L’émotion aux États-Unis face à l’assassinat de George Floyd et sa « réplique » en France avec la mobilisation massive du comité Adama en juin ont suscité des prises de position de personnalités et de comités se réclamant du combat laïque. Le moins que l’on puisse dire est que certaines de ces déclarations gagneraient à être vite oubliées et ne risquent pas de figurer au Panthéon des écrits pour la défense de la Fraternité humaine (ainsi celle du Comité Laïcité et République pour la manifestation du 2 juin).
Tout d’abord, une remarque de forme qui revêt une importance primordiale dans la période de tous les dangers que nous vivons : à la lecture des communiqués et réactions, l’on ressent une gêne profonde devant l’absence complète d’enquête de terrain et de « choses vues » (voir a contrario dans ReSPUBLICA à propos du 13 juin). Qui a remarqué dans ces rassemblements l’ambiance dynamique, la jeunesse des participants, les slogans solidaires, l’absence de groupes organisés indigénistes ou salafistes, le fait que ces manifestations étaient à l’évidence l’expression d’une « fierté noire » ? Rien de tout cela ne transparaissait dans ces réactions à l’emporte-pièce et « vues de loin ». La raison en est simple : leurs auteurs n’étaient pas présents dans la rue ou sur la place de la République à Paris et ont réagi en « pilote automatique « suivant les comptes rendus des chaînes d’information. Sur des sujets sensibles comme le racisme, les réactions fantasmées sont mauvaises conseillères et sujettes à bien des manipulations.
Sur le fond maintenant : les réactions citées se réclamant de la laïcité soulignaient la profonde différence entre les États-Unis esclavagistes et ségrégationnistes et la République française, précisant que cette dernière était émancipatrice et n’avait jamais pratiqué le racisme d’Etat. Bien sûr, l’abolition de l’esclavage sous la Première puis la Seconde République est mise en exergue dans ces communiqués qui soit passent sous silence soit évoquent vaguement l’histoire coloniale des trois autres Républiques françaises, comme par exemple la politique de conquête de la Troisième République. Toutefois, ce colonialisme est traité comme une sorte de « mauvais point », une entorse malencontreuse dans une tendance de fond universaliste et humaniste.
Cette vision de « conte de fées » est une reprise anachronique des manuels scolaires des années 1930 ou 1950, illustrés par des cartes en couleur de l’immense « Empire français », deuxième du monde par sa superficie ! Cette réécriture de l’histoire est à la limite du négationnisme sur l’un des pires épisodes vécus par les peuples colonisés. Visiblement, nos républicains du « roman national » ont oublié les faits.
Tout d’abord, la France fut un des principaux pays de la traite des noirs qui a fait la fortune de Nantes, Lorient ou Bordeaux. Et si les esclaves des Antilles françaises furent aussi prompts à rallier la Révolution en 1793, au point de participer à la « levée en masse » en particulier contre les Vendéens, c’est que leur sort en esclavage dans les plantations était absolument atroce.
Puis, sous le Second Empire et la Troisième République, la France s’est taillé un empire colonial monstrueux, le plus important après la Grande-Bretagne et le premier sur le continent africain. La conquête de celui-ci fut épouvantable.
La « pacification » de l’Algérie à la fin du 19e siècle s’apparente à une guerre d’extermination dont se sont d’ailleurs vanté sans pudeur les officiers supérieurs du corps expéditionnaire. En Afrique noire, la domination des peuples asservis fut d’une brutalité sans nom… tout juste dépassée d’une courte tête par la barbarie des Belges au Congo. Le maintien de cet empire fut une longue trace de sang, de la guerre du Rif dans les années 1920, la répression des Algériens à Sétif en 1945 ou encore à Madagascar dans les mêmes années. Sous la Quatrième république, le pouvoir colonial s’obstina malgré tout à conserver ses prérogatives. Il aura fallu la victoire du Viêt-minh dans la cuvette de Dien Bien Phu pour en finir avec l’Indochine française. Il aura fallu aussi huit ans d’une guerre atroce et son cortège de tortures systématiques, de « corvées de bois » et plusieurs centaines de milliers de morts pour que les Algériens arrachent eux aussi leur indépendance.
Mais, diront nos admirateurs de « Ferry le tonkinois », la ségrégation n’existait pas en France même. C’est faux ! Dans les départements français d’Algérie, les deux « collèges » ne donnaient aucune citoyenneté aux musulmans, considérés en tant que communauté particulière dans une république soi-disant laïque ! Autre exemple contemporain de ségrégation d’Etat, le couvre-feu au début des années 1960 imposé en région parisienne aux « Nord-Africains » par le sinistre Papon. Il était réservé aux seuls musulmans puisque les « pieds-noirs » n’y étaient pas soumis. Le même Papon couvrira la plus grande tuerie à Paris depuis la Saint Barthélémy, un certain 17 octobre 1961 lorsque des centaines d’arabes furent massacrés et noyés dans la Seine.
Cette domination brutale multi-séculaire de l’empire colonial se dota, pour justifier la soumission des peuples, d’une idéologie raciste. Il suffit pour s’en convaincre de parcourir les rues de Paris et de lire le nom des plaques. Qui fut Broca dont une rue du 5e arrondissement porte le nom, sur décision de la Troisième République ? Il fut l’un des penseurs de « l’école raciste française » dont le caractère précurseur des idéologies fasciste et nazie a été démontré par l’historien israélien Zeev Sternhell récemment décédé. L’exploitation colonialiste française se justifia toujours par la supériorité supposée de la « race blanche ».
C’est face à ces forces obscures de l’esclavagisme, du colonialisme et du racisme que se dressèrent les partisans de la République Sociale. Cette tendance politique exemplaire a dirigé la France quelques mois lors de la Première République et quelques semaines lors de la Deuxième. Elle fut écrasée lors de la Commune de Paris en 1871. Pendant ces brefs moments de pouvoir, les lois abolissant l’esclavage ont pu être entérinées. Mais le combat pour l’égalité et la fraternité fut permanent tout au long du 19e et du 20e siècle. Souvent très minoritaires, ces militants ont combattu la « République coloniale ». C’est l’idée même de République qu’ils ont su préserver. ReSPUBLICA se revendique dans la lignée politique de ces partisans courageux.
Les républicains sincères doivent être conscients que la réécriture de l’histoire et la négation de la vérité constituent une formidable assistance aux courants « séparatistes » qui veulent segmenter les humains en groupes ethniques et remplacer la lutte de classe par une morbide « lutte de races ». Aujourd’hui, les activistes du soi-disant « pouvoir noir », ceux qui dénoncent le caractère timoré du slogan Black Lives Matter (la vie des noirs compte), argumentent justement que les « républicains » nient l’oppression coloniale, qu’il n’y a donc rien à faire avec eux et qu’il faut « se séparer » de la République. N’apportons pas de l’eau à leur moulin de la haine !
Nier la réalité historique discrédite les valeurs et les principes républicains. Les combats anti-raciste et anti-colonialiste ont construit notre idéal de la République Sociale. Restons fermes sur notre anti-racisme radical, condition indispensable au combat politique et social en commun.