C’était à la fin de l’émission-débat sur France 2, entre Martine AUBRY, première Secrétaire du Parti « socialiste », et le ci-devant François FILLON, Premier Ministre de son état (de son État ?). Croyant faire moderne et voulant visiblement trancher avec les habitudes ou l’agressivité généralement de mise dans ces rendez-vous télévisés de campagne électorale entre « personnalités » politiques, la première des socialistes français a subitement quitté le ton rogue avec lequel elle éreintait à intervalles réguliers les propos de son vis-à-vis, et s’est avisée d’adresser tout à trac au chef du gouvernement, un satisfecit des plus spontanés pour l’intervention des pouvoirs publics qui a « permis de sauver l’emploi » des 92 salariées jetées à la rue une semaine plus tôt par le Tribunal de Commerce de Lyon. Merci pour LEJABY…
La France au travail appréciera. Voilà une centaine d’ouvrières qui triment depuis tente ans dans une usine d’Yssingeaux pour subvenir chichement aux besoins de leur famille et parvenir à élever leurs enfants, voilà une centaine de malheureuses qu’on renvoie « ad nutum » dans leurs foyers sans la moindre considération pour leur fidélité et leur dévouement multi décennal à leur entreprise (merci LEJABY), et qui se retrouvent tout à coup sans avenir aucun ni soutien plus marqué qu’un très fragile CSP (Contrat de sécurisation professionnelle) d’un an. Mais qu’à cela ne tienne, cela ne pose apparemment pas de problème majeur à Madame la première Secrétaire du PS ! Il doit s’agir d’une quasi-fatalité, ce doit être dans la nature des choses. En tout cas, merci pour LEJABY, merci mille fois d’avoir tiré ces malheureuses in extremis de l’enfer moderne qui leur était promis.
Car le souci premier de Mme la première secrétaire ne fut pas en effet de revenir sur cette nouvelle manifestation de barbarie sociale. En tout cas, ce n’est pas ainsi qu’elle souhaita immédiatement commenter la chose, dans une saillie si consensuelle, si empreinte de bons sentiments, de béatitude confite et de compassion sous-entendue qu’elle devrait faire date, contrairement à ce que l’on constate ces jours-ci dans les gazettes, dans les annales de la télévision et des campagnes électorales présidentielles. Merci pour LEJABY ! Non, ce qui motiva l’intervention subite et le joli coup de chapeau de Martine – gratuit au demeurant – c’est que, merci patron, merci pour LEJABY d’avoir éloigné l’orage, d’avoir éteint l’incendie et conjuré la mort professionnelle qui s’avançait déjà, avec son cortège de désespérance et de pauvreté rampante. Tout va bien, Madame la Marquise, les emplois sont aujourd’hui sauvés grâce à l’intervention miraculeuse d’un beau chevalier blanc, sorti tout droit du chapeau du Président de la République. Mais qu’importe puisque c’est un happy end. Merci à lui ! Je me souviens avoir entendu Martine AUBRY, évoquer un jour le rôle de Scarlett O’Hara dans « Autant en emporte le vent » et son goût pour cette saga fleurant bon le Sud des États-Unis. Je ne la savais pas à ce point sentimentale qu’elle puisse apprécier les charmes de la magie électoraliste ou des tours de passe-passe effectués dans le dos des travailleurs de son pays. Ni surtout qu’elle put en oublier les causes, en occulter à ce point la terrible mécanique, ni encore oublier toute retenue pour communier en direct et sans pudeur, donnant au passage au diable lui-même, son onctueuse et complice bénédiction de mère supérieure de la maison socialiste.
Car comment parvenir à y croire, même en se frottant les yeux, non seulement Martine AUBRY n’a pas souhaité faire le moindre commentaire sur le caractère totalement arbitraire, ultra discrétionnaire et légèrement féodal de l’évènement, mais Madame la première Secrétaire préféra s’empresser de saluer la divine surprise que constitue la réapparition miraculeuse de 100 emplois, là où une semaine auparavant, tout n’était que désolation, rage et début de résignation. Pour Martine, mieux vaut applaudir le monarque qui nous a fait si peur, ouh là là, que de s’attarder sur les tenants et les aboutissants d’un système qui licencie comme il respire et ne sauve qu’exceptionnellement la mise, et encore de justesse quand c’est pour les besoins d’une campagne électorale particulièrement mal engagée ! Pour paraphraser Jacques Brel, je trouve que Madame est gentille…
Voilà où en est rendu le Parti Socialiste. On le dit souvent coupé de sa base et plus encore du monde ouvrier. Martien AUBRY qui le dirige depuis le départ de l’actuel candidat socialiste, vient d’en administrer une preuve magistrale. Sa priorité, leur priorité, c’est la mendicité. Celle des emplois, cette denrée rare que le patronat français a si bien réussi à rendre telle, au point qu’on se prosterne, merci pour LEJABY, dès qu’un mécène ou un potentat daigne en laisser un cent en pâture à de pauvres manants, totalement enclavés dans les monts du Velay. Et Martine d’applaudir. Et la classe politique de tressaillir de joie et de se congratuler pour cent emplois prétendument sauvés. Mais de se pincer le nez à l’odeur de tous ceux qui fondent et frappent pauvres gens sans défense ou militants en déroute. Mais qui se préoccupe de leur dignité ? Ceux-là mêmes qui ont abdiqué de la leur en absolvant par avance ces tractations et ces manœuvres d’un autre âge sur le dos de pauvres salariés ?
Le mot est lâché. Ils ne sont que salariés. En tant que salariés, ils n’ont le droit que de regarder, pas de toucher. Pas de jouer, pas de participer. Et sûrement pas de décider. D’un bout à l’autre, tout les concerne. C’est leur vie qui est en jeu. Leurs familles, leur revenu, leur survie. Eh bien non. Ce qui compte, au sens de ce qui décide, ce sont ceux qui détiennent le capital. Celui de l’entreprise qui s’écroule, ou celui de l’entreprise qui achète. Les achète. Les rachète. Oui, vous avez bien entendu, les rachète. Ceux qui parlent, ceux qui peuvent agir et s’en targuer, pour une fois qu’ils le font dans le sens qu’on attend d’eux, contraints qu’ils sont par la peur de perdre leurs privilèges, ce sont les autres. Pas les salariés. Pas ceux qui sont au cœur. Cherchez l’erreur…
L’erreur, et nous ne le dirons jamais assez, c’est cette infirmité organisée, cette condition de modernes intouchables, cet apartheid qui les maintient dans un rôle de figurants à vie et de souffre-douleurs endurants et muets, quand bien même ce serait leur existence qui serait en jeu, à Yssingeaux ou à Paimpol, à Continental ou à Roscoff, à Métaleurop ou à Seafrance. Stop à ce statut inique qui circonscrit aux bornes de la vie sociale, aux limites de la partie, en lisière du pouvoir et à la porte de la démocratie. Ce statut de salarié qui ne vaut que moyennant le silence et l’acceptation, pour que soit maintenue la pitance, et servie la rente fragile qu’un souffle venu d’on ne sait où, et sur lequel on n’a aucune prise, peut mettre à mal ou détruire du jour au lendemain. C’est cela qu’il faut casser, cette impossibilité congénitale d’avoir voix au chapitre, d’être acteur de son travail, de son entreprise, de sa vie, alors même que l’on représente l’essence même (ce sont les comptables qui le disent) de la valeur ajoutée créée. Et pourquoi celle-ci ne donnerait-elle pas droit au pouvoir, c’est-à-dire aux parts et aux actions, au même titre que l’autre facteur de production qu’est l’argent ?
Alors merci pour LEJABY ? Oui si c’est pour y réfléchir, mais ne comptons pas sur Madame AUBRY, faisons le par nous même. Elle, elle y a renoncé par avance. C’est une perspective dans laquelle elle ne s’inscrit même pas. C’est une perspective qui lui est totalement étrangère et qui n’est au mieux qu’angoisse, incertitude, danger. Mieux vaut dire merci pour LEJABY et passer à autre chose, détourner la tête et se retrancher dans la commisération. Merci bien pour LEJABY et bonjour chez vous. Martine la socialiste vous salue bien, travailleurs de tous les pays.