Un an après l’arrivée de François Hollande à la présidence de la République française, la configuration de la lutte culturelle, politique et socialea radicalement changé. Un syndicalisme rassemblé avait permis de mobiliser contre la politique néo-libérale de Nicolas Sarkozy des millions de travailleurs, dans le conflit des retraites en 2010. Ce rassemblement du monde du travail n’a pas été pour rien dans la défaite de la droite à la présidentielle. L’ombre portée de ce rassemblement à permis l’alternance. Mais pas l’alternative : la gauche ordolibérale a remplacé la droite néolibérale. Le néolibéralisme continue donc sa route avec une autre équipe au pouvoir. Cette dernière année a permis à de nombreux citoyens de vivre une fois de plus une alternance sans alternative. Mais sous une forme de plus en plus dramatique. La « société du spectacle » existe et une opposition « spectaculaire » (celle de François Hollande face à Nicolas Sarkozy) n’entraîne pas forcément un changement de politique.
Arrive la séquence des 1er et 5 mai 2013. Le 1er, les seuls syndicats à manifester sérieusement dans toute la France sont des syndicats du mouvement syndical revendicatif : la CGT, la FSU et Solidaires. FO manifeste seule le matin à Paris, mais peu en province. Les autres, ceux qui signent les textes régressifs du Medef, se sont enfermés à 250 dans un gymnase à Reims : quelle pantalonnade ! La division syndicale semble profonde dans cette période. La responsabilité de la CGT devient immense.
Le 5 mai, le Front de gauche a réussi, dans le cadre de sa campagne contre l’austérité, contre le règne de la finance et pour la 6e République, à dépasser les 100.000 manifestants dans sa montée nationale. On voit le chemin parcouru depuis les 30.000 à 40.000 de la manifestation contre le traité budgétaire, fin septembre 2012. Et le soir même du 5 mai, le Premier ministre propose à la télévision de terminer la privatisation totale des ex-sociétés nationales ! Il n’a rien appris du ras-le-bol montant du peuple. Les hiérarques du PS peuvent crier à la division de la gauche, quitte à répéter une analyse juste, à savoir que la division de la gauche a toujours profité historiquement à la droite et à l’extrême droite, mais pour une part croissante des travailleurs et des citoyens, c’est la politique pro-Medef du gouvernement qui est la principale cause de la division à gauche. La principale responsabilité incombe logiquement à ceux qui ont les manettes du pouvoir dans les mains et non aux autres.
Et maintenant, que faire ?
D’abord bien analyser ce qu’il se passe à droite et à l’extrême droite. Répétons à nos amis et sympathisants que lorsque « le sage montre la lune », il ne faut pas regarder le doigt. La séquence de la « Manif pour tous » n’est pas simplement une mobilisation réactionnaire sur une des rares avancées du gouvernement. Elle est un moment de la recomposition idéologique et politique des droites, extrême droite comprise. Toutes choses étant inégales par ailleurs, nous sommes bien dans une configuration qui rappelle les années 30. La partielle de l’Oise en mars, dont nous avons abondamment parlé dans nos derniers numéros, devrait inquiéter.
Nous inquiète aussi la façon relativement moderne d’organiser la mobilisation : structures centrales de pilotage, de ressources humaines (promotion de nouveaux responsables de terrain), de logistique, de sécurité, de transports, de mobilisation, de presse, de financement ; la duplication rapide de ces structures centrales en province ; l’utilisation des réseaux sociaux, la mutualisation des réseaux du tissu associatif et syndical, tant des structures cléricales que des associations diverses comme Alliance Vita, En marche pour l’enfance, Association familiale catholique, Familles de France, Familles rurales, Association familiale protestante, etc.
Tout cela prépare une nouvelle mouture de la droite et de l’extrême droite pour les années à venir. À confirmer avec la partielle de Villeneuve-sur-Lot de juin, à la suite de la démission de J. Cahuzac ?
Pour la gauche, tout s’éclaire. Le ras-le-bol est grandissant dans le peuple, les tensions sont de plus en plus fortes sur les lieux de travail. Comme d’ailleurs dans la plupart des pays européens, voir entre autres les mouvements sociaux de Slovénie ces dernières semaines. On peut sans peine prévoir l’intensification de la quadruple crise culturelle, économique, politique, sociale. Il n’y a donc pas d’autre voie que de militer au sein du peuple mobilisé et de continuer à produire une éducation populaire de masse pour tous les citoyens et les travailleurs qui souhaitent en débattre. Nous y reviendrons abondamment dans les prochains numéros de Respublica.
Sur le plan électoral, les 150.000 élus municipaux seront bientôt en renouvellement, avant de nous retrouver sur un scrutin européen qui verra s’affronter les quatre ensembles des courants politiques : le courant souverainiste ultra-libéral de droite et d’extrême droite, le courant européiste et ordolibéral de droite, le courant européiste et ordolibéral de gauche, le courant critique de la construction européenne à gauche. Nous présenterons dans le prochain numéro de Respublica une typologie des différentes conceptions dans ce courant critique pour préciser notre conception face à ce que nous estimons être des impasses à l’intérieur de ce courant critique. Mais revenons sur les municipales, qui par la masse des candidats en jeu et par les évolutions des phases de la décentralisation (aujourd’hui l’acte III), deviennent des élections importantes, mêmes si par endroits cela peut être Clochemerle. La façon dont vont être composées les listes de gauche (compétition au premier tour ou pas entre le PS et ses alliés d’une part et le Front de gauche d’autre part), la façon de faire les campagnes (avec éducation populaire diversifiée ou de manière traditionnelle avec la langue de bois habituelle, etc.), vont exprimer les enjeux de fond de ces municipales.
Résumons : nous vivons sans doute une course vers un type d’implosion à chaud de la zone euro (nous reviendrons aussi sur ce point), vers une montée du mécontentement face au gouvernement, un ras-le-bol des salariés, notamment des couches populaires et des couches moyennes intermédiaires, qui devraient aboutir à un renforcement des droites et du Front de gauche. Rien n’est réglé pour autant. Une chose est sûre: l’impérieuse nécessité de développer des éducations populaires diversifiées vers tous les publics devient pour nous flagrante. Pour nous, vu la possibilité d’aller vers le pire, la formation et les différentes formes d’éducation populaire qui autonomisent chaque citoyen deviennent la priorité. Et pour vous ?