Samedi 28 mai : J -1 avant le grand rassemblement
Travail des commissions dès 17h à la Bastille, criée dans le métro, diffusion de tract au cours de la manifestation antiraciste.
Le travail des commissions a lieu à la Bastille où ce jour-là se tient la manifestation pro Gbagbo. Confusion et cafouillage : comment allons nous pouvoir faire vivre les deux événements ? Finalement, les deux manifestations réussissent à cohabiter : les commissions se réunissent où elles le peuvent sur la place.
A 20h est prévue la réunion des référents des commissions et des membres du secrétariat qui doit finaliser l’organisation de la journée de dimanche.
Il est presque 22h, lorsque celle-ci parvient enfin à se réunir, le travail des commissions a fini plus tard que prévu, comme souvent.
Pendant plus d’une semaine les participants de la Bastille consacrent des heures de travail, que dis-je ?, des jours, des nuits à l’organisation du rassemblement du dimanche 29 mai, conciliant travail, études, vie de famille.
La fatigue est là et pourtant demain c’est le grand jour : date « de la prise de la Bastille » !, le rassemblement du 29 mai pour lequel chacun met toute sont énergie afin qu’il soit une réussite.
La réunion des référents et des secrétaires se terminera à plus d’une heure du matin. Certains finiront encore plus tard dans la nuit, le temps d’envoyer le dernier compte-rendu de la réunion, le programme de la journée du dimanche.
Demain c’est l’inconnu. Combien serons-nous ?
Difficile aussi de prévoir une journée dont on ignore le nombre de participants.
Nous savons à peu près organiser des AG où nous sommes 500, saurons-nous le faire si nous sommes plus ?
Le travail est finalisé :
- 11h : rdv des participants pour la mise en place du rassemblement
- Toute la journée : activités pour les enfants et atelier graff par des artistes
- 14h 16h concert
- 16h 17h45 trois débats: « crise économiques-plans d’austérité »; « Démocratie ? »; « Printemps des révolutions »
- 18h: AG
- Trois tables sont prévues: une pour l’information et pour s’inscrire dans les commissions, une autre « cahier de doléances-revendications » comme en 1788-1789 veille de la révolution, à l’initiative de la commissions France, une dernière, chargée de la nourriture….
Dimanche 29 mai
Rdv donné à 11h pour les participants, mail envoyé à toux ceux qui ont donné leur contact : il y est dit que chacun doit ramener tout ce qu’il peut (pancarte, cahier, nourriture, table, feutres, scotche…)
Dès 11h, à Bastille c’est parti ! Chacun se met au travail et organise le parvis : préparation des tables, on colle les pancartes qui ont été conservées des autres jours, on en crée d’autres, une énorme banderole bleue sera hissée en haut des marches de l’opéra : « Democracia real – Démocratie réelle »…
La sono s’installe près du trottoir, ce n’est plus juste une petite sono, il faut du son pour nous entendre tout en haut des marches (hier à minuit ce n’était pas encore sûr d’avoir ce matériel, mais le problème est réglé grace à un militant d’une commission).
Et les participants sont au rendez vous ! La place se remplit à une vitesse incroyable sur les marches de l’opéra et le parvis, on peut estimer à près de 2000 personnes le nombre de participants, restés plus au moins longtemps, l’AG réunira près de 1500 personnes. Le travail de fourmi initié depuis plus d’une semaine a payé : l’info est passée !
Le programme de la journée est totalement bouleversé vu le nombre de participants.
Face à l’affluence une décision rapide est prise : on branche la sono ; on invite les gens à s’asseoir et on commence : prise de parole et chansons. Bref on improvise et ça fonctionne.
On rappelle au micro l’historique du mouvement en France et en Espagne, on rappelle les principes des rassemblements : caractère apartidaire et pacifique du mouvement, avec des principes (pas d’alcool)…
Céline Meneses qui devait prendre la parole au début de l’AG à 18 h est tout de suite appelée à témoigner sur son expérience aux plus près des événements de Madrid. A peine descendue de son avion, elle est déjà à Bastille. Ana, espagnole étudiante infirmière en France s’improvise journaliste et lui pose des questions. Son témoignage est attendue avec impatience, par les espagnols qui sont à l’initiative du mouvement, eux qui comme ils ne peuvent pas être en Espagne ont décidé d’en initier un ici en France, où ils étudient ou travaillent. Céline raconte l’organisation du campement, la solidarité qui y est née (repas et petits-déjeuners sont distribués gratuitement, grâce à la participation de chacun et des commerçants qui contrairement à ce que l’on peut entendre se réjouissent plutôt de la présence du campement de la Puerta del Sol). Elle nous parle du déroulement des AG, du travail des commissions, des votes, du principe du « consensus ». Comme ici-même nous aurons une AG avec plus de 1000 participants, elle nous en rappelle les signes maintenant familiers, typique des AG espagnoles : pour ne pas perdre de temps on n’applaudit pas, on ne siffle pas… mais on montre son approbation, son désaccord par des signes. On s’initie au fonctionnement madrilène qui a fait ses preuves. Elle rappelle pourquoi les espagnols se mobilisent et ce qu’il y a de commun avec la France : la crise économique qui touche de plein fouet les espagnols, les plans d’austérité qui se multiplient de la Grèce en Irlande en passant par le Portugal et l’Espagne. Elle revient sur ce qu’est à l’origine du mouvement « ¡Democracia real ya! » : l’asphyxie démocratique que nous vivons et rappelle donc : « Le souverain c’est nous, ce ne sont pas les élus qui adoptent des directives européennes sans nous poser de questions. Encore moins les dirigeants de la Commission européenne, de la BCE et du FMI que personne n’a élus ». Tonnerre d’applaudissements.
Une autre intervention sera aussi très remarquée, celle d’un tunisien qui est arrivé en France récemment et qui a été invité par la commissions internationale : « Nous nous sommes battus en Tunisie à cause de la misère, nous sommes arrivés en France, et nous nous sommes retrouvés dans la misère. Nous sommes prêts à faire une révolution internationale ensemble ! »
On ouvre alors un tour de parole que l’on doit rapidement clore pour que l’Ag puisse avoir lieu à 18h, en quelques minutes on a déjà plus de 40 inscrits : pendant près de deux heures ce sont interventions, slogans, chansons face à une assemblée attentive : Les révolutions arabes, la politique du FMI, le chômage, la précarité, l’écologie, du travail, des medias, est rappelé que cette journée est aussi l’anniversaire du Non au référendum sur le TCE, on y parle de la nécessité d’un renouvellement démocratique, du déni du peuple, du caractère « politique » de ces rassemblements, de la solidarité internationale.…Parmi les slogans scandés : « Paris es sol », « Paris ! Debout ! Soulève- toi ! » « Tous ensemble ! Tous ensemble ! » « El pueblo unido jamás será vencido ! » « Qué no ! Qué no ! Qué no nos representan », suite au délogement très violent du campement de Barcelone (plus de 50 blessés), l’assemblée scandera alors : « Todos somos Barcelona ! ». La commission communication nous informe que nous sommes suivis en direct sur écran géant à la Puerta del sol et dans d’autres villes espagnoles et européennes. L’assemblée s’enthousiasme.
Après déjà plus une heure de débat, on propose à l’assemblée un peu de musique, plusieurs chanteurs défilent : une reprise de « l’Estaca » de Luis Llach, chant de résistance au Franquisme, « las gallinas »qui parle de révolution, « Hasta siempre » sur Che Guevarra. Le chanteur Nilda Fernandez a participé a plusieurs AG qui ont précédé cette-journée, il a accepté de chanter pour ce rassemblement et a choisi une chanson qu’il a écrit récemment, très visionnaire : « Pense à la France »
Nombreux sont les contacts laissés aux tables des commissions : de nouveaux participants rejoignent le mouvement et sont prêts à s’investir dans son travail d’élaboration de revendications. Les « cahiers de doléances » se remplissent où alternent messages de soutien, réjouissance face à la naissance d’un tel mouvement et revendications très concrètes. Les mêmes thèmes reviennent : social, santé, justice, fonctionnement démocratique (de loin les plus nombreuses- constituante, vote blanc, mandats), logement, salariat-travail, économie, consommation, éducation, environnement, media, lois sécuritaires, partage des richesses…
L’AG commence ensuite par une présentation des différentes commissions à ce-jour créées : France, Espagne, Internationale, Action, Logistique, Démocratie, service d’ordre. Place à un petit Parlement populaire. Il est déjà plus de 19h, l’après-midi a passé vite, du monde encore, beaucoup de monde. Un cordon de gendarmes mobiles interdit l’accès à l’Assemblée alors que le rassemblement est autorisé jusqu’à 20h, pas d’incidents mais colère rageuse de l’assemblée. Déjà quelques heures auparavant, nous voulions occuper la place, nous y étions autorisés si nous dépassions 1000 participants, mais dès que cela a été envisagé un cordon de gendarmes mobiles en habit de « Robocop » s’est mis en place, promesses non-tenue. Au micro, on rappelle : « Restez assis, ignorez les provocations », nous n’avons finalement perdus que quelques minutes, nous confirmons qui nous sommes un mouvement pacifique, non-violent qui souhaite juste pouvoir se rassembler pour débattre ensemble et envisager un autres avenir que celui qui nous est promis. Il est l’heure, il faut passer au vote. Nous votons la tenue d’une réunion des commissions dès le lendemain, lundi et une nouvelle AG le mardi, votée à l’unanimité même lieu à 19h.
Peu de vote de propositions a eu lieu, trop de choses à dire ce jour-là, la colère doit d’abord s’exprimer avant de devenir proposition. Ce n’était qu’un premier grand rendez-vous, dont le succès en laisse présager d’autres.
Alex, qui s’occupe entre autre de la commission Service d’ordre rappelle que nous n’avons d’autorisations que jusqu’à 20h et appelle donc au dispersement un peu avant 20h, mais entre-temps un vote a eu lieu : certaine souhaitent camper. Il reste passé 20h, encore quelques 500 participants qui ont décidé de rester. La gendarmerie les délogera vers 21h à coup de gaz lacrymogène sans sommation. A 21h30, la place est vide, il y a deux blessés légers et 4 arrestations.
Dès le lendemain, alors que nous avons enfin une couverture médiatique (de nombreux médias presse et télé étaient présents dès 14h), quelques cent policiers empêchent l’accès à la place de la Bastille, devenue depuis dix jours une petite Agora : dès que plus de quatre personnes tentent d’y rester, ils sont invités à circuler, des contrôles d’identité ont lieu.
Comme nous avons été crédules ! Pendant des jours, on nous a laissé débattre, nous organiser, nous parvenons à rassembler plus de 2000 personnes dimanche, nous en sommes heureux, un mouvement est né, nous construisons ensemble un nouveau projet sur le modèle espagnol et nous n’ en sommes qu’à un début.
Nous rêvions, naïfs que nous sommes !, dès le lendemain on tente de nous faire taire en nous interdisant de nous rassembler, difficile de mieux s’y prendre.
Le lundi, grande désorganisation : Où allez ? Un repli a lieu sur le Boulevard Richard-Lenoir.
Leur tentative de mettre un terme au mouvement est un échec. Le travail des commissions a été très peu constructif lundi soir face à la présence policière mais dès mardi, sans avoir changé le rendez-vous de Bastille, nous sommes plus de 500 en Assemblée générale sur ce boulevard, à deux pas de la Bastille, nouveau lieu de rendez-vous : de nouvelles commissions voient le jour : écologie, légale (chargée de s’occuper des autorisations pour trouver des lieux, pour les rassemblements…), autodéfense (juriste qui veulent former les participants), convergences des luttes. Des communiqués vont sortir, des nouvelles dates de rassemblements sont envisagées en juin, la participation au mouvement sort renforcée de cette journée de dimanche même si nous avons perdu la Bastille.
Ils voulaient faire taire les Indignés de Paris et de France, ils n’y sont pas arrivés !