 sont l’une des principales modalités de la baisse des cotisations sociale. Ces exonérations représentent aujourd’hui près de 25 milliards d’euros, dont la majeure partie (90 %) est compensée auprès de la Sécurité sociale, ce qui représente donc une charge de 22 milliards d’euros pour le budget de l’Etat (graphique 2). La période de crise conduit à un recul des exonérations qui s’explique notamment par le fait que les emplois supprimés sont ceux dont les salaires bénéficiaient d’exonérations proportionnellement plus importantes.
Graphique 2 – Exonérations de cotisations sociales 1992-2012
Source : Acoss
Au cours des deux dernières décennies, le recul de la part des cotisations sociales dans la valeur ajoutée a permis de compenser une légère progression de celle des salaires nets, de telle sorte que la part des salaires totale (la somme des deux) a pu rester relativement constante (graphique 3).
Graphique 3 – Salaires nets et cotisations sociales 1950-2012
En % de la valeur ajoutée des sociétés non financières. Source : Insee
Ce recul des cotisations sociales à partir du milieu des années 1980 a eu comme principale contrepartie l’augmentation de la part des dividendes nets versés dans la valeur ajoutée (graphique 4). Ce graphique fait apparaître une très nette corrélation inverse sur longue période. La montée de l’Etat social s’était faite au détriment des actionnaires, sa remise en cause se fait à leur profit.
Graphique 4 – Cotisations sociales et dividendes 1950-2012
En % de la valeur ajoutée des sociétés non financières. Source : Insee
Sur les trois dernières décennies, le recul de la part des cotisations sociales n’a pas conduit à un plus grand dynamisme e l’investissement mais à une progression continue des dividendes (graphique 5).
Graphique 5 – Cotisations sociales, investissement et dividendes 1980-2012
En % de la valeur ajoutée des sociétés non financières. Source : Insee
Notes de bas de page
↑1 | Les cotisations sociales employeurs proviennent du compte des sociétés non financières (SNF). Les cotisations sociales des salariés des SNF sont estimées à partir d’un taux apparent calculée sur l’ensemble des ménages. |
---|