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Les savants-penseurs grecs avant Socrate – 3/ L’école d’Elée : Parménide et Zénon

Suite de “Les savants-penseurs grecs avant Socrate – 1/ Les Milésiens et Pythagore” et « Les savants-penseurs grecs avant Socrate – 2/ Héraclite » (cycle sur les penseurs grecs précurseurs de la science dans le cadre d’une université populaire en Sud-Charente)

Ce sont deux penseurs grecs de la cité d’Elée (Castellamare aujourd’hui, au sud de Naples).

Parménide (515-450 avant J.C.)

C’est un penseur d’une extrême rigueur qui opta pour l’immuabilité de l’être derrière les apparences du mouvement du monde. Il fonda ainsi une philosophie de l’être et de l’un ou plutôt de l’être-un immuable.

Divisant la saisie du monde par l’homme en deux aspects :

1- il fit d’abord de l’intellect, de la pensée, du penser, la seule voie, selon lui, qui mène au cœur de la vérité : l’être qui est un, indivisible, fini, immuable et éternel ;

2- l’autre aspect, il le réserva à la connaissance par les cinq sens que nous prenons de l’univers, et sur ce plan-là – qu’il appela la voie de l’opinion – il reconnut a) le mouvement qui est en permanence à l’œuvre dans l’univers et b) les deux causes unies en opposition, selon lui, qui ont produit l’univers en mouvement : une très grande chaleur ou lumière et un très grand froid ou nuit obscure .

Mais il est évident et certain, pour lui, que face à ce spectacle grandiose que nous présentent nos cinq sens – manège organisé par la déesse Nécessité qui anime les diverses couronnes de feu, de lumière et d’obscurité autour et sur la sphère du monde -, face à ce clair-obscur que nous présentent nos cinq sens de l’univers, Parménide lui préfère l’immuabilité de l’être-un, continu et éternel, immuabilité saisie par la pensée car « penser et être « seraient selon lui, « un et le même », c’est à dire identiques.

Enfin Parménide ayant déclaré et tenté de démontrer que le non-être, contrairement à l’être, n’existait pas, ouvrit en fait une brèche considérable dans l’être en faisant surgir par le non-être la négativité inscrite partout dans l’être ! La présence de celle-ci est non seulement attestée par la structure négative ou néantisante de notre conscience, (voir L’Etre et le Néant de J.P. Sartre) mais aussi dans le réel hors de notre conscience par le signe – , opposé au signe + dans l’écriture mathématique, utilisée par nos physiciens et qui nous permet de comprendre le réel hors de nous !

Zénon (né en 489 avant J.C.)

Lui aussi d’Elée, le disciple le plus important de Parménide, inventeur de la dialectique selon Aristote (en politique il a lutté dans sa cité contre le tyran Néarque), il a contribué à nous poser des paradoxes de logique entre le fini et l’infini à propos de la démonstration de la possibilité et de l’impossibilité de l’existence du mouvement.
Les Pythagoriciens expliquaient le mouvement à partir du discontinu et de la multiplicité des êtres (qui sont représentés par les nombres) et plus précisément de la multiplicité d’unités infiniment petites.
Les Eléates, Parménide et Zénon contestent les concepts de cette thèse (discontinuité et multiplicité) . Parménide a institué lui, que a) « rien ne naît de rien » et b) la continuité de l’être pour expliquer le mouvement car contrairement à ce que l’on dit souvent, Parménide ne se ridiculiserait pas à nier le mouvement ; seulement il cherche un concept fondamental qui au contraire pourrait mieux en rendre compte !

Zénon alors, à partir de ce concept de continuité et se plaçant sur le terrain des Pythagoriciens, cherche à formuler des apories (une aporie en grec, c’était une impossibilité de résoudre un problème) qui auront pour but de démontrer que les concepts, le langage et le raisonnement donc, utilisés par les Pythagoriciens ne parvenaient pas à expliquer le mouvement.
On peut présenter au moins deux des quatre apories de Zénon : celle de la « dichotomie » (division en deux de l’espace) et celle de « l’Achille » .

Première aporie : la « dichotomie »

Hypothèse : « L’espace est infiniment divisible (discontinuité) et le temps non-infiniment divisible (= divisibilité temporelle finie d’une continuité) .

Alors aucun mouvement n’est possible apparemment en raison de la « dichotomie' » ou division par deux de l’espace, toujours possible. (Ce concept de dichotomie de l’espace est pythagoricien.) En effet un corps en mouvement ou mobile avant d’arriver au terme de sa course doit d’abord en effectuer la moitié et avant de terminer cette demi-course, il faut qu’il en parcoure à son tour la moitié, et ainsi de suite à l’infini ou d’une manière illimitée !

Explication : l’espace étant, dans l’hypothèse, infiniment divisible, nous obtenons ainsi une infinité de points qu’atteint le mobile, sur une portion de la trajectoire, portion qui se rétrécit à chaque fois au fur et à mesure de l’opération dichotomique ! Ces points sont des unités réelles et distinctes car la discontinuité est postulée dans cette hypothèse. Dans sa course le mobile devra donc entrer en contact avec chacune de ces unités séparées ( points). Or le temps étant supposé non-infiniment divisible, il faudrait pendant l’unité minimum de ce temps continu effectuer un nombre infini de contacts sur ces points. Cela est impossible car nous ne disposerions pour chaque contact que d’un temps infiniment bref, ce qui est en contradiction avec l’hypothèse de la divisibilité temporelle finie.

Donc tout mouvement s’avère impossible (ou plutôt il n’avancerait qu’infiniment petitement, pour être exact et n’atteindrait jamais son but !). Or dans la réalité le mouvement a lieu. Il faut conclure de cette contradiction dans les termes de l’hypothèse, que le langage choisi pour en décrire le mouvement s’est révélé inadéquat, qu’il faut donc le rejeter avec les définitions qu’il comporte et l’hypothèse qu’il implique.

Deuxième aporie, dite « l’Achille »

Deuxième hypothèse : « L’espace infiniment divisible, le temps infiniment divisible. » (L’hypothèse ici est doublement pythagoricienne puisqu’on suppose la discontinuité de l’espace et du temps !)

On considère deux mobiles, Achille et la tortue, qui parcourent une même trajectoire avec des vitesses différentes. La tortue, le mobile le plus lent part en premier.
Quand le mobile le plus rapide, Achille, s’élance à son tour, il devra, avant qu’il ne rattrape la tortue, sa rivale, atteindre d’abord la position que la tortue occupait à l’instant où lui-même – mobile le plus rapide – a pris son départ.
Mais pendant qu’Achille parcourt ce premier trajet, sa rivale, la tortue qui continue sa course, l’aura à nouveau devancé. Donc il y aura un nouveau point par lequel le mobile le plus rapide, Achille, devra passer avant de pouvoir rejoindre le moins rapide, la tortue qui n’attendra jamais Achille. La tortue ne l’attendra nulle part et le mobile le plus rapide, Achille, ne rejoindra jamais la tortue !

Explication : la division du temps effectuée à l’infini, donne par définition des unités discrètes (c.-à-d dire. qui sont toujours séparées par un intervalle) car nous avons admis dans la deuxième hypothèse, la discontinuité temporelle. Mais dans cette 2ème hypothèse la division de l’espace étant différentielle, (c.-à-d. qu’on peut le diviser à l’infini d’une manière illimitée) il arrivera toujours un moment où on produira par elle un infiniment petit comparé à l’unité de distance, qui est à chaque instant, la distance que parcourt le mobile le plus lent pendant l’unité de temps choisie, et cela même si cette unité de temps choisie est, elle aussi un infiniment petit par hypothèse (voir l’hypothèse directement ci-dessus).

Dit autrement ces deux infiniment petits ou infinités ne sont pas du même ordre.
On est ramené à un cas analogue au précédent mais la « dichotomie »  qui consistait à scinder la partie de la trajectoire en deux parties égales est, dans la 2ème hypothèse remplacée par une division qui sépare toujours le segment à parcourir en deux sections proportionnelles aux vitesses relatives des deux mobiles, Achille et la tortue. Les points par lesquels les deux mobiles de vitesse différente (Achille et la tortue) doivent nécessairement passer, définissent des segments réels de la trajectoire puisqu’on a admis sa divisibilité à l’infini dans l’hypothèse.
Or il n’est pas possible d’effectuer un nombre de contacts infinis pendant un temps fini (1ère hypothèse) et encore moins pendant un temps infiniment court (2ème hypothèse) !
Donc Achille, le mobile le plus rapide, ne rattrapera jamais la tortue. Dans la réalité, il est évident qu’il la rattrape : il faut en conclure que le langage et les concepts choisis pour décrire le mouvement se révèlent inadéquats. Il doit conséquemment être rejeté avec les définitions qu’il produit et les hypothèses qu’il suppose.

Ainsi ces concepts de divisibilité infinie de l’espace et du temps, de continuité ou discontinuité si nous avons nous-mêmes, modernes, du mal à les saisir clairement, faisaient déjà partie des préoccupations des savants grecs de la moitié du Ve siècle avant J.C ! Anaxagore, autre grand savant grec de la même époque à Athènes était aussi en train d’élaborer une conception de l’univers où l’infiniment petit se composait d’ une gradation vers l’infiniment petit d’infiniment petits (univers) différents… Cela nous donne le vertige !

Il est bon de rappeler que ces raisonnements qui nous semblent sophistiques au premier abord, si nous nous fions seulement à nos sens, sont en fait au fondement moderne de la découverte en mathématiques du calcul infinitésimal au XVIIe siècle (Newton, Leibniz) !

Bref, Parménide et Zénon – le premier, par une pensée aiguë, rigoureuse et profonde, qui essaie de trouver et de fixer comme une ancre l’identité de la pensée et de l’être afin d’asseoir un jugement solide et certain sur toutes choses vraies et Zénon qui nous fait surgir en logique des paradoxes qui mettent à mal la représentation pythagoricienne de la réalité par la discontinuité et par la multiplicité (fondée sur l’arithmétique des nombres) -, ont tous les deux contribué à construire les inébranlables principes de la logique d’Aristote que nous utilisons, peut-être sans nous en apercevoir, encore tous les jours…

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