Depuis quelques années, une partie des sénateurs prend à contre pied l’image de cette assemblée parlementaire réputée conservatrice. Ainsi en juin 2008, un groupe de travail de la Commission des affaires sociales et de la Commission des lois du Sénat avait recommandé de lever l’interdiction de la gestation pour autrui.
Le 25 janvier, c’était la première fois qu’une proposition de loi relative à l’assistance médicalisée pour mourir était examinée au parlement en séance pleinière hors d’une niche parlementaire.
Et le texte présenté n’émanait pas d’un ou plusieurs sénateurs, mais de la Commission des affaires sociales, qui a voté à la majorité une proposition de loi synthétisant 3 propositions de sénateurs.
La démarche était donc suffisamment importante, suffisamment porteuse d’espoir pour ceux qui luttent pour pour le droit de mourir dans la dignité, pour que les lobby qui s’oposent à la liberté de disposer de son corps (donc les mêmes qui luttent contre le droit à l’IVG, la contraception, le mariage homosexuel, etc.) montent au créneau et déploient une intense activité en direction du gouvernement et des sénateurs.
Le résultat de ce lobbying est édifiant. La veille de l’examen de la proposition de loi en séance, le premier ministre publiait une tribune dans Le Monde pour s’opposer au texte et le ministre du travail de l’emploi et de la santé annonçait qu’il irait assister à la discussion au Sénat pour veiller à ce que le texte ne soit pas voté. Mais il y a mieux, la commission des affaires sociale, qui a rédigé et voté la proposition de loi, a adopté un amendement qui vidait le texte de sa substance le matin même de son examen en séance ! Il va sans dire que les téléphones des sénateurs ont du sonner souvent dans les 48h qui ont précédé la discussion du texte, qui a été retoqué à une heure avancée de la nuit.
Les réseaux qui se sont mobilisés sont sans surprise ceux de la droite catholique comme le parti chrétien démocrate de Boutin ou l’alliance pour les droits de la vie présidée par Xavier Mirabel, avec au programme lettres aux sénateurs, happening et pétitions.
Mais il ne faut pas réduire l’opposition d’autoriser une liberté individuelle plébiscitée par la population à la droite catholique. C’est en effet tous ceux qui estiment que les valeurs du christianisme doivent primer sur le droit qui forment une union sacrée pour faire pression sur les représentants du peuple. Il en est ainsi du collectif “plus digne la vie” créé il y a 2 ans pour faire du lobbying contre le droit de mourir dans la dignité au delà des clivages partisans. Son comité d’honneur comprend des personnalités aussi diverse que Elie Wiesel, Israël Nisand, Marcel Rufo, Augustin Legrand aux côtés de politiques de droite réactionnaires comme Jean-Frédéric Poisson, Pierre Mazeaud, Armand Jung, d’activistes anti-euthanasie comme Marie de Hennezel, mais aussi de personnalités impliqués dans les débats éthiques, y compris dans leur traduction législative, comme Didier Sicard (président d’honneur du Comité Consultatif National d’Ethique), Bernard Debré (député, membre de ce même comité), Jean Leonetti (député, rapporteur de la Commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi relatif à la bioéthique) ou Dominique Deroubaix (directeur de l’ARS PACA).
Le vote en conscience des représentants du peuple et l’expression de la volonté générale ne sont aujourd’hui plus de mise car les tenants de l’ordre moral, pourtant réduits comme une peau de chagrin, maintiennent par leur réseaux d’influence une chape de plomb sur les évolutions sociétales voulues par le peuple.
La gauche républicaine et laïque doit donc prendre conscience que les évolutions sociétales et leur traduction législative sont des combats qui méritent une implication et des efforts a la hauteur des enjeux et des moyens déployés par leurs opposants. Pour faire société et pour répondre aux aspirations du peuple, les libertés individuelles, notamment celle de disposer librement de son corps, font aussi partie des combats à mener.