L’école maternelle représente un échelon fondamental pour favoriser l’« égalité des chances », pour que l’école publique, l’école de toutes et tous repose sur le principe du « tous et toutes capables ». Une politique scolaire qui se fixe pour objectif de combattre les inégalités, de favoriser la réussite de toutes et tous est beaucoup plus efficace quand elle est menée dès le plus jeune âge. Prendre des mesures plus tard, à la fin de l’élémentaire ou au collège, est souvent inopérant et, dans tous les cas, beaucoup plus lourd en termes d’investissement humain pour des résultats trop souvent peu concluants. La dernière note du CSP commandée par le ministre tourne le dos à ces objectifs tout en détournant l’école maternelle de ses missions spécifiques et en faisant un appendice de l’école élémentaire.
Les objectifs prioritaires des débuts de la scolarité sont de donner envie aux enfants de fréquenter l’école, d’assurer leur épanouissement, de créer les conditions afin qu’ils adoptent les attitudes qui leur permettent de devenir des élèves et de leur apprendre à parler en utilisant une syntaxe complexe.
Scolarité obligatoire dès 3 ans : une décision qui masque un recul de ce qui fait ou faisait l’excellence de l’école maternelle française mondialement reconnue
À partir d’une décision qui marque un progrès à relativiser puisque déjà 97 % d’une classe d’âge fréquentait l’école maternelle, le ministre Jean-Michel Blanquer en profite pour imposer une régression et dans le domaine pédagogique et sur la question des finalités de cette école. En instituant une sorte de conseil réduit à quelques neuroscientifiques et experts par lui désignés donc proches de ses convictions excluant les professionnels que sont les enseignants et enseignantes en exercice, il démolit ce qui longtemps a fait la fierté de notre école hors des frontières. Ajoutons à cela que cette mesure d’instruction obligatoire dès 3 ans renforce l’école privée que les collectivités territoriales seront obligées de financer favorisant ainsi le séparatisme scolaire, l’entre-soi des catégories les plus aisées de la population et la concurrence aux dépens de l’école publique.
Une obsession régressive des évaluations-tests aux dépens de la culture générale
L’orientation que le ministre tente de mettre en œuvre est de transformer l’école maternelle en une école préparant aux tests mathématiques-français et de pratiquer du bachotage pour obtenir de bons résultats aux évaluations des performances ciblées. Ce faisant, ils poussent les acteurs éducatifs à abandonner ou tout au moins à consacrer moins de temps aux autres apprentissages tout aussi importants.
L’expérience du Royaume-Uni devrait nous interpeller. Il y a quelques années des évaluations dans quelques domaines jugés essentiels étaient imposées. En fonction des résultats, les écoles percevaient plus ou moins de subventions. Le résultat, au bout de quelques temps, a été que si les élèves parvenaient à des niveaux corrects dans les domaines évalués, ils étaient d’un niveau faible dans les domaines comme la littérature, l’histoire, la culture en général… Depuis, les responsables britanniques ont fait machine arrière faisant le constat de l’inefficacité d’une telle politique car les enfants et l’éducation ne peuvent être réduits à des machines, à un produit marchand.
L’école maternelle : une école à part entière avec des pédagogies adaptées
L’école maternelle, de même que les premières années de l’école élémentaire, est un moment crucial pour aplanir les inégalités sociales qui entraînent de fortes inégalités scolaires. Pour cela, l’école maternelle ne doit pas se limiter aux « fondamentaux » et se contenter d’être l’antichambre de l’école élémentaire.
Dès 1881, l’inspectrice générale Pauline Kergomard définissait l’école maternelle comme n’étant « ni caserne, ni petite Sorbonne, ni garderie, ni école élémentaire » et sur le plan pédagogique avançait l’idée que « le jeu c’est le travail de l’enfant, c’est son métier, c’est sa vie ». Depuis le débat fait « rage » entre les partisans qui considèrent la maternelle comme une simple garderie et ceux la voyant comme préparant aux apprentissages de l’école élémentaire.
En 2008 sont promulgués des programmes directifs tournant le dos à la prise en compte des spécificités dues à l’âge des élèves accueillis. En 2015, les programmes permettent de penser l’école maternelle comme une école qui s’adapte aux jeunes enfants et organisent des modalités spécifiques d’apprentissage :
- apprendre en jouant, en réfléchissant,
- apprendre en résolvant des problèmes,
- apprendre en s’exerçant,
- apprendre en se remémorant et en mémorisant,
- apprendre en parlant pour aller vers un langage de plus en plus complexe, complexité indispensable pour appréhender dans de bonnes conditions l’acquisition d’une lecture aisée et efficace.
Mettre en contact avec un langage adulte élaboré et faire parler
Les dédoublements se font trop souvent au détriment des autres classes. Cette réduction des effectifs doit permettre aux enseignantes et enseignants mais aussi aux ATSEM d’échanger avec chaque élève pour le mettre au contact d’un langage adulte élaboré employant ce que Laurence Lentin appelle des introducteurs de complexité tels que « qui », « que », « car », « parce que », « puisque »… Ceci est quasi impossible avec des effectifs de 30 et plus par classe. De tels effectifs, s’ils sont « indolores » pour des enfants qui entendent à la maison un langage élaboré, sont rédhibitoires pour ceux qui n’ont pas l’occasion d’entendre et d’utiliser un tel langage. Une telle situation entache l’avenir scolaire des élèves et ne peut qu’aggraver les inégalités pour parvenir à un bon niveau scolaire.
Des moyens insuffisants à l’heure actuelle
Une telle pédagogie et de telles finalités exigent des moyens matériels certes mais aussi et surtout des moyens humains : réseaux d’aide spécialisée dans chaque école pour assurer une
bonne mise en œuvre de la prévention, des ATSEM en nombre suffisant, une réelle réduction des effectifs par classe, dédoublement des classes, des effectifs par classe revus à la
baisse, des enseignants reconnus avec un salaire suffisant (les professeurs des écoles français effectuent dans l’année plus d’heures en présence des élèves que leurs homologues allemands et
perçoivent un salaire très inférieur)…
Une composition du CSP éloignée des réalités du terrain
En 2015, la composition du CSP (Conseil supérieur des programmes) comprenait des personnalités qui connaissaient l’école, le collège et le lycée. Avec Jean-Michel Blanquer, les membres du CSP connaissent le lycée et les classes préparatoires. En 2015, le CSP avait constitué un groupe de travail auquel participaient des directeurs d’école et des CPC. Avec Jean-Michel Blanquer, il n’y a pas d’acteurs de terrain et le ministre a choisi lui-même les experts du Conseil scientifique. Cela a pour conséquence de penser la maternelle sur le modèle de l’école élémentaire.
Une préconisation pédagogique inadaptée
Tournant le dos à la nécessité de faire parler les enfants, il est préconisé des cahiers de mots et la reformulation hors contexte de phrases. Est tenté de mettre en œuvre un formatage ou caporalisation réduisant les enseignants à de simples exécutants.
À côté de cela, il est constaté une baisse de la scolarisation des moins de 3 ans (3 6% entre 1990 et 2000, 12 % en 2011). Cette scolarisation, si les effectifs sont adaptés, permet aux enfants de développer des compétences langagières et sociales. Même si cette scolarisation ne doit pas être obligatoire, elle doit pouvoir être proposée dans les quartiers sensibles concentrant les plus grandes difficultés.
Sous des aspects qui paraissent relever du bon sens, le CSP définit l’objectif principal qui est « d’assurer à tous les enfants des acquisitions qui leur seront nécessaires pour aborder avec confiance le cours préparatoire ». Ce faisant, est préconisé une conception de développement de l’enfant qui consisterait à l’aide de « fondamentaux, de remplir un petit vide pour le faire grandir ». Il suffirait ainsi, selon le CSP, de le baigner dans des « jeux » de langage ou de mathématiques, selon Mireille Brigaudot (maîtresse de conférences en science du langage) qui reproche à ces préconisations une conception mécaniste des apprentissages scolaires. À la construction des concepts de nombre par exemple, le CSP oppose les exercices de répétitions, le recentrage sur l’utilisation et la connaissance qui devrait être postérieure à la compréhension profonde de ce qu’est le nombre. Le tropisme du résultat, d’où la multiplication des tests dès la petite section, devient le souci premier et formalise d’en haut les pédagogies en imposant l’utilisation des outils proposés par l’institution. Cela éloigne de la prise en compte de la réalité de la classe et des élèves, de l’observation concrète des élèves et de l’analyse de leurs besoins.
Piloter chaque niveau en fonction du niveau suivant est contre-productif et réducteur
Le CSP, à la demande du ministre, préconise des évaluations dès la petite section avec pour seul objectif de préparer les élèves à réussir les tests du CP. À piloter chaque étape du cursus scolaire par les seules exigences du niveau suivant, la maternelle par le primaire, le primaire par le collège, le collège par le lycée etc., est mis de côté la spécificité de chaque tranche d’âge et ainsi l’efficacité dans les apprentissages attendus.
Grande est ainsi la tentation de renoncer au « tous et toutes capables » en risquant de culpabiliser les familles en les rendant responsables de l’éventuel échec scolaire puisque ce qui est jugé dans les tests de la petite section c’est le niveau familial.
L’école maternelle, un moment essentiel pour devenir un élève
La mission de l’école maternelle est certes de préparer à l’entrée au CP, selon Christine Passerieux (conseillère pédagogique et membre du GFEN/Groupe Français d’Éducation Nouvelle) mais ce n’est pas la seule. L’école maternelle est une école à part entière et, à ce titre, un espace d’ouverture au monde. On ne naît pas élève, on le devient :
- en rencontrant l’autre,
- en s’appropriant des outils, des modes de faire et de dire,
- en découvrant et en interagissant des œuvres patrimoniales et contemporaines dans tous les domaines,
- en s’engageant au quotidien dans le plaisir d’apprendre.
Pour devenir un élève, il est indispensable de créer les conditions pour que enfant s’engage dans un processus d’ « acculturation » ou d’émancipation qui permettra une attitude ou posture de réflexion, de questionnement, de compréhension progressive du monde et de développement de l’imagination.
Tous ces aspects fondamentaux pour l’avenir des enfants et de la société sont absents de la note du CSP qui pratique, selon le désir conscient ou inconscient du ministre, plus les injonctions que les propositions à débattre et discuter.
Évaluer fait partie de l’acte d’enseignement pour prendre en compte l’état des connaissances des enfants et aussi et surtout, ce qui ne figure pas dans la note du CSP, de ce qu’ils comprennent des attendus de l’école et de la manière avec laquelle ils se les approprient.
L’école publique, une école pour toutes et tous
L’évaluation dès la petite section, c’est prendre le risque d’étiqueter les enfants et, indirectement, de les détourner du désir d’apprendre. L’évaluation à l’école ne peut se faire que sur les acquisitions de la scolarité. Il s’agit de distinguer l’évaluation contrôle de l’évaluation formative essentielle. Ne pas se préoccuper des conditions d’entrée de tous et toutes dans les apprentissages c’est empêcher tout ce qui fait que l’école maternelle de qualité peut réussir pour l’épanouissement présent et futur des enfants et pour lutter contre les inégalités. Le risque est grand de condamner les enfants à une assignation à résidence de leurs origines en limitant leur capacité à s’émanciper.
Serait ainsi acté la fin « de l’école publique, une école pour tous » et d’avaliser la ségrégation culturelle et sociale.
NDLA :
Article qui repose en partie sur les analyses du dossier de la revue n°230 de février 2021 Pour de la FSU, dossier consacré à la maternelle sous le titre « Maternelle, le consensus brisé ».