Voilà un ouvrage qui décrit les conséquences de l’introduction des méthodes managériales du néolibéralisme dans l’hôpital.
L’initiative en revient au Syndicat national des praticiens hospitaliers anesthésistes-réanimateurs élargi (SNPHAR-E). Ils ont décidé de demander à des sociologues et économistes de montrer les conséquences de cette funeste politique.
Le livre décrit dans le détail les conséquences de ce passage à l’hôpital-entreprise si bien décrit par le chirurgien néolibéral Guy Vallancien qui estime qu’un hôpital cela se gère comme un aéroport.
Le livre démarre par un survol succinct de l’hôpital depuis l’hôtel-Dieu fondé à Lyon en 549 et à Paris en 651 jusqu’à l’hôpital Georges Pompidou des temps modernes. Il décortique les nouvelles techniques importées du management (le New Public Management ou Nouvelle Gestion Publique) directement dictées par les associations multilatérales (Banque mondiale, OCDE, etc.). Et notre ami Frédéric Pierru montre que « les assureurs emménagent à tous les étages de la Sécu » ou comment le trio Bébéar-Kessler-Ewald a pensé la contre-réforme régressive avec le soutien de nombreux autres responsables, passés par les firmes multinationales à but lucratif pour les actionnaires, dont Chadelat et Van Roekhegem. Il montre également comment est pensée la gouvernance à distance par les nouveaux technocrates et autres bureaucrates du néolibéralisme. Il montre également comment une ARS a réussi le tour de force de réaliser « le grand fiasco de l’hôpital sud-francilien » grâce au partenariat public privé (PPP).
L’ouvrage décrit la mutation réalisée par l’introduction de la tarification à l’activité (T2A) qui organise la marchandisation de l’hôpital et comment les codeurs de la T2A prennent le pas sur les médecins. Il est noté aussi le recul du remboursement assurance-maladie et donc l’augmentation du reste à charge pour les patients.
Dans la deuxième partie du livre, Philippe Batifoulier montre la construction du marché de la santé. Des enquêtes mettent en exergue la souffrance au travail tant pour les médecins que pour les autres soignants (enquêtes sur 3000 praticiens hospitaliers et 40.000 soignants). Nicole Smolski présente la déshumanisation des hôpitaux où les actes rentables ont plus d’importance aux yeux des gestionnaires que la qualité de la prévention et des soins.
Divers sujets d’actualité sont étudiés comme celui de la responsabilité médicale et le passage au « benchmarking permanent », une comparaison permanente des indicateurs dont on comprend qu’ils ne sont là que pour mesurer la rentabilité.
Bien évidemment tout cela est la face cachée de ce que les usagers du système de santé dénoncent et qui mériterait une étude aussi fouillée que ce que nous venons de recenser : franchises sur les soins, dépassements d’honoraires, augmentation des inégalités sociales de santé, refus de soins pour causes financières. Notons que le livre fait déjà 366 pages et que probablement d’autres ouvrages vont sortir dans les mois qui viennent qui seront complémentaires à ce livre fort intéressant. Sans doute faudra-t-il développer le lien entre cette mauvaise politique et les politiques économiques et financières néolibérales, revenir sur les causes du « trou de la sécu », montrer l’enchainement des attaques contre le modèle du Conseil National de la Résistance depuis 1967 à nos jours, faire une critique radicale du rôle des complémentaires santé et surtout proposer un nouveau système solidaire de santé et de sécurité sociale dans lequel les mutuelles seraient enfin complémentaires à la Sécu.
En attendant, ce livre est à lire pour entrer dans le débat sur la protection sociale qui ne manquera pas d’avoir lieu lors de la présidentielle.