Au moment où Emmanuel Macron convoquait à Paris l’ensemble du secteur financier privé et public pour un sommet climatique d’un jour pour sauver la planète, un rapport d’Attac mettait en lumière la réalité des obligations vertes censées financer des projets compatibles avec la protection de l’environnement et du climat. Celles-ci ne représentent que 0,1% du marché obligatoire mondial estimé à 100 000 milliards de dollars, marché qui est la principale source de financement des entreprises et des États. Le texte qui suit montre la réalité des stratégies climatiques des multinationales du CAC40 lorsque celles-ci sont adossées aux seules logiques financières et de communication (greenwashing), elles conduisent à un réchauffement de 5,5°C, bien au-delà des 2°C maximum fixé par l’Accord de Paris de la COP21.
La Rédaction de ReSPUBLICA
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Quelle est la réalité des stratégies climatiques des firmes multinationales quand elles sont adossées à leurs logiques financières ? Le rapport d’étude publié en 2017 par le cabinet de conseil EcoAct nous procure des données pour le savoir. Il donne à la première lecture l’impression que les multinationales sont très nombreuses à prendre en compte les variables climatiques. Mais, quand nous examinons de plus près les données de ce rapport, nous constatons qu’il contient deux éléments très différents : d’un côté, il montre en quoi les évolutions climatiques représentent une opportunité pour les entreprises ; d’un autre côté, il indique qu’il s’agit plus d’une stratégie de green-washing, dirigée vers les actionnaires, afin de présenter sous une allure écologique des stratégies principalement financières.
L’évolution climatique en France est une formidable opportunité pour le CAC40
Le rapport d’étude du cabinet de conseil EcoAct fait état de la prise en compte du dit « risque climatique » dans les stratégies des quarante entreprises du CAC40, en précisant qu’il s’est limité aux données boursières ou aux sites internet de ces firmes. Selon Thierry Fornas, président de ce cabinet, qui a déjà étudié les plus grandes entreprises de par leur capitalisation boursière au Royaume-Uni (FTSE 100) et en Espagne (IBEX 35), « l’un des principaux enseignements de notre étude est que l’enjeu climatique en France est devenu une question de bon sens économique et non plus de vertu ».
La première donnée exhibée par ce rapport est que la totalité des 40 entreprises du CAC40 « identifient le changement climatique comme un risque pour leur activité« . Un tel jugement revient en effet au simple bon sens économique dans la situation actuelle où la fréquence des catastrophes climatiques a doublé de la période 1985-1995 à la période 2005-2015 et continue à augmenter au rythme de 14 % par rapport à 1995-2004 (cf. comptage du rapport « The Human Cost of Weather-Related Disasters 1995-2015 » de l’UNISDR). Si les entreprises veulent optimiser le rendement de leur capital dans un tel avenir incertain, la plus élémentaire prudence leur impose de prendre en compte ce nouvel enjeu majeur qu’est le risque climatique. De plus, selon EcoAct, « cette transformation [le défi de la durabilité] représente aujourd’hui une véritable opportunité : l’évolution du climat ouvre en effet un champ des possibles formidable pour repenser et déployer avec succès de nouvelles stratégies de développement ».
Neuf catastrophes sur dix étant maintenant liées au climat, l’activité d’assurance contre le risque climatique devient par exemple une part essentielle du chiffre d’affaires de l’assureur AXA. Ainsi, pour son PDG, Henri de Castries, « La question de savoir si le réchauffement climatique est une réalité n’est plus de mise. La question est aujourd’hui de savoir quand et sous quelles formes il se manifestera. » De plus, son directeur des affaires publiques et de la responsabilité d’entreprise Jad Ariss avançait l’alerte suivante au récent One Planet Summit « Depuis le milieu des années 70, on constate une augmentation de la fréquence et du coût moyen des catastrophes naturelles dans le monde. Or, un monde qui se réchaufferait de plus de 4°C n’est plus assurable ». Et il concluait : « Si cette tendance ne s’inverse pas à l’avenir, le risque est que le secteur de l’assurance ne puisse absorber qu’une part déclinante du coût des catastrophes naturelles » (cf. information sur le One Planet Summit de l’Argus de l’assurance).
Les différences selon les entreprises selon le rapport d’EcoAct
Le rapport EcoAct analyse d’abord les engagements, la stratégie, les actions et les résultats des entreprises du CAC 40 selon une grille d’analyse conçue en 2011 pour intégrer le défi de la durabilité au cœur de leur business model. Premier critère, les entreprises obtiennent en moyenne de bons résultats sur les critères « Mesure & Reporting », « Engagement & Innovation » et « Stratégie & Gouvernance », selon le classement du cabinet. Cela est dû notamment aux conséquences de la législation française, en particulier de la loi de transition énergétique et du Grenelle 2.
Mais il faut noter que plusieurs de ces critères sont basés sur les déclarations d’intention de ces entreprises :
- 37,5 % des entreprises déclarent utiliser un prix du carbone interne ;
- une entreprise a défini un objectif dit “science based“ ;
- la manière dont les entreprises du CAC 40 répondent aux exigences du dit « reporting environnemental » préconisé par Grenelle2.
Car, selon le rapport EcoAct qui se fait l’avocat du changement de conception préconisé par le gouvernement, « le rôle des entreprises dans l’action climatique va bien au-delà de la simple mesure de l’empreinte carbone ou d’une compilation de données sur une page web ou dans un rapport annuel. Il s’agit, pour les entreprises, d’engager leurs parties prenantes dans une transition globale et collective. Pour ce faire, l’information est clé : les entreprises doivent informer leurs parties prenantes des actions qu’elles ont mises en œuvre, des résultats qu’elles ont atteints, des objectifs sur lesquelles elles s’engagent et de la stratégie qu’elles prévoient de déployer à cette fin. »
Mais, au-delà de ces proclamations vertueuses, que représentent la réalité des dits « engagements des entreprises du CAC40 pour intégrer le climat dans leur stratégie » ?
En définitive très peu d’entreprises réduisent effectivement leur empreinte carbone
Le rapport estime que les résultats ne sont pas au rendez-vous. Il le dit dans des termes prudents : « une marge importante de progression subsiste en matière « d’objectifs et de réduction » ». Pourtant, EcoAct a multiplié les dimensions d’analyse :
- le degré selon lequel les entreprises ont mis au point des produits bas-carbone (ce qu’ont déclaré effectuer 25% des entreprises du CAC40) ;
- la pratique d’achat de crédits carbone afin de compenser leurs émissions résiduelles (ce que déclarent effectuer 32,5% des entreprises du CAC40) ;
- la manière dont une entreprise collabore avec ses parties prenantes (les clients, la chaîne d’approvisionnement, les investisseurs et le gouvernement), soit pour réduire son empreinte environnementale, soit pour tirer des avantages commerciaux de sa stratégie climat ;
- les innovations menées en partenariat avec les fournisseurs – pour développer de nouvelles technologies, produits ou modes de production.
Ensuite viennent une série de critères correspondant aux déclarations d’intention des entreprises (soulignées ci-après) :
- 82,5 % des entreprises du CAC40 communiquent sur un objectif de réduction de leur empreinte carbone(mais quel sont les résultats concrets de ces objectifs ?) ;
- 25% proposent au moins un produit neutre en carbone (mais quelle est sa part dans le chiffre d’affaire ?) ;
- 12,5% se sont engagées à se désinvestir des énergies fossiles (certes mais dans quelle proportion ?).
Au total, note le rapport EcoAct, la majorité des entreprises (33 sur 40) ambitionnent de réduire d’au moins 49 % leur empreinte carbone. Mais seules trois (Kering, Atos, Capgemini) ont des objectifs de réduction d’émissions de gaz à effet de serre en phase avec les scénarios scientifiques sur l’évolution du climat et l’objectif de l’Accord de Paris (Science Based Target), soit moins de 8 % des entreprises du CAC40.
Dans le classement final d’EcoAct des dix premiers sur l’ensemble des critères, Schneider Electric, spécialiste de gestion de l’énergie et des automatismes, est le leader. Il atteint un taux de 79 % devant les ex-aequo Solvay, chimiste, et Unibail-Rodamco (73%), groupe européen d’immobilier commercial spécialisé dans les centres commerciaux, les bureaux et les centres de congrès. Suivent de très près la multinationale de gestion de l’environnement Veolia Environnement (72,5%), Peugeot, Renault et Danone (72%), et juste après AXA (70%), ex-aequo avec Société Générale et l’Oréal. Mais il faut garder à l’esprit qu’il s’agit là d’un classement concernant avant tout l’apparence que ces entreprises veulent donner aux investisseurs financiers, soit aux candidats à l’achat de leurs actions (cf. tableau publié par le site Novethic).
En conclusion, il n’est pas surprenant de constater, au delà des appréciations mesurées du rapport EcoAct, que selon une étude de Mirova, la société de gestion spécialisée sur la finance durable du groupe Natixis, « le CAC40 reste l’un des indices boursiers les plus carbonés au monde, dont les stratégies climatiques conduisent à un réchauffement de 5,5°C à la fin du siècle ». Performance désastreuse et « bien au-delà des 2°C maximum fixé par l’Accord de Paris » (cf. conclusions du site Novethic présentant une analyse rapide du rapport EcoAct).