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On peut changer de paradigme sans combattre le capitalisme

L’article de Charles Arambourou débattu ici en porte témoignage. Il incarne un phénomène plus vaste décrit ci-après.
Depuis Marcuse jusqu’à Postone en passant notamment par Gorz, nous vivons la prolifération d’utopies entraînantes qui visent à faire oublier la nature profonde du capitalisme, à savoir que le capitalisme est d’abord et avant tout un mode de production dominant sous direction du capital (rapport social lui-même dirigé par l’oligarchie capitaliste) et qui demande un développement incessant du profit, y compris et surtout lors de ses crises récurrentes. Pour elles, ce n’est pas le capital, mais le travail qui est le fondement du capitalisme, et c’est donc le travail qu’il faut abolir. C’est donc autour du travail et non du capital qu’il faut développer les déconnexions.

Comme c’est la surconsommation qui crée la misère, il faut développer la sobriété ou la simplicité volontaire. Comme les injustices sont trop criantes, on propose de mutualiser les rapports sociaux sans changer les rapports de production capitalistes. Et ainsi de suite. Mais jamais ne sont ciblés le capital, la monnaie comme rapport social, les marchés, etc. (1)Pour des développements sur le capital, les marchés, la monnaie, il est toujours possible de se procurer « Néolibéralisme et crise de la dette » auprès de la Librairie militante. Toute velléité de contourner le capital sans l’affronter suscite beaucoup d’enthousiasme et d’espérance dans les couches moyennes radicalisées, ce qui alimente les futures déceptions lorsque le système lui-même se met à utiliser ces utopies pour renforcer la prégnance du capital sur la vie des salariés et des citoyens.

L’histoire de ces altercapitalismes s’écrit sous nos yeux. Sans doute faudra-t-il passer par divers processus de création, construction et déconstruction de ces utopies, pour in fine utiliser les idées intéressantes qu’elles contiennent, dans une nouvelle reconfiguration intégrée à une stratégie de l’évolution révolutionnaire contre le capital. Voilà pourquoi le texte prétexte ci-dessus et l’ensemble de ces utopies sont en dernière instance créatrices pour l’avenir !
Les idées de prééminence surplombante (une simple idée qui résout tout !) de type revenu universel, salaire universel, salaire maternel et domestique, etc., ne seront donc à terme que des moments intenses et utiles de débats intéressants couplés avec les luttes culturelles, sociales, économiques et politiques de la période. Ces utopies ont en commun le « tabou de la propriété », la question de la propriété des moyens de production étant pourtant, selon Jean Jaurès « le point lumineux où tous les vrais révolutionnaires se rallient« . La question devient alors pourquoi prolifèrent-elles ?
Ce foisonnement d’utopies qui occulte le point nodal du système apparaît à chaque grande crise, depuis Proudhon et Leroux jusqu’à Duboin dans les années 20-30, en passant par Silvio Gesell ou Major Douglas dans la Grande dépression de la fin du XIXe. Le fait que la crise du capitalisme apparaisse d’abord comme crise de débouchés, c’est-à-dire de manque d’argent pour acheter, fait à chaque fois naître l’idée d’injecter de l’argent dans le circuit, sous la forme de monnaie locale, de SEL, etc., ou de distribution « gratuite » de revenu. Cerise sur le gâteau, dans les années 60, la période glaciaire du communisme soviétique ouvre la période de la crise du marxisme lui-même et donc à la nécessité de critiquer les marxismes vulgaires sans l’aide et souvent contre les partis communistes eux-mêmes.
Toutes ces utopies ont toujours le même fondement théorique mais prennent des formes concrètes différentes selon l’état de la formation sociale, pour les unes en en restant au bouillonnement idéaliste sans suite, pour les autres en débouchant sur des pratiques nouvelles concrètes, mais sans jamais atteindre le cœur du système qui se ressource en digérant la nouveauté. Si on ajoute le sexisme devenu insoutenable des couches dirigeantes et du système lui-même et enfin, les dégâts du capitalisme productiviste qui mettent en lumière le besoin d’une pensée enfin écologique, on voit bien que la typologie des utopies devient infinie !

La centralité structurante du marxisme vulgaire de la période précédente a pu être exorcisée grâce aux « cents fleurs » des pensées utopiques. Sans doute aurait-il été préférable de ne pas « jeter le bébé avec l’eau du bain », mais l’histoire pullule de reculs et d’avancées qui permettent in fine la production d’une nouvelle théorie révolutionnaire opérante et propulsive. Nous sommes dans ce processus.
Dans ce processus, nous devons éclaircir un point. Un mode de production n’est pas une réalité concrète. La réalité concrète est une formation sociale, soit une articulation de modes de production différents mais avec un mode de production dominant qui surdétermine ladite formation sociale. Ainsi une formation sociale est dite capitaliste quand le mode de production dominant est le mode de production capitaliste. Mais au sein d’une formation sociale capitaliste, il peut y avoir des modes de production dominés ou marginaux qui relèvent d’une époque pré-capitaliste ou des éléments qui peuvent servir de base d’appui par ses principes constitutifs à une formation sociale ultérieure au capitalisme. Ceci est fondamental. Prenons un exemple. La création de la Sécurité sociale (2)Pour des développements sur la santé et la Sécurité sociale, il est toujours possible de se procurer « Contre les prédateurs de la santé » ou encore « Pour en finir avec le trou de la Sécu, repenser la protection sociale au XXIe siècle>» auprès de la Librairie militante par l’émanation du Conseil national de la Résistance. Si le programme du CNR (qui est le programme le plus avancé de notre histoire !) définit un altercapitalisme rendu possible par la destruction massive de capital due à la guerre, la création de la Sécurité sociale a un statut différent du reste du programme à savoir que c’est un élément dont les principes préfigurent une formation sociale ultérieure au capitalisme. Par trois positions révolutionnaires lorsqu’on les lie toutes les trois : sa gestion sera réalisée, non par le privé ni par l’Etat, mais par des assurés sociaux élus dans un scrutin ad hoc, le principe de solidarité autour d’un nouveau champ du droit social remplacera l’alliance du privé lucratif et de la charité institutionnalisée émanant de la doctrine sociale de l’Église, et enfin son financement par la cotisation avec augmentation régulière de son taux (qui permettra son autonomie relative par rapport à l’État – lui se finançant par l’impôt) qui socialisera, dès la création de richesse, une part du surplus naguère dévolu au profit (3)On peut considérer que la Sécu de 1945 par son financement par la cotisation n’est qu’un mode de socialisation du salaire parmi d’autres (il y a aussi l’impôt). Mais la conjonction des trois principes évoqués dans l’article fait de la Sécurité sociale une institution qui dépasse une simple institution de socialisation du salaire. Elle sera donc une base d’appui pour engager, lorsque le moment sera propice, un processus de transition vers une formation sociale post-capitaliste.. Son évolution ultérieure a montré, après quelques décennies, comment l’alliance de l’oligarchie capitaliste et de la construction ordolibérale de l’Union européenne est venue à bout de ces trois principes révolutionnaires. Il faudra donc se remettre à l’ouvrage !
Cela dit, comme toute révolution véritable n’advient que dans certaines circonstances par la conjonction d’une crise globale grave et profonde, d’une théorie révolutionnaire à promouvoir et d’une alliance de classes susceptibles de mobiliser le peuple et de remplacer l’oligarchie précédente, nous proposons trois types d’actions indispensables et concomitantes :

  1. résister principalement par l’action du mouvement syndical revendicatif,
  2. travailler à réaliser les conditions de la transformation culturelle, sociale, économique, écologique et politique en vue de promouvoir une formation sociale post-capitaliste,
  3. promouvoir des projets qui peuvent, dans une formation sociale capitaliste, être des éléments de préfiguration d’une formation sociale post-capitaliste. Par exemple, une nouvelle sécurité sociale étendue sur des principes révolutionnaires à la sécurité économique, une socialisation progressive des entreprises, etc. Ces projets s’incarnent dans la stratégie jaurésienne de l’évolution révolutionnaire (4)Pour des développements sur les principes de préfiguration d’une formation sociale post-capitaliste, il est toujours possible de se procurer les deux tomes de « Penser la République sociale pour le XXIe siècle» auprès de la Librairie militante.

 

Notes de bas de page[+]

Notes de bas de page
1 Pour des développements sur le capital, les marchés, la monnaie, il est toujours possible de se procurer « Néolibéralisme et crise de la dette » auprès de la Librairie militante
2 Pour des développements sur la santé et la Sécurité sociale, il est toujours possible de se procurer « Contre les prédateurs de la santé » ou encore « Pour en finir avec le trou de la Sécu, repenser la protection sociale au XXIe siècle>» auprès de la Librairie militante
3 On peut considérer que la Sécu de 1945 par son financement par la cotisation n’est qu’un mode de socialisation du salaire parmi d’autres (il y a aussi l’impôt). Mais la conjonction des trois principes évoqués dans l’article fait de la Sécurité sociale une institution qui dépasse une simple institution de socialisation du salaire. Elle sera donc une base d’appui pour engager, lorsque le moment sera propice, un processus de transition vers une formation sociale post-capitaliste.
4 Pour des développements sur les principes de préfiguration d’une formation sociale post-capitaliste, il est toujours possible de se procurer les deux tomes de « Penser la République sociale pour le XXIe siècle» auprès de la Librairie militante
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