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Pour lutter contre l’intégrisme, faut-il commencer par baisser les bras ?

Réponse à l’article de Farhad Khorsokhavar « Ce que la burqa nous voile » (Le Monde 1er août 09)

Pendant la suspension estivale des travaux de la Commission d’information parlementaire sur le port de la burqa, une campagne « progressiste » de soutien à l’intégrisme islamiste commence à se répandre dans la presse. Après avoir minimisé le nombre de burqas en France (on s’alarme pour si peu !), elle a trouvé en l’article de Farhad Khorsokhavar « Ce que la burqa nous voile » un argument que les connaisseurs en dialectique apprécieront : l’antidote contre la burqa serait la banalisation et l’approbation du port du voile !

Une « loi sur la burqa » est-elle pensable ?

La campagne pro-burqa qui se déploie cet été se contentait jusqu’à présent de recourir à la minimisation. A quoi bon s’alarmer pour « 367 » burqas  (1)Voir notamment l’éditorial du Monde « La loi et la burqa » 29 juillet 2009. ? A supposer que le port du voile intégral soit marginal (ce qui reste à prouver autrement qu’en sortant un chiffre du chapeau des RG) on en reste pantois : est-ce sur le nombre que le législateur doit décider de l’illégalité ? A ce compte, il faudrait abolir bien des délits ou infractions au motif de leur rareté. D’ailleurs, si les chiffres étaient à l’opposé de ceux qu’on nous sert, la conclusion n’aurait pas manqué d’être la même : si des dizaines de milliers de masques étaient portés sur la voie publique, une loi qui les interdirait serait présentée comme contraire aux moeurs établies, impopulaire et inutile.

Cette piètre argumentation vient d’être surclassée par Farhad Khosrokhavar dans un texte publié par Le Monde le 31 juillet (daté du 1er août) sous le titre « Ce que la loi sur la burqa nous voile ». En parlant de « loi sur la burqa », le titre est déjà savoureux. L’auteur sait bien qu’il n’y a aucune loi sur la burqa, et qu’il ne saurait y en avoir. La loi est générale et si la burqa venait à être interdite, ce ne pourrait être qu’en vertu d’une disposition qui ne la vise pas en particulier – par exemple l’interdiction du port du masque sur la voie publique vaudrait aussi pour une cagoule type KKK. Mais peu importe, surtout dans un titre, de choisir le mot vrai : il faut choisir le mot accusateur, celui qui a déjà décidé que le législateur a des intentions « islamophobes ».

Lamentation moralisatrice sur le succès de la loi de 2004

Cependant, la première phrase du texte revient au réel : « La loi sur les insignes religieux de 2004 a établi la paix dans l’école publique ». On a bien lu, la loi de 2004 est un succès. Ce succès juridique ne peut être que moralement suspect : « elle a totalement délégitimé le foulard dans tout l’espace public, y compris dans la rue », regrette l’auteur. On lui répondra que c’est faux, l’issue du procès Truchelut l’a amplement montré : le port de signes religieux est licite dans l’espace civil et n’est interdit que dans les espaces participant de l’autorité publique. Farhad Khosrokhavar ne l’ignore pas, et il précise sa pensée en invoquant la différence entre légitimité et légalité : légal certes, le port du voile souffre cependant d’un discrédit social diffus, c’est ainsi qu’il fallait comprendre le terme de « délégitimation ».

Traduisons cette pleurnicherie moralisatrice en termes vulgaires : le voile porté dans la rue se fait parfois regarder de travers, et ce n’est pas bien. Il ne suffit pas à Farhad Khosrokhavar que le port du voile soit légal dans l’espace civil : il faudrait encore qu’il soit valorisé. Il ne lui suffit pas que la loi autorise une chose en ne l’interdisant pas : il faudrait encore que cette autorisation soit expressément l’objet d’un discours approbateur, il faudrait encore que la population, incitée par un discours public bienpensant, encense ce qui est autorisé. On est en plein ordre moral.

Sous la lamentation, l’analyse politique me semble juste. L’un des effets de la loi de 2004 a été, au-delà de son strict champ d’application, de stopper la banalisation du port du voile et de transformer celles qui le portent en militantes d’une pratique particulière de l’islam. Que les musulmanes ne portant pas le voile puissent être perçues comme majoritaires, banales, ordinaires, que les « grands frères » qui les accusent de légèreté soient à leur tour montrés du doigt, voilà effectivement une « délégitimation » déplaisante pour ceux qui approuvent le port du voile et qui veulent le re-banaliser en le présentant comme norme. Farhad Khosrokhavar ne se prive pas du plaisir de rappeler que, dans cette approbation et ce voeu de normalisation, il est en bonne compagnie : le président Obama, qui a pris une femme voilée comme conseillère, n’a-t-il pas compris, lui, que le voile est un phénomène religieux strictement individuel et nullement communautaire, encore moins fondamentaliste ? – il faut vraiment avoir mauvais esprit pour croire autre chose, et pour refuser de « bâtir un foulard républicain » (sic), un foulard « transformé » qui serait « affirmation de soi plutôt que soumission au patriarcat » (re-sic)!

La fuite des cerveaux voilés et l’appel à une laïcité submersible

Vient alors la plainte sur la fuite des cerveaux et des compétences. On ne sait pas ce qu’on perd en poussant hors de France « beaucoup de femmes portant le voile », parce qu’on rend « leur vie religieuse et professionnelle infernale » (on se demande par quelles persécutions). L’auteur nous apprend que ces exilées sont les plus intelligentes, les plus diplômées et les plus riches. Dire de celles qui sont toujours en France qu’elles sont de pauvres idiotes serait injurieux, aussi Farhad Khosrokhavar use d’une circonlocution plus élégante : « Celles qui sont restées l’ont fait par manque de ressources intellectuelles ou économiques ».

Il poursuit sa lamentation : si seulement on pouvait reconnaître les mérites d’intellectuels « ambivalents » qui, comme Tariq Ramadan, savent concilier la carpe et le lapin, le fondamentalisme et l’anti-intégrisme ! Mais non, en France les musulmans en sont réduits à être soit fondamentalistes soit républicains ! Cela nous empêche de voir que la laïcité pourrait « être la figure de proue » d’un « nouveau système de valeurs » pourvu qu’elle accepte, bien entendu, de voir l’islam de l’intérieur.

Cela me fait voir en revanche clairement que Farhad Khosrokhavar est bien plus innovant qu’un militant de la « laïcité nouvelle » ou « plurielle » ou « positive » : il propose la laïcité noyée par une vision intériorisée des religions, figure de proue submersible sous un océan religeux « modernisé ». [ Haut de la page ]

Le voile, antidote contre la burqa : la maxime munichoise de la résistance molle à l’intégrisme et ses variations

Ceci n’est rien à côté de l’argument principal qui irrigue constamment l’article : pour lutter contre la burqa, rien ne vaut le port du voile. Au fil du texte, le raisonnement s’affine en une forme qui serait comique si elle n’était pas effarante : pour lutter contre le port de la burqa, il faut le tolérer, car l’interdire serait un signe d’arrogance franchouillarde. Superbe dialectique qui, à défaut de validité logique et de portée politique, s’offre sous des aspects variés.

Première variation, c’est l’invention d’un personnage rassurant : la femme voilée médiatrice auprès de la femme en burqa. On la retrouve un peu plus loin, déguisée en militaire résistant : « bastion contre ce type de religiosité sectaire ». L’auteur ne doute pas que la première puisse convaincre la seconde de quitter son masque et sa prison volontaires. Le raisonnement inverse n’est jamais évoqué : que la burqa puisse séduire des voilées en quête de pureté abnégatrice et de radicalité, que la banalisation du voile puisse « légitimer » l’extension de phénomènes de plus en plus sectaires, cela est exclu… et cela ne s’est jamais vu – j’ose à peine citer le contre-exemple des pays qui ont misé sur cette stratégie communautaire en laissant se développer une contagion réputée devoir s’éteindre d’elle-même. On ose à peine rappeler à Farhad Khosrokhavar que, effrayés par les effets de cette politique de laisser-aller, certains n’ont pas hésité récemment aux Pays-Bas à se tourner vers l’extrême-droite ; on préférerait qu’ils se tournent vers une solution de laïcité franchouillarde et arrogante.

Seconde variation, c’est une figure politique connue : la complicité des extrêmes. La « version dure de la laïcité » rend l’hyper-fondamentalisme plus attractif, prétend l’auteur. On aimerait savoir ce qu’il entend par laïcité « dure » et on voudrait rappeler encore une fois l’issue du procès Truchelut : la laïcité ne s’oppose pas aux manifestations religieuses dans la société civile. En revanche on comprend très bien qu’il propose une laïcité molle, douce pour l’intégrisme islamiste qu’il faut toujours commencer par accueillir sans broncher en attendant qu’il disparaisse de lui-même, aidé en cela par la bienfaisante action des médiatrices voilées. Méthode suivie avec le succès que l’on sait notamment par le Royaume-Uni et les Pays-Bas ; méthode testée pendant 15 ans en France pour le port des signes religieux à l’école publique approuvé par Lionel Jospin en 1989, au point qu’il a fallu voter une loi en 2004 pour en stopper la prolifération.

On comprend finalement très bien que, en proposant l’extension et l’approbation du voile comme antidote contre la burqa, Farhad Khosrokhavar révèle la troisième variation de son argumentation, ou plutôt sa forme fondamentale : c’est que pour lutter contre l’intégrisme religieux à visée politique hégémonique, il faut l’accepter avec bienveillance et en faciliter la propagation. On rappellera la maxime générale, de type munichois, de cette désastreuse stratégie : pour lutter contre un fascisme, il faut commencer par le méconnaître et par baisser les bras – toute forme directe de résistance relevant ici de l’arrogance franchouillarde.

© Catherine Kintzler, 2009

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Notes de bas de page
1 Voir notamment l’éditorial du Monde « La loi et la burqa » 29 juillet 2009.
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