Depuis trop d’années, et particulièrement au cours des cinq dernières, avec Nicolas Sarkozy Président de la République, les gouvernements et les politiques publiques ont largement contribué à placer le pays sous l’emprise et la domination d’une finance progressivement libéralisée et dérèglementée. Ceci a fortement pesé dans le développement de la dette publique.
Plusieurs rapports et plusieurs études (INSEE, Cour des Comptes, Commission des Finances de l’Assemblée nationale) ont clairement établi que l’endettement accru des comptes publics résulte plus d’une diminution des recettes publiques que d’une augmentation des dépenses publiques. C’est ce qui a été affirmé en avril 2010 dans le rapport Champsaur-Cotis : « En l’absence de baisses de prélèvements, la dette publique serait environ 20 points de PIB plus faible aujourd’hui qu’elle ne l’est en réalité »
En effet, depuis des décennies, on a assisté à une véritable contre-révolution fiscale qui, outre son caractère profondément injuste, a asséché les recettes de l’Etat. Celles-ci représentaient 15,1 % du PIB en 2009 contre 22,5 % du PIB en 1982. C’est une des causes essentielles du gonflement de la dette.
A plusieurs reprises François Fillon, Premier Ministre, a utilisé l’argument de « finances publiques exsangues » pour réduire encore certaines dépenses publiques et sociales pourtant indispensables, tout en gardant le silence sur l’une des causes principales, à savoir les multiples cadeaux fiscaux faits aux riches et aux très riches particuliers et aux plus grosses entreprises.
On se souvient que le Président des riches n’avait pas attendu, dès l’été 2007, pour s’engager dans sa contre-réforme fiscale. Pour donner aujourd’hui un sens au changement, pour que le changement, ce soit maintenant, une des nécessités, une des urgences est d’engager le pays dans une réforme fiscale radicalement différente des orientations retenues par les derniers gouvernements.
Il s’agit de se libérer progressivement de l’emprise de la finance en dégageant de nouvelles ressources fiscales permettant de financer l’action publique et de le faire dans le sens d’une réduction des inégalités par une recherche de justice fiscale. Pour ce faire, il faut prioritairement prélever sur l’épargne abondante des plus aisés tout en permettant à l’action publique d’améliorer l’activité économique et de réduire les inégalités.
Aller vers une imposition identique des revenus du travail et des revenus du capital
Aujourd’hui, les revenus du capital sont souvent moins imposés que les revenus du travail. Ceci résulte notamment de la possibilité donnée aux propriétaires de portefeuilles d’actions de choisir entre un prélèvement forfaitaire libératoire (21 % depuis le 1er janvier 2012) et un abattement de 40 % sur la base imposable quand les revenus financiers sont intégrés à la déclaration de revenus. Ce sont les contribuables qui ont des portefeuilles mobiliers importants qui bénéficient le plus de ces dérogations qui leur permettent d’échapper en grande partie à la progressivité de l’impôt sur le revenu. Il faut, rapidement, supprimer ces deux possibilités et s’y engager dès la loi de finances 2013. Il faut que les revenus du capital soient, au moins, imposés comme les revenus du travail. Ceci peut se faire par étapes, en remontant chaque année le taux du prélèvement forfaitaire, en diminuant le pourcentage de l’abattement autorisé, et en mettant en place un plafonnement de l’avantage fiscal qui découle de ces deux dispositions.
Renforcer la progressivité du système fiscal
Un impôt progressif est celui qui répond le mieux à l’esprit de l’article 13 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 (un impôt en fonction des « facultés » de chacun). C’est à partir d’un impôt général portant sur l’ensemble des revenus des personnes qu’il est possible de mettre en place ce genre d’imposition. En France, c’est surtout l’impôt sur le revenu qui peut jouer ce rôle. Dès lors que les niches fiscales sont multipliées qui permettent de réduire l’assiette de cet impôt pour les plus riches, qu’un système de prélèvements forfaitaires libératoires est mis en place qui permet d’exclure certains revenus de cette progressivité, et que le nombre de tranches comme l’éventail des taux d’imposition sont réduits et resserrés vers le bas, la progressivité est réduite. Il faut, dès la prochaine loi de Finances, prendre des orientations allant dans l’autre sens.
- Augmenter le poids de l’impôt sur le revenu
Il faut supprimer toutes les mesures qui permettent d’exclure certains revenus (essentiellement les revenus financiers) de la progressivité de l’impôt. Il faut faire entrer les plus-values réalisées sur les portefeuilles d’actions dans le revenu imposable. Il faut s’engager dans une redéfinition et une mise à plat des « niches fiscales » liées à l’impôt sur le revenu ; dans ce cadre, et dans un premier temps, il faut revoir à la baisse l’avantage fiscal résultant de l’application du quotient familial pour les revenus élevés. Certaines niches doivent être supprimées, d’autres peuvent être maintenues. Généralement, l’efficacité et la pertinence de l’intervention publique sont meilleures en aidant directement certains comportements (particulièrement dans le domaine de l’environnement) qu’en ouvrant des avantages fiscaux qui multiplient les effets d’aubaine. Il faut augmenter le nombre de tranches, pour mieux « lisser » le passage d’un taux à un autre, et il faut élargir fortement l’éventail des taux. L’éventualité d’un taux marginal à 100 % est liée au débat sur la mise en place d’un revenu maximum.
- Augmenter le poids de l’impôt sur les sociétés
A terme il est nécessaire d’aller vers une augmentation du taux de l’impôt sur les sociétés ; celui-ci était de 50% du temps de Valéry Giscard d’Estaing, qui était loin d’être un gauchiste, et jusqu’en 1986, avant que la cohabitation avec Chirac n’engage la baisse de l’IS en France. Pour s’engager dans le bon sens, il faut que la prochaine loi de Finances comporte une augmentation du taux de l’impôt pour la part des bénéfices des sociétés qui est distribuée, celle qui est réinvestie dans l’entreprise restant au taux actuel (autofinancement). Il est possible d’envisager un impôt sur les sociétés lui aussi progressif, avec un taux évoluant en fonction du montant du bénéfice déclaré. Il faut rapidement supprimer la quasi totalité des niches instaurées pour réduire l’assiette de l’impôt sur les sociétés, notamment la « niche Copé » qui exonère les plus-values à long terme sur la cession de titres de participation. Le coût fiscal de cette seule disposition est d’environ 6 milliards d’euros par an, pendant que l’ensemble des mesures dérogatoires à l’IS représente un coût annuel de 66 milliards d’euros chaque année. Le système du crédit d’impôt recherche, par son coût budgétaire, par ses effets d’aubaine qu’il permet aux plus grosses entreprises, doit être rapidement encadré, voire supprimé.
- Baisser la part de la TVA dans le système fiscal français
Il est patent, et connu, que la TVA est un impôt particulièrement injuste, qui frappe les consommations de chacun et de chacune dès le premier euro. C’est aussi un impôt particulièrement « rentable » : il représente en 2012 plus de 50 % des recettes fiscales du budget de l’Etat. Il faut arriver à réduire son coût pour les familles, en instaurant notamment une TVA à taux zéro pour certains biens et services de première nécessité. Toutefois, une baisse décidée dès maintenant, alors qu’il n’y a aucune certitude qu’il y aurait, en conséquence, une diminution parallèle des prix au détail, serait un gâchis budgétaire, un cadeau, de fait, à certaines professions, sans aucun aspect social. Il faut, au préalable, remettre en place une administration ou un service de contrôle des prix. Il y a urgence, par contre, à ne pas augmenter la TVA ; il faut donc annuler la hausse de 1,5 point du taux normal de TVA (TVA « antidélocalisation » de Sarkozy) qui, par ailleurs, affecterait le pouvoir d’achat des familles modestes et pèserait sur la consommation des ménages.
Renforcer la taxation des patrimoines et des fortunes
Les inégalités de fortunes et de patrimoines sont bien plus fortes encore que les inégalités de revenus. Pour réduire réellement les inégalités, il faut donc agir sur la fiscalité des revenus et sur la fiscalité des patrimoines. En ce qui concerne l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF), le minimum est le retour à l’ancien barème d’avant la dernière réforme Sarkozy-Fillon et il faut, de même, supprimer les allégements sur les droits de succession et de donation décidés dès 2007.
Parallèlement à ces mesures immédiates, il est important d’affirmer dès maintenant des choix politiques décisifs dans le domaine fiscal.
- Donner aux collectivités territoriales les moyens financiers de leurs missions
Les collectivités territoriales ont des finances de plus en plus contraintes et encadrées par l’Etat, et elles doivent très souvent recourir à l’emprunt. Depuis plusieurs années, la tendance dominante est de décentraliser les dépenses tout en centralisant les recettes. La récente réforme de la taxe professionnelle coûte très cher aux collectivités territoriales, réduit encore leurs moyens financiers et aussi leur autonomie par rapport à l’Etat, et donc par rapport aux gouvernements. Cette politique est aussi un des moyens qui permet à l’idéologie libérale de casser progressivement des services publics tout en évitant l’affrontement avec les usagers et la population au niveau national : le recul des services publics, désormais territoriaux, ne se fait plus d’un seul coup sur l’ensemble du territoire mais à des rythmes différents, ce qui fractionne les possibles résistances. Il est indispensable de donner les moyens aux collectivités territoriales de financer les missions qui doivent relever de leurs compétences. Tout ceci nécessite des débats démocratiques sur la pertinence des niveaux de gestion à l’intérieur du territoire national, sur l’autonomie financière des collectivités territoriales, mais aussi sur la nécessaire solidarité nationale et donc sur une amélioration et un renforcement des péréquations entre les territoires. Dans ce domaine, il s’agit d’engager rapidement le débat citoyen.
- Faire cesser le dumping fiscal au sein de l’Union européenne
La première priorité dans le domaine fiscal au niveau de l’Union européenne est certainement de dépasser l’actuelle règle de l’unanimité qui permet à un Etat seul d’empêcher toute décision dans le domaine fiscal. L’argument avancé pour maintenir cette règle est l’attachement des Etats à leur indépendance fiscale et budgétaire. C’est une mascarade. Ceci permet surtout aux Etats membres qui sont des paradis fiscaux (le Luxembourg en premier) de bloquer toute mesure qui viendrait améliorer la taxation de certains revenus (ceux de « l’épargne » notamment), réduire le secret bancaire et améliorer la coopération et l’échange d’informations entre les administrations. De même que certains ont estimé possible que des accords entre seulement 12 Etats membres de l’UE puissent entrer en application (ainsi pour l’application de la « règle d’or »), il faut permettre l’application de décisions fiscales communes à un certain nombre de pays sans attendre l’unanimité. Ce pas ayant été franchi, en rupture avec les contraintes actuelles, il devient possible de mettre en place progressivement un « serpent fiscal européen » entre les pays qui en seraient d’accord, conduisant à une harmonisation fiscale choisie ; celle-ci devrait permettre de dégager des ressources financières plus importantes pour l’UE qui financeraient des politiques communes effectives et des solidarités entre Etats et entre régions et territoires au sein de l’UE. Dans ses relations avec les autres gouvernements des Etats membres, le gouvernement français doit rapidement faire comprendre qu’il est décidé à de telles évolutions, sinon ce sont une majorité d’Etats qui, de fait, sont « pris en otage » par quelques Etats, et leurs moyens budgétaires comme leurs choix fiscaux continuellement contraints par une concurrence fiscale favorable aux capitaux et aux éléments mobiles. Si rien n’est entrepris, des Etats comme le Luxembourg, qui sont de véritables paradis fiscaux, avec le secret bancaire qui va avec, pourront continuer d’empêcher toute évolution de la fiscalité au niveau européen en continuant d’adopter une législation et une réglementation directement au service de ceux qui veulent « optimiser » leur fiscalité.
Le gouvernement français doit donc rapidement faire comprendre qu’il est décidé à ne pas laisser perdurer la situation actuelle de concurrence fiscale et faire de ce dossier une priorité dans les négociations européennes. A défaut, le gouvernement restera fortement limité dans ses réformes fiscales, et ensuite dans ses budgets publics, et donc dans ses moyens d’agir. Parallèlement, le gouvernement doit s’engager dans une renégociation des conventions fiscales bilatérales, particulièrement avec les pays frontaliers qui abritent des « exilés fiscaux ». Il faut faire avec la Belgique, le Luxembourg et la Suisse ce qui a été fait avec Monaco en 1963 et considérer que les ressortissants français qui résident dans ces trois pays sont considérés vivre en France au plan fiscal. Plus globalement, il n’est pas possible qu’à l’intérieur de l’Union européenne, les capitaux, les biens, les services et les personnes circulent librement, alors que les législations sont mises en concurrence et que les administrations ne coopèrent pas.
- Agir contre la fraude fiscale
La fraude fiscale, par son ampleur et par ses caractéristiques, ne peut que compromettre fortement les orientations fiscales et budgétaires qui devraient être prises par le gouvernement. Elle réduit les rentrées fiscales (au minimum 50 milliards d’euros par an en France) et accentue les inégalités (ce sont essentiellement les grosses entreprises et les riches particuliers qui peuvent user de l’existence des paradis fiscaux). Il faut donc, très rapidement, que des mesures soient prises qui témoignent d’une volonté de mettre fin au laxisme pratiqué à l’égard de la criminalité financière et de la fraude fiscale de grande ampleur. Au niveau national, pour l’essentiel, les textes existent qui permettraient de réprimer la fraude fiscale ; ce qui manque, c’est la volonté politique d’agir, en y engageant les administrations concernées (impôts, douanes, police financière, justice, etc). Un signal serait donné par des créations d’emplois dans les services de ces administrations chargés de lutter contre ce genre de fraudes. Rapidement aussi, des décisions unilatérales peuvent être prises par le gouvernement français : établir la liste « française » des pays et territoires considérés comme non coopératifs et comme paradis fiscaux et judiciaires en accompagnant cette liste des sanctions et pénalisations infligées aux entreprises qui utilisent ces territoires, et exiger des entreprises qui souscrivent des marchés publics de présenter dans leurs comptes la répartition de leur chiffre d’affaires, de leurs salariés, de leur masse salariale, de leurs bénéfices, etc, pays par pays (reporting pays par pays).
Gérard Gourguechon – 15 juin 2012