Le 10 février dernier, Jean-Luc Mélenchon propose sa candidature. Depuis, le débat fait rage autour de cette proposition. Nous proposons aujourd’hui, d’abord d’analyser le réel, puis de mieux comprendre les analyses des protagonistes de ce débat, et enfin, à partir des conditions du soutien populaire, de situer la place de la présidentielle dans le combat général pour l’émancipation.
Quel est le réel populaire aujourd’hui ?
60 % des ouvriers et des employés s’abstiennent, ce qui empêche tout rassemblement populaire propulsif. Dans la minorité qui vote, le FN est largement en tête. La gauche de la gauche est bonne dernière. Normal, elle est en en voie de décomposition avancée après avoir perdu en quelques années, une bonne partie des voix qui se sont portées sur le candidat Jean-Luc Mélenchon à la présidentielle de 2012. Depuis, le fossé s’est creusé entre cette gauche de la gauche et le peuple. D’abord, parce que les discours, les pratiques et la stratégie de la gauche de la gauche sont plus en phase avec les demandes des couches moyennes radicalisées qu’avec celles des intérêts des ouvriers et des employés. Dommage, les ouvriers et les employés représentent objectivement 53 % de la population et les couches moyennes salariés seulement 39 % (24 % pour les couches intermédiaires et 15 % pour les couches moyennes supérieures).
Par ailleurs, la gauche de la gauche s’est largement vautrée dans le sillage d’une politique visant tout au plus à un gauchissement du communautarisme anglo-saxon contre le principe d’organisation sociale de la République sociale qu’est la laïcité.
Dommage, sans ce principe, dans un pays développé, pas d’unité du prolétariat et du peuple tout entier, comme Jean Jaurès l’avait longuement expliqué. Au lieu d’un anti-racisme radical doublé de la promotion d’un principe d’organisation sociale (la laïcité est surtout cela), la multiplication des pratiques suivistes par rapport aux forces communautaristes et intégristes (y compris des proches de la Confrérie des frères musulmans) a élargi le fossé avec le peuple et ses couches populaires. Pour nous, en France, la constitution d’un peuple mobilisé ne s’est historiquement faite qu’autour d’un projet commun avalisé par le peuple avec des constantes de liberté, d’égalité, de fraternité, de laïcité, de démocratie, de solidarité, de souveraineté populaire, d’universalité, de sûreté (avec aujourd’hui l’ajout du développement écologique et social). Force est de constater que parmi ces principes, nombreux sont ceux qui ont été écartés par la gauche de la gauche. Au moment où, depuis 1983, chaque gouvernement a fait pire que le précédent notamment en ce qui concerne les politiques économiques et sociales, où ce gouvernement s’apprête à proposer la pire régression en matière du droit du travail (lire dans ce numéro l’article de Z. Ramdane) et à intensifier la politique d’austérité visant à baisser la masse relative des salaires, la gauche de la gauche n’est pas à la hauteur des enjeux.
Pire, comme les mêmes causes produiront les mêmes effets, la reconstitution d’une nouvelle bulle financière progresse vers son éclatement, ce qui va accroître les difficultés sociales et économiques, et pousser l’oligarchie financière à accroître de nouveau sa politique d’austérité tout simplement parce que le capitalisme n’a plus de marges de manœuvre pour relancer son taux de profit dans l’économie réelle. Pas d’innovation technologique capable de faire monter la taux de profit de l’ensemble de l’économie, l’intensification du travail en est déjà à un niveau jamais atteint (suicides, nouvelles maladies, etc.), le niveau des armements empêche une destruction massive de capital par une guerre dans les pays développés, etc.
De plus en plus, le débat se pose ainsi: « ne faut-il pas changer de système économique et politique pour vivre mieux ? ». Donc exit les « rustines » et les simplifications surplombantes abusives.
En dernier lieu, les tergiversations de la direction du Parti communiste quant à sa stratégie désarçonnent les travailleurs. Non contente d’avoir plombé la gauche de la gauche avec des alliances ici et là avec le parti néolibéral solférinien au premier tour des élections, la voici qui tente de légitimer la primaire voulue par les néolibéraux.
Les protagonistes du débat sur la présidentielle de 2017
Le FN, dont pour l’instant tous les sondages disent qu’il sera au deuxième tour de la présidentielle, est en train de se recentrer pour montrer au Medef sa capacité à élargir sa base électorale, conformément au rôle classique des extrêmes droites dans les crises profondes. Toutes choses étant inégales par ailleurs, intéressons-nous aux années 30 par exemple.
La droite néolibérale, pour être présente au deuxième tour de la présidentielle, joue actuellement l’alliance LR-UDI et Modem de façon à fermer le champ possible de la gauche néolibérale solférinienne.
Le parti solférinien néolibéral a tenté de jouer l’unité nationale pour apparaître comme le meilleur candidat pour être au deuxième tour de la présidentielle. Ce pari semble perdu, sauf si une nouvelle crise paroxystique économique ou politique rebat de nouveau les cartes.
Les responsables des frondeurs, du PC et des petites formations du cartel du Front de gauche n’ont pas trouvé mieux que de proposer de discuter sans but (on croit revenir aux comités anti-libéraux de triste mémoire) et de ressortir l’idée d’une primaire large à gauche avec l’idée que tous les participants devront soutenir celui qui arrivera en tête ! Et ils appellent tout le monde à venir dans ce « travail collectif ». On fait croire qu’il y a quelque chose de commun entre la politique du gouvernement néolibéral solférinien et une future gauche de gauche qui veut renverser la table ? On ne dit pas quel sera le socle commun à tous les participants ? Et bien sûr pas un mot sur la stratégie alors que l’on a vu, dans toutes les élections municipale et régionale, les stratégies contradictoires de certains protagonistes. Par exemple, certains communistes s’allier dès le premier tour avec les néolibéraux solfériniens alors que d’autres communistes faisaient des listes Front de gauche. On peut tromper son monde une fois, deux fois, trois fois mais pas tout le temps, voilà ce que dit l’adage populaire.
Ne nous contentons pas d’une campagne électorale traditionnelle
Pour engager la bataille de l’émancipation, comptons d’abord sur la résistance du mouvement syndical revendicatif, sans quoi rien n’est possible, tout simplement parce que ce syndicalisme est le seul à pouvoir effectuer la double besogne : mener la lutte revendicative et tracer le chemin de l’émancipation.
Peut-être le seul choix, se disent déjà certains de nous, sera-t-il l’an prochain entre la candidature de Jean-Luc Mélenchon et l’abstention. Or nous avons vu au fil des derniers scrutins que si l’abstention a bien une signification politique, elle n’entraîne aucune sortie de la crise économique et politique.
D’autres sont enclins à attendre des mois que le cartel de la primaire discute dans son entre soi du sexe de ladite primaire.
Pour nous, il n’y a pas à attendre et il n’y a pas à s’abstenir de la préparation de cette présidentielle ; nous ne devons pas laisser notre appréciation de la personne de Mélenchon ou de tel ou tel élément supposé de programme nous conduire sur l’Aventin du scepticisme et de l’inaction.
Sans présence politique à l’élection, aucune bataille pour le pouvoir n’est possible. Nous avons besoin d’une présence politique avec une stratégie ouvertement autonome du pouvoir solférinien et nous avons besoin d’une séquence longue pour la mener en profondeur.
Si ReSPUBLICA a salué la création du Parti de Gauche et globalement soutenu le Front de Gauche, en leur temps, mais sans se priver de contredire certaines de leurs analyses, le journal se doit de maintenir cette option de soutien critique en l’adaptant à la situation du moment, en totale indépendance et en liaison avec l’éducation populaire.
Car la bataille pour l’émancipation et l’hégémonie culturelle exige aujourd’hui de multiplier les initiatives d’éducation populaire en même temps ou à côté de la campagne électorale ou des luttes syndicales. L’éducation populaire, ce sont des pratiques et des discours à appliquer dans le peuple, avec le peuple et pour le peuple et les partis politiques l’ont négligée dans la période récente. C’est très différent d’une campagne électorale traditionnelle avec uniquement des grands meetings.
Voilà pourquoi nous lançons un appel à multiplier les initiatives d’éducation populaire et pas seulement à faire une campagne électorale traditionnelle. Parce que ses responsables sont eux-mêmes présents en tant qu’acteurs de l’éducation populaire en association avec le REP ou parce qu’ils élaborent des positions théoriques utiles à ces mêmes acteurs, ReSPUBLICA souhaite travailler avec les comités locaux de soutien à la candidature de Jean-Luc Mélenchon comme avec les acteurs du mouvement syndical revendicatif.
Nous pourrons alors critiquer les diplomaties française et étasunienne qui semblent s’allier en Syrie avec le Front Al-nosra qui, affilié à Al Qaïda, dirige la rébellion contre Assad, alors que nous développons l’idée qu’il faut combattre en même temps Daesh et Al Qaïda avec les forces kurdes qui sont les seules aujourd’hui à être à fond dans ce combat. Nous pourrons alors dire que les attentats ne sont pas la réponse au fait que nous bombardons les positions des djihadistes, mais bien que les djihadistes et leurs alliés islamistes développent un projet contradictoire à notre objectif d’émancipation, dans le monde entier y compris dans le nôtre. D’autant qu’une partie des alliés des forces néolibérales (la Turquie qui bombarde les kurdes, le Qatar et l’Arabie saoudite avec leurs financements, le soutien à la rébellion syrienne qui est malheureusement dirigé par Al Qaïda) joue double jeu.
Nous pourrons critiquer le gouvernement solférinien néolibéral (soutenu par la droite néolibérale sans laquelle il ne pourra bientôt plus passer une seule loi contre les conquêtes sociales des travailleurs) avec la vigueur nécessaire et sans le ménager en vue d’un accord électoral futur : critiquer le durcissement des politiques d’austérité, la tentative de criminalisation de l’action syndicale (nous n’oublierons pas que le procureur d’Amiens a suivi le ministère de la Justice, et donc le gouvernement, en portant la seule plainte existante à ce jour contre les Goodyear, qui a entraîné une condamnation à 9 mois de prison en première instance).
Nous pourrons alors développer l’idée d’une nécessaire rupture sur les plans démocratique (y compris dans l’entreprise), laïque, social, féministe et écologique… Développer l’idée de rupture avec la formation sociale capitaliste et donc avec l’UE, les traités, l’euro, mais dans le cadre du processus que nous appelons de nos vœux : la République sociale.
Hasta la victoria siempre !