La sortie de la période dite « des Trente Glorieuses » s’est effectuée dans une crise sans précédent. Dès les années 70, le capitalisme n’est plus capable d’assurer aux capitalistes un fort taux de profit et une accumulation du capital conforme à son essence. Cela a pour conséquence que l’on ne peut plus penser une alternative dans le capitalisme avec des recettes néo-keynésiennes, comme celles proposées par les stars atterrées et atterrantes de l’Autre gauche.
De plus, le niveau atteint par l’armement n’autorise plus une troisième guerre mondiale permettant (entre autres) une destruction massive de capital et donc la reprise de son accumulation, comme ce fut le cas avec la Deuxième Guerre mondiale, fermant ainsi la séquence ouverte par la crise de 1929-1931 (crise des crédits hypothécaires, bloc-or, crise des débouchés) qu’aucun gouvernement des années 30 n’avait réussi à juguler, à supposer qu’ils aient essayé. Point complémentaire : l’écroulement du communisme soviétique à la fin des années 80 a entraîné les principaux responsables de l’Autre gauche à jeter le bébé nécessaire à la transformation sociale et politique (l’analyse de Marx, d’Engels, de Rosa Luxemburg, de Jaurès, de Gramsci, des communistes républicains de la Résistance, des communistes de gauche du PCI, etc.) avec l’eau sale du bain (le marxisme-léninisme, les trotskismes et le stalinisme).
Floraison des impasses théoriques et pratiques
Le mouvement réformateur néolibéral s’offre alors le monde, avec sa version ordo-libérale en Europe. La guerre inter-impérialiste peut donc produire des guerres de classe à l’intérieur de chaque pays sans opposition à la hauteur des enjeux. Une fois clarifiée le fait que l’alternance des partis de type « UMP-Les républicains » ou de type « Parti socialiste » avec le concours de la société du spectaculaire, n’est qu’un des outils du mouvement réformateur néolibéral, on s’aperçoit malheureusement que la plupart des directions politiques, syndicales ou associatives de l’Autre gauche se fourvoient, soit dans la nostalgie des impasses du communisme soviétique des années 1918 et suivantes, soit dans la croyance religieuse que les solutions techniques néo-keynésiennes sont capables de mener à la transformation sociale et politique, soit dans la brillance inefficace de la seule interprétation du monde et de ses commentaires sans fin participant à la société spectaculaire, soit dans à la croyance qu’une idée simple voire simpliste est à elle seule capable d’entraîner enfin la création du paradis sur terre. Tout cela n’est que chimère. C’est dommage mais c’est ainsi.
Faire reculer l’abstention des couches populaires
Des « comités anti-libéraux » aux « chantiers de l’espoir » et autres tentatives pour refaire ce qui a déjà échoué, ce ne n’est là qu’activisme vibrionnant sans efficacité. La crise du Front de gauche et du mouvement syndical revendicatif est elle aussi patente. Tous deux reculent malgré l’intensification des politiques néolibérales. Un comble ! La raison en est simple : une majorité d’électeurs de gauche des couches populaires ouvrières et employées s’abstiennent, y compris parmi ceux qui luttent dans leur entreprise ! Bien plus que le FN qui n’engrange principalement dans les couches populaires que les ouvriers et employés qui votaient hier à droite, c’est l’abstention des couches populaires qui empêche le développement de l’évolution révolutionnaire par la démocratie. Que font les organisations pour répondre à ce défi ? Rien ou presque !
Pire encore, de nombreuses directions de l’Autre gauche s’allient aux islamistes obscurantistes de l’organisation internationale des Frères musulmans (représentée en France par l’Union des organisations islamiques de France – UOIF), aux organisations musulmanes alliées à l’extrême droite catholique de la Manif pour tous (comme Présence et spiritualité musulmane – PSM) et aux ultra-communautaristes des « Indigènes de la République » (voir une précédente chronique).
Lutter contre tous les racismes et prendre au sérieux le sursaut populaire du 11 janvier
Avant d’en analyser la composition, une manifestation se juge d’abord par son objet, parce que jamais dans l’histoire l’ensemble du peuple n’a été entièrement rassemblé. Faire l’inverse, comme les communautaristes de l’Autre gauche, est une imposture. Une fois critiquée l’instrumentalisation grossière par le gouvernement soutenu par les médias, il reste que cette manifestation aurait eu lieu même sans l’instrumentalisation gouvernementale et qu’elle est la plus importante depuis bien longtemps : 4 millions. Des militants font la fine bouche ? Ne serait-ce pas parce qu’ils ont acté qu’ils étaient définitivement hors du peuple ? L’objet de cette mobilisation était de dire « plus jamais cela, nous voulons vivre sans que l’on touche à un cheveu de quiconque sous prétexte qu’il est : athée, agnostique, catholique, musulman, juif, etc. ». Même si cette réaction ne s’est pas toujours accompagnée d’une réflexion sur les causes des assassinats de janvier et des politiques claires pour sortir de cette crise, tout militant doit prendre la mesure de ce sursaut progressiste.
Il y en a assez du discours des communautaristes de l’Autre gauche, pour qui « le vrai peuple » serait composé de ceux qui n’étaient pas là le 11 janvier, c’est-à-dire les musulmans (ce qui est faux !) et les électeurs FN (ce qui est vrai), tandis que tout le reste serait fait d’infâmes profiteurs bourgeois. Ras le bol ! Pourquoi les communautaristes de l’Autre gauche n’ont-ils pas lancé un appel différent à la manif du 11 janvier ? Parce qu’ils étaient hors sol, déconnectés par rapport à la réaction populaire et en conséquence disqualifiés pour la transformation sociale et politique à venir, qui ne peut s’appuyer que sur des mobilisations populaires et électorales.
Que faire ? Répondre à l’urgence de la période
Alors que le nombre de sigles organisationnels s’accroît dans les appels à mobilisation, l’efficacité des partis de l’Autre gauche et du mouvement syndical revendicatif décroît, et même le nombre de participants aux manifestations. Acculés par le durcissement inéluctable des politiques néolibérales, face à la confusion mortifère et à l’entre-soi stérile qui règnent dans l’Autre gauche, nous n’avons pas d’autre choix que d’engager un processus pour la refondation et à la reconstruction d’une alternative politique alliant une politique de rassemblement et de sortie de la confusion de l’actuelle Autre gauche.
Pour ce faire, nous estimons nécessaire de renouer avec les intérêts du prolétariat ouvrier et employé dont la majorité s’abstient aux élections, et de partir de leurs préoccupations subjectivement vécues (chômage, précarité, école, services publics, protection sociale – 31 % du PIB excusez du peu ! -, laïcité, peuple et pouvoir, démocratie, etc.), pour aller vers les causes (traité de Lisbonne, zone euro, nouveaux traités ou partenariat transatlantique pour le commerce et l’investissement en discussion, etc.) et non faire l’inverse en commençant par une réunion « Stop Tafta » dont les organisateurs ne connaissent même pas l’acronyme français !
Nous jugeons également nécessaire de lier le combat social au combat laïque parce qu’il n’y aura pas de transformation sociale et politique en France hors de cette culture historique des luttes françaises et parce que les communautarismes et les intégrismes sont liés au mouvement réformateur néolibéral qui leur sous-traite l’objet de la protection sociale publique et de l’école publique au fur et à mesure du processus de privatisation ! Et plus généralement, cette liaison historique combat laïque-combat social doit se lier aussi aux autres combats démocratiques, féministes, institutionnels et écologiques. Il est illusoire de vouloir mener ces combats sans le combat laïque!
Enfin, nous proposons de prendre l’initiative par la création de collectifs « Combat social, combat laïque » pour débattre tous ensemble des conditions de l’émancipation et de développer l’éducation populaire, aujourd’hui largement abandonnée par les organisations de toute nature (sauf dans quelques localités comme à Grenoble avec l’ADES qui a permis une victoire municipale). Cette éducation populaire est une nécessité pour mener la bataille de l’hégémonie culturelle, pour recréer un imaginaire crédible. Elle est antinomique avec l’imposition d’une vérité révélée venue d’en haut par des slogans inaudibles ou jugés non crédibles pour le plus grand nombre. L’éducation populaire vise à développer la prise de conscience, l’émancipation et la puissance d’agir des citoyens par le développement de l’esprit critique. Elle doit dans la période actuelle renouer avec la stratégie de l’évolution révolutionnaire que la majorité de l’Autre gauche semble abandonner.
Hasta la victoria siempre (jusqu’à la victoire finale) !