Site icon ReSPUBLICA

« On a grèvé »

En collaboration avec l’association 0 de Conduite

Cinq mois après sa sortie, nous croyons important d’écrire (de revenir) sur ce film documentaire politico-social sur le statut des immigrés sous- traités par les tenants du néo-libéralisme et qui peu à peu, malgré le manque de soutien des associations cinématographiques « Art et Essais »  et « Recherche » trouve un public par la volonté des associations d’éducation populaire et syndicales et permet à la fois par sa forme et son contenu un large débat.

« On a grèvé » le film de Denis Gheerbrant raconte la lutte des femmes de chambre en grève dans les hôtels Campanile et Première classe du pont de Suresnes en 2014. Conflit qui portait, comme l’indique le document publié par la « CNT- solidarité ouvrière » sur les conditions de travail : le paiement de toutes les heures travaillées, le refus du paiement à la chambre, la charge de travail, les qualifications et les salaires. C’est tout le problème de cette sous-traitance, de ce travail à la tâche, qui vise, à diviser la communauté de travail que cette grève allait mettre en évidence.

Nous vivons avec intérêt ce conflit contre le non respect du code du travail mené conjointement par deux syndicats la CNT et la CGT dont l’union sera payante car « On a grèvé »  raconte l’histoire exemplaire d’une grève victorieuse.

L’intérêt du film est aussi dans la volonté du réalisateur qui va nous entraîner plus loin dans la rencontre avec chaque travailleuse. Sa présence quotidienne au coté des femmes en lutte va nous permettre de mieux les connaître, et passer avec elles de l’individualité, d’une sous-traitance pourvoyeuse de division, de désunion à cette unité ou un destin commun les solidarise..

Comme le fait remarquer dans un entretien Denis Gheerbrant qui filme cette grève du trottoir, le seul lieu possible face à l’hôtel, lieu assigné qui apparaît au réalisateur comme le seul juste parce que c’est le lieu occupé par les femmes en grève.: « Je ne cherche pas à donner la parole, parce que cela c’est encore un vieux mythe, mais à lever une parole, à créer l’espace qui lui permettra de se développer. »

Avec retenue, lenteur, sagesse, et pudeur le réalisateur nous fait découvrir tour à tour ces grévistes ; nous allons les côtoyer, connaître leurs difficultés, le métier astreignant de femmes de chambre, le rôle de l’encadrement, ces petits chefs confinés dans un rôle indigne de roquet et ce métier ; ce métier qui « lessive, essore, pressure » les femmes. Un travail où le mépris est en plus votre quotidien.

Ces rencontres qui se construisent entre le réalisateur et les femmes nous apprennent toute la souffrance dont elles sont victimes mais jamais une plainte ne s’élève face à ce monde qui les écrase. Propos illustré par l’image de cette femme seule, filmée en contrebas d’un building – hôtelier majestueux, luxueux, merveilleusement éclairé : opulence d’un lieu qui vous opprime, et représentatif d’un monde opaque. Les hôtels appartiennent au groupe Louvre Hôtels, financé par des fonds américains aujourd’hui racheté par des fonds chinois. Les femmes qui y travaillent sont d’origine africaine, quelques-unes maghrébines, certaines sont voilées, d’autres non. Les syndicats CGT et CNT ont préparé cette grève pendant un an et une caisse de grève permet de donner 40 € par jour leur permettant ainsi de tenir et ces femmes, hier objets, aujourd’hui sujets mènent la lutte en chantant.

La caméra de par son positionnement nous amène à nous interroger sur l’Autre et à le découvrir ? Elle participe de notre citoyenneté, elle ne plaque pas, elle n’arrange pas, elle est dans le regard du geste, du rapport au geste, au corps ? Notre connaissance est le produit de ses déplacements et des questionnements du réalisateur. Ce film est joyeux et nous fait entrer dans la force d’une grève qui casse les tabous et met sur le devant de la scène toute une culture du chant, de la danse, de la musique et aussi des calicots. Le champ cinématographique qui est celui de la grève et de la présence des femmes grévistes prend de plus en plus de force renouant avec une culture séculaire de la résistance ; ÇA SUFFIT, ON VA JUSQU’AU BOUT….

Elle est là, la République citoyenne.

On a grèvé
Film documentaire, France, 2014
Durée 70 mn.
Réalisation : Denis Gheerbrant
Production : Les Films d’Ici
Distribution : Zeugma films (01 43 87 00 54)

Quitter la version mobile