A une époque où nous semblons osciller entre d’une part un individualisme égoïste consumériste intéressé et d’autre part une indifférence fataliste à la misère sociale, la question de l’engagement actif responsable hors d’une recherche d’intérêts particuliers semble faire encore cruellement défaut. La question de l’engagement visant l’intérêt général se résume la plus part du temps, par calcul, défaut ou nécessité, à une défense ne dépassant guère la sphère sectorielle, corporatiste ou communautariste. Entre l’action privilégiant le repli sur soi, l’entre-soi exclusif, et celui exacerbant des passions agressives, anomiques, le pari d’un engagement participatif sociétal solidaire reste encore et toujours d’actualité. Entre le choix d’une posture de retrait (supposée neutre) et une participation active (étiquetée militante), n’y aurait-il pas un juste milieu où l’objectivité et la subjectivité pourraient s’accorder dans un juste accord ? Une main sans un oeil averti est souvent impuissante, mais un oeil sans une main experte l’est tout autant.
S’engager, c’est à la fois une démarche contraignante (s’attacher, se lier, s’astreindre, s’obliger, s’enrôler, s’investir, faire vœu de, donner sa parole, prendre parti, souscrire, …) et une démarche de rupture (s’aventurer, s’embarquer, se mettre en route, s’embringuer, se lancer, suivre …). L’engagement est constitué à la fois d’une obligation et d’une mise en jeu de soi. Cette obligation peut être traduite soit comme une contrainte à soi et à autrui (ou sur autrui) : « je m’engage à être honnête,… », « je m’engage à te faire confiance,… » et/ou une mise en jeu de soi qui peut se concevoir comme une rupture avec son savoir acquis (ses pratiques courantes) en vue d’une différence de pensée ou d’action : « je m’engage à m’instruire… », « je m’engage à t’instruire… ».
Nous pouvons faire appel à une notion classique, l’éthique, pour asseoir, consolider ou justifier notre engagement. Pour reprendre la typologie de Max Weber, nous pouvons nous interroger sur deux types d’éthique qui ont cours dans la sphère de l’engagement : l’éthique de conviction et l’éthique de responsabilité. La première accorde peu d’importance aux conséquences de l’action, mais presque uniquement à ses intentions. La fin justifie les moyens. C’est l’éthique du militant, de l’activiste, mais aussi du philosophe, de l’intellectuel… Il est convaincu de la justesse intrinsèque de sa pensée, de ses actes, et ce quels qu’en soit ses effets, ses contradictions, les « dommages collatéraux ». Elle suppose souvent une impatience et une fermeté. La seconde cherche à anticiper les conséquences prévisibles de son engagement et de ses actes. La fin ne justifie plus les moyens. C’est aussi l’éthique du militant, de l’activiste, du philosophe, de l’intellectuel… Il est capable, quitte à ce que ce soit dans la douleur, de revoir ses convictions si celles-ci venaient à se révéler contreproductives, perverses, nuisibles. Elle suppose de la patience et une remise en cause. Mais cette distinction est loin d’être si simpliste et duale que ça.
L’éthique de conviction érigée en absolue amène facilement à la construction de systèmes autoritaires et au dogmatisme sectaire. A contrario une absence de conviction peut aussi servir à maintenir en place un système despotique. Un bon dosage d’éthique de conviction servira alors de combustible à l’insurrection, à la révolte, au changement, à une société ouverte pluraliste. L’éthique de responsabilité érigée en absolue peut elle se transformer en système normalisé, bureaucratique, brisant toute innovation, tout paradigme hétérodoxe. Mais une absence de responsabilité laissera la porte ouverte au plus fort et à l’insouciance contre le faible et le respect.
Reste alors le pari d’une éthique de conviction ouverte aidée d’une éthique de responsabilité juste qui devrait être encore et toujours notre combat quotidien.