Investir le champ syndical. C’est le nouvel objectif de Serge Ayoub. Ancien chef des skinheads d’extrême droite parisiens, M. Ayoub vient de lancer “Troisième voie, pour une avant-garde solidariste”. Le but: conquérir les “travailleurs”.
Déjà, dans les années 1980, M. Ayoub et son groupe politique de skins les Jeunesses nationalistes révolutionnaires (JNR), appartenaient au mouvement Troisième voie (TV) de Jean-Gilles Malliarakis dont le slogan le plus connu était “Ni trust, ni soviet” (Voir ici l’article très complet de Nicolas Lebourg sur le site Fragments sur les temps présents). Le sigle était le trident, symbole repris sur le site internet que vient de lancer M. Ayoub.
TV s’inscrivait dans la mouvance solidariste qui développait un aspect “social” dans son discours, plus ou moins hérité du fascisme de la République sociale Italienne et du Front noir des frères Strasser. “On n’a pas choisi le nom par goût du vintage. C’est le nom qui s’applique le mieux. Ca n’a pas grand-chose à voir avec le TV de Malliarakis. Mais le terme est toujours valable”, expose M. Ayoub. Depuis la manifestation du 9 mai 2010 (rendez-vous annuel de l’extrême droite radicale), M. Ayoub a aussi redonné vie aux JNR, dont le slogan “Croire, combattre, obéir”, est une reprise du fascisme italien. [Un lecteur nous signale que c’est aussi un gros clin d’oeil au groupe de oï Evil Skins qui a utilisé cette devise pour l’un de ses titres phare].
Aujourd’hui, Serge Ayoub décrit Troisième voie comme une alternative au “capitalisme cynique et [au] gauchisme benêt” ou encore comme une solution entre “un monde libéral et un monde marxiste”. “On pense que le dernier rempart des acquis sociaux, c’est la Nation”, explique ainsi M. Ayoub. En tout cas, il a vu les choses en grand: un site internet, un manifeste; une charte; un livre –G5G La guerre de 5e génération (coécrit avec Michel Drac, ancien d’Egalité et réconciliation, et “M. Thibaud”); et surtout Le Local.
“Lobby des travailleurs”
Ce cercle privé associatif a été créé au départ avec Alain Soral pour abriter, notamment, les réunions d’Egalité et réconciliation. Depuis, les deux hommes sont fâchés et Serge Ayoub a gardé ce lieu qui est devenu le point de rendez-vous de toute l’extrême droite radicale parisienne. Des conférences y sont régulièrement tenues, où interviennent des gens aussi variés que Pierre Cassen de Riposte laïque, Jérôme Bourbon de Rivarol, ou encore Gabriele Adinolfi, militant italien nationaliste-révolutionnaire ancien activiste néofasciste dans les années 1970.
L’objectif est de transformer “les syndicats en lobby des travailleurs. Si des gens comme nous rentraient dans les syndicats, on pourrait faire bouger les choses”. “Les directions syndicales n’ont plus rien à voir avec la base. Ce sont des syndicats de collaboration, leurs représentants sont adoubés par le système qu’ils combattent. Ça devient des courroies de transmission”, ajoute M. Ayoub. Il utilise une métaphore pour donner sa définition des syndicats: “C’est comme dans la crevette, tout est bon, sauf la tête.”
Mais le but est aussi politique: “Pour changer radicalement les choses, il faut prendre le pouvoir. Le prendre de force pour instituer une démocratie directe . Les élites sont corrompues, déviantes et vicieuses. On va remettre de l’intérêt général et un peu de sain. On le fera par la grève générale”, annonce Serge Ayoub.
La “nation” est le thème central de la démarche, érigée en seul “rempart” contre les inégalités sociales et seul “projet commun” pour les travailleurs. Mais “pas sur une base ethnique ou racialiste. La race n’est pas le problème majeur en Europe ou dans le monde. Mais un problème économique, de rapport de force”, explique l’ancien skinhead. Il pense que “la stratégie électorale ne marche pas. Le FN a des milliers d’électeurs et pas un élu au Parlement”. Et estime désormais “que le seul contre-pouvoir véritable, c’est le syndicat”.
Ce discours syndicaliste-révolutionnaire sorélien, ici teinté de national-syndicalisme phalangiste, Troisième voie et les JNR veulent le porter dans des structures existantes. M. Ayoub affirme avoir des contacts parmi “les cheminots et à FO pénitentiaire, ou encore à la Poste”. [Dans la deuxième partie des années 80, le Troisième Voie de Jean-Gilles Malliarakis avait déja lancé un Collectif syndical nationaliste, lequel, selon le Dictionnaire de la mouvance droitiste et nationale de Jacques Leclercq, “comptera une importante section chez les cheminots”, avec un bulletin intitulé Train fantôme et dont les membres “militaient en général à FO”.]
“Syndicalisme catégoriel”
“Georges”, un de ses amis, partie prenante de ce projet et qui dit être syndicaliste à la FGAAC ( syndicat autonome de conducteurs de train depuis peu affilié à la CFDT), assure que “quand on discute avec des gens de la base, il y a des ouvertures”. Lui, plaide pour “un syndicalisme catégoriel” et ne “croit pas [contrairement à Serge Ayoub] à la lutte des classes”.
Serge Ayoub mise sur le développement de ce qu’il appelle “les bases autonomes”, pour construire, entre autres, des “grèves durables”. Ces bases autonomes seraient plus ou moins copiées sur les centres sociaux de l’extrême gauche italienne qui ont déjà inspiré les neofascites romains de la Casa Pound.
Le Local serait la “base autonome” de Paris. En province, il y a la Vlaams Huis (dans le Nord) et Lyon Dissident, qui sont devenus “partenaires” du Local depuis août 2010. “On veut adopter la technique de la “peau de panthère” pour que, peu à peu, les tâches deviennent le fond”, indique Serge Ayoub.