Comme nous l’avons déjà écrit, les débats sur la bioéthique, le mariage pour tous, l’adoption ou la recherche médicale sont l’axe central de l’offensive de l’ordre moral dont le quartier général est la direction de l’Eglise catholique. Non par nature, mais parce qu’elle est tenue de main de fer par l’Opus dei et ses alliés, c’est-à-dire par l’extrême droite catholique. La stratégie de la direction catholique, largement secouée par le mouvement planétaire de sécularisation, est de constituer sur ces sujets des bases d’appui politiques pour renforcer son alliance avec les forces néolibérales, alliance constitutive de la phase actuelle du capitalisme.
Dans ce cadre, et nous ne l’écrirons jamais assez, l’influence de l’extrême droite catholique est en passe de devenir hégémonique dans la droite, mais déstabilise aussi la gauche social-libérale, la gauche de la gauche et même la gauche de gauche en constitution. Cela est dû en grande partie au fait que toutes les forces de gauche en question ont négligé depuis longtemps le combat laïque et entretenu la confusion avec les locutions de propagande (1)laïcité « ouverte », « plurielle », « laïcité 2000 », laïcité « positive » et récemment « de reconnaissance ». Des slogans largement administrés par la droite sarkozyste mais aussi par les dirigeants de la Ligue de l’enseignement ou de la Ligue des droits de l’homme et de leurs alliés.
Cela a eu pour conséquence que certains, allant jusqu’au bout de la révision théorique, ont troqué la lutte des classes contre une lutte des pauvres contre les riches, cette dernière position n’étant rien d’autre que la thèse de la doctrine sociale de l’Eglise pour que tout change sans rien changer des fondamentaux du capitalisme. Il va sans dire que, pour nous, le maître mot est la globalisation des combats sans que l’un des combats assure une prééminence surplombante sur les autres. Pour nous, la nécessité de lutter pour les ruptures culturelle, démocratique, laïque, sociale, écologique et économique est la base de notre ligne stratégique. Si nous insistons sur le combat laïque aujourd’hui, c’est simplement que l’actualité met en lumière les déficiences de la gauche en ce domaine.
Notre ligne stratégique étant rappelée, voyons où on en est dans le débat sociétal aujourd’hui. D’abord, il y a ceux qui veulent éviter ce débat sur le thème « Il y a plus important que cela, concentrons -nous sur l’important ». Ces personnes font une erreur d’analyse tant sur le fond (aspiration des citoyens, y compris des couches populaires, à l’émancipation et à la conscientisation) que sur la stratégie (l’alliance qui dirige la politique mondiale est une alliance entre les forces néolibérales et les forces communautaristes et intégristes).
Puis, il y a ceux qui disent « Oui au mariage pour tous y compris l’adoption, mais non à la PMA ». Ces personnes sont souvent mues par le refus de la confrontation et recherchent à tout moment le consensus. Nous appelons cette idéologie, extrémisme de l’extrême centre. Ils n’ont pas compris que dans une confrontation globale la succession des petits renoncements ouvre la voie aux grandes trahisons.
Mais il y a aussi ceux qui proposent une évolution à condition que ce soit la dernière. Comme si l’idée d’une dernière avancée avant un blocage conservateur pouvait exister dans un processus d’émancipation et de conscientisation ! La vie c’est, comme disent les Anglais, step by step (marche après marche).
Tout cela pour dire que nous soutenons la bataille du « mariage pour tous » et la mobilisation de la manifestation du 27 janvier sans aucune arrière-pensée. Mais qu’il faut agir dans la bataille du jour tout en préparant la suivante…
La procréation médicalement assistée (PMA)
Et justement, le professeur René Frydman, dans une tribune du Monde du 19 et dans une interview au Journal du dimanche du 20 janvier, demande un plan PMA et souhaite que François Hollande en fasse une grande cause nationale. Celui qui fut en tant que gynécologue-obstétricien le père du premier bébé-éprouvette français, et ancien membre du Comité consultatif national d’éthique, pose le débat.
Et c’est un débat qu’il faut ouvrir dans sa globalité, sans se contenter de faire du « juridico-juridique » asséchant qui ne permet pas le travail politique de l’éducation populaire. Comme s’il suffisait de la loi de 1975 permettant l’IVG et de la gratuité de l’acte pour les patientes pour que la situation soit bonne. C’est alors oublier que la fermeture des centres IVG empêche les femmes de bénéficier de cette loi.
René Frydman commence par montrer que la situation actuelle est dramatique. « Comment répondre à de nouvelles demandes sociétales – celles des couples d’homosexuelles par exemple – alors qu’on offre des solutions imparfaites aux demandes de PMA pour raisons médicales », déclare-t-il au JDD. Comme il l’avait dit en octobre 2012 , « les résultats [en France] ne sont pas à la hauteur de certains centres internationaux. Seule une femme sur cinq va accoucher après avoir bénéficié d’un prélèvement d’ovocytes en vue d’une PMA », écrit-il dans sa tribune du Monde. Or, la demande est en constante augmentation : 15 % des couples en âge de procréer consultent pour infertilité. Le nombre de PMA en France va atteindre 70 000 tentatives par an. Il met en avant le fait que « près de 8 000 femmes françaises qui peuvent se le permettre passent les frontières pour bénéficier d’un don d’ovocytes impossible à réaliser dans notre pays » et déplore que des familles transmettrices de maladies génétiques graves et incurables attendent près de deux ans en région parisienne pour avoir accès à la PMA pour diagnostic pré-implantatoire (DPI) afin d’éviter que leur enfant soit atteint. Beaucoup se découragent et tentent une grossesse spontanée. Et son estocade : « Est-ce de la bonne médecine que de limiter à quatre centres hospitaliers pour tout notre pays cette activité encadrée depuis 12 ans ? ».
Suivent de nombreuses propositions soumises au débat. Il déclare que la recherche fondamentale sur l’embryon doit être libre et encadrée et que donc tous les freins juridiques doivent être supprimés pour aboutir à une législation libre et éthiquement encadrée. Il souhaite que les hôpitaux français rejoignent sur ce domaine l’excellence des meilleurs centres internationaux. Il appelle à une politique de meilleure information aux femmes tant sur la PMA que sur leur connaissance de leur horloge biologique ovarienne, ainsi que sur les effets délétères du tabac, de la malnutrition et du stress ou encore sur la « péri-conceptologie ». La péri-conceptologie (la périnatalité à son tout début) sous tous ses aspects (information, prévention, excellence, recherche) permettrait à notre société « de s’adapter à son évolution et au développement de la recherche scientifique, dans un cadre éthique qui garderait comme principe fondamental la non-commercialisation du corps humain ». Il propose de dépister le statut de fertilité lié à l’âge à partir de 33 ans afin de prévenir les femmes pour qu’elles reconsidèrent leur projet de vie ou même qu’elles conservent leurs propres ovules si elles ne peuvent avoir un enfant avant 35 ans, en autorisant la congélation d’ovules de femmes jeunes, et pas seulement au motif d’un cancer ou d’un traitement potentiellement dangereux pour la fertilité.
L’accès aux origines
Par ailleurs, sur l’accès aux origines dans le cas où la société évoluerait vers l’ouverture de la PMA aux femmes célibataires et aux couples de femmes, le Pr Frydman pose la question : « Ne serait-il pas souhaitable que l’enfant puisse avoir accès à ses origines et que celles-ci ne lui soient pas gommées, puisqu’il n’aura pas d’autres référents masculins ? ». Il estime alors qu’il faudrait évaluer l’impact de ces mesures sur le délai d’attente, déjà de 12 mois, et sur le recrutement de nouveaux donneurs non anonymes.
Il existe une solution d’évaluation utilisée par la loi de 1975 autorisant l’IVG , qui n’avait été votée que pour 5 ans pour permettre son évaluation. Nous pourrions alors, sur ce sujet, demander pareillement que l’ouverture de la PMA ne soit autorisée que sur 5 ans, pour permettre l’évaluation de la loi. Reste le délai à partir duquel l’accès aux origines serait autorisé.
Puisqu’il faut lancer le débat, nous proposons que l’accès ne soit autorisé à l’enfant qu’à sa majorité. Cela aurait l’avantage de garantir l’anonymat pendant 18 ans. Ce fut la position de nombreuses organisations qui demandèrent au gouvernement Jospin une modification de la loi sur l’accouchement sous X. A l’époque, ces organisations proposaient que le dossier de l’accouchée sous X soit conservé (ce qui fut réalisé avec la création du CNAOP), que l’État assure un suivi de l’accouchée sous X sur le plan social et psychologique (ce qui ne fut pas voté) et la levée de l’anonymat à la majorité de l’enfant (non votée). Nous reprenons cette idée de maintenir l’anonymat durant la minorité de l’enfant, ce qui devrait rassurer les accouchées sous X et les donneurs de sperme.
Pour information, voici des données peu reprises par les médias. Depuis 2002, 4 916 demandes d’accès aux origines ont été enregistrées par le CNAOP. 4 274 ont été traitées :
- 33 % ont abouti à la communication de l’identité de la mère de naissance (12 % avec le consentement de la mère, 11 % car elle était décédée, 10 % parce qu’il n’y avait en fait pas de secret),
- 45 % des dossiers n’ont pu donner lieu à la communication de l’identité de la mère (impossibilité de l’identifier ou de la localiser),
- 14 % ont rencontré un refus de communication de l’identité.
Nous espérons par cet article permettre à nos lecteurs d’engager le débat dans de bonnes conditions en dehors des anathèmes des grands prêtres sécularisés qu’on peut trouver dans toutes les organisations politiques, syndicales et associatives et qui empoisonnent le débat par des formules dégradantes et à la limite injurieuses pour ceux qui souhaitent un débat ouvert.
Notes de bas de page
↑1 | laïcité « ouverte », « plurielle », « laïcité 2000 », laïcité « positive » et récemment « de reconnaissance ». |
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