Minarets ou pas minarets ?

Les Suisses viennent de se prononcer à 57,5 % : c’est non à la construction de nouveaux minarets sur le territoire de la Confédération. On parle bien de minarets, et non de mosquées. Une décision qui sera motivée, à l’article 72 de la Constitution, comme étant « propre à maintenir la paix entre les membres des diverses communautés religieuses ». Le parti chrétien de droite UDC a quant à lui appelé au refus des minarets en tant que « symbole apparent d’une revendication politico-religieuse du pouvoir, qui remet en cause les droits fondamentaux ».

Comme souvent, il me semble que la toile de fond de cette affaire est la question de la visibilité de l’islam. Une visibilité revendiquée par certains par souci d’équité – puisqu’après tout les églises ont leurs clochers – et refusée par d’autres au nom… Au nom de quoi, justement ?

De deux choses l’une. Soit il s’agit de refuser la présence de minarets (hormis les quatre déjà présents sur le territoire suisse) au nom de la prééminence de la religion catholique et des fameuses « racines chrétiennes », et cela me semble poser problème, démocratiquement parlant. Il me paraît en effet vain de s’accrocher à une vision passéiste de la nation, à l’heure où tous les pays d’Europe sont, de fait, multiculturels et doivent donc organiser la coexistence pacifique de plusieurs religions – et des athées – sur leur territoire.

Soit il s’agit de refuser la construction de nouveaux minarets au nom d’une nécessaire privatisation de la foi, quelle qu’elle soit, dans une société appelée à brasser diverses convictions religieuses. Mais alors, il faudrait que des mesures soient prises, parallèlement, pour que les autres religions renoncent à afficher ostensiblement leur présence sur le territoire suisse. Cela ne signifie pas détruire toutes les églises, ni même démolir leurs clochers, mais réfléchir en profondeur à la manière d’éviter, à l’avenir, tout traitement différencié en fonction du culte dont il est question.

Quant à l’argument de l’UDC, il me semble tout-à-fait insuffisant, dans la mesure où l’on peut difficilement soutenir que les minarets constituent en eux-mêmes une remise en cause des droits fondamentaux. Que certaines mosquées incarnent cette remise en cause ne fait aucun doute. Mais ce n’est pas en les empêchant d’être visibles qu’on remédiera au fond du problème qu’est le développement d’un islam radical en Europe et ailleurs.

Quid du « patrimoine », dans tout ça ?

Autant je peux entendre ceux qui invoquent le charme désuet des clochers d’églises, et même du son des cloches, autant je peux comprendre le sentiment d’injustice que ressentent certains musulmans confrontés au refus de les laisser ériger des minarets et entendre l’appel du muezzin – une hypothèse qui a été envisagée en Suisse comme une raison d’interdire la construction de minarets, cependant que les représentants musulmans assuraient que lesdits minarets resteraient purement décoratifs.

Décidément, dans cette affaire, la seule manière sensée d’aborder la question me paraît être celle du traitement égal dont doit jouir toute conviction religieuse. Il me paraît singulièrement irresponsable de prétendre priver les musulmans de droits qui ne sont pas contestés aux tenants des autres religions. C’est le meilleur moyen d’attiser les tensions, déjà vives. En revanche, il me paraît totalement illusoire de prétendre élargir, sans aucune limitation, les prérogatives dont jouissent par exemple les catholiques, à toutes les autres religions. Que ce soit en matière de visibilité des édifices religieux, de congés légaux ou d’enseignement, il faudra décidément que les politiques, en Suisse et ailleurs, s’attèlent à une réflexion approfondie sur la manière de promouvoir la coexistence pacifique des différents cultes, ce qui ne peut se faire qu’en les traitant de manière égale, mais aussi en restreignant les manifestations de leur présence dans l’espace public.

Et les minarets, dans tout ça, me direz-vous ? Eh bien franchement, je ne sais pas. Si la liberté de culte n’est pas bafouée par cette décision, il n’en reste pas moins que sa charge symbolique est importante. Et qu’il était peut-être maladroit de restreindre une question si fondamentale que celle de la place du religieux dans la société suisse à celle de la construction de minarets.